Blanchiment : Sherpa porte plainte contre BNP Paribas dans l’affaire de la « lessiveuse africaine »
L’affaire dite de la « lessiveuse africaine » désigne un vaste réseau qui aurait été monté dans les années 2000 au sein de la filiale monégasque de la banque française BNP Paribas afin de blanchir des dizaines de millions d’euros provenant d’au moins quatre pays africains : Madagascar, Sénégal, Burkina Faso et Gabon. L’association Sherpa a décidé, mardi, de déposer une plainte en France pour, entre autres, escroquerie, recel de fraude fiscale et blanchiment aggravé commis en bande organisée.
Dans le viseur de l’association : une filière qui aurait été organisée, au début des années 2000, au sein de la branche monégasque de la banque française, et ayant permis, selon Jean Merckaert, membre de Sherpa, de « sortir » plusieurs dizaines, voire une centaine, de millions d’euros d’au moins quatre pays africains : le Sénégal, le Burkina Faso, le Gabon et Madagascar.
Complices involontaires
Le montage, révélé par un ancien salarié de BNP Paribas, licencié depuis, est simple. Il repose sur la complicité involontaire de touristes français en Afrique et se déroule en trois étapes, révélées dans un document confidentiel interne à BNP Paribas, que Jeune Afrique a pu consulter.
– Première phase : au lieu d’avoir à régler en francs CFA leurs nuits d’hôtel, des ressortissants français sont invités à payer en euros avec leur carnet de chèques, sans préciser le nom du bénéficiaire, laissé en blanc. Trop heureux de ne pas avoir à changer leur argent, ceux-ci s’exécutent.
– Deuxième phase : le chèque est racheté en liquide par des résidents des pays concernés, souhaitant sortir des devises à l’insu des autorités financières locales. Ces personnes ou leurs intermédiaires, titulaires d’un compte à la BNP Monaco, apposent leur nom dessus.
– Troisième phase : fin du tour de passe-passe, les chèques en question sont déposés à l’agence BNP de Monaco. L’argent est donc sorti illégalement d’Afrique, sans passer par le moindre contrôle de change, et se retrouve en Europe, où les autorités financières n’y voient que du feu, pensant que les sommes proviennent de flux internes.
Des dizaines de milliers de chèques ?
La fraude aurait touché au moins quatre pays africains, explique l’association Sherpa, durant plusieurs années. Le tout avec l’assentiment au moins passif de BNP Genève, centre névralgique du groupe BNP Paribas, si l’on en croit un document exhumé par le Huffington Post, fin juin. Le montant du préjudice est difficile à évaluer. Selon le rapport interne que Jeune Afrique a consulté, des milliers de chèques auraient été envoyés entre 2008 et 2011 et la somme pourrait s’élever à plusieurs centaines de millions d’euros, selon Sherpa.
Si BNP Paribas ne confirme pas ce chiffre, la banque évoque, dans son document confidentiel, le cas d’un intermédiaire malgache qui aurait fait transiter 10,2 millions d’euros, entre 2008 et 2011, via 284 remises de chèques. Et, toujours selon le document, entre 2010 et la mi-2011, au moins 3 466 envois ont été enregistrés, avant que la banque ne mette fin au système, officiellement, « entre 2011 et 2012 ». Le rapport ne citant des chiffres précis que pour une courte période, on ne peut qu’estimer le nombre de chèques concernés sur les trois années, au moins, qu’a duré le système. Au regard du nombre d’envois, Sherpa en évoque des « dizaines de milliers de chèques ».
Justice monégasque ou parisienne ?
Étonnamment, et malgré la somme d’informations révélées, la justice monégasque a semblé peu pressée de se pencher sur cette « lessiveuse africaine », alors qu’elle a été alertée, le 10 avril 2013, via un courrier de Sherpa adressé au procureur de Monaco. D’où la plainte déposée contre X et contre BNP Paribas, devant le procureur de la République de Paris cette fois, mardi 12 novembre. Une manière de faire avancer le dossier, quelles que soient les autorités qui choisiront de s’en saisir.
Interrogé mercredi par l’AFP, le procureur de la principauté, Jean-Pierre Dreno, a réagi et précisé que « l’enquête [était] en cours » à Monaco et que « l’ouverture d’une information judiciaire [était] envisagée ». Un premier pas bien timide. Le même Jean-Pierre Dreno déclarait encore, en mai dernier, qu’il n’était « pas question de saisir un juge d’instruction ».
Qu’elle soit française ou monégasque, la justice qui se chargera du dossier risque de provoquer des remous. Si les documents sortis dans la presse ne font pour le moment état que de quatre ou cinq pays africains, la « lessiveuse » pourrait avoir opéré plus largement. Le procureur de Monaco a ainsi évoqué, mercredi, « 21 pays africains concernés ». « L’enquête va être longue », a-t-il estimé. Si elle ne s’enlise pas.
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Par Mathieu OLIVIER
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