« Classified People », l’amour fou contre la haine raciale

Ce 20 septembre est rediffusé en salle le documentaire de Yolande Zauberman sorti en 1989. Un éloge de l’amour face au racisme qui n’a rien perdu de sa validité.

« Classified People », un documentaire de Yolande Zauberman sorti en 1989. © Shellac

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Publié le 22 septembre 2023 Lecture : 4 minutes.

Imaginez un monde divisé en Blancs, Noirs, Métis et Indiens.

Imaginez qu’une commission décide quelle sera votre race et, qu’en fonction de votre classification, vous ayez le droit d’habiter dans tels quartiers, d’aller dans telles écoles, de fréquenter tels lieux et que l’on vous interdise de vous marier ou d’avoir des relations sexuelles avec telles catégories de personnes. Imaginez que vous puissiez être noir et vos frères et sœurs blancs, que vous puissiez changer plusieurs fois de « race » dans votre vie en fonction de la décision de la commission, dont l’un des critères « scientifiques » est de placer un crayon dans vos cheveux – et si celui-ci tient, vous êtes crépu, donc noir. Une dystopie ? Non, l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid, le régime de ségrégation raciale en Afrique du Sud de 1948 à 1991.

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Absurdité de la classification raciale

Classified People, premier documentaire de Yolande Zauberman se situe en janvier 1987. Le film a été nommé aux César 1989 dans la catégorie meilleur court-métrage documentaire et il sort aujourd’hui dans une version restaurée. Le film suit Robert, métis de 91 ans, et Doris, sa femme noire de 71 ans. Le couple vit ensemble depuis 25 ans, ils sont mariés et ils symbolisent l’absurdité de la classification raciale. Avant d’être métis, Robert a été blanc, marié avec une femme blanche, avec qui il a eu des enfants blancs. Mais puisqu’il s’était enrôlé dans les troupes métis lors de la Première Guerre mondiale, l’ancien soldat a été « reclassé » métis, sa femme et ses enfants l’ont rejeté, et sa vie a basculé.

Cela aurait pu être un cauchemar mais il a rencontré Doris, dont il est tombé amoureux. Après tant d’années de vie commune, elle continue de lui tordre le cou pour l’embrasser sur la joue lors d’une séance photos. Comme l’exprime dans sa note d’intention Yolande Zauberman : « Classified people, c’est surtout un film d’amour. Robert et Doris incarnaient un désir plus grand que la peur, plus grand que la haine. Il y avait l’apartheid, c’est dans son contraire, l’amour fou entre un homme et une femme, que j’ai trouvé la plus parfaite expression de son absurdité. »

L’intime est le lieu de la résistance

La possibilité de l’amour entre deux personnes de « races » différentes incarne la résistance au quotidien. Les gestes de tendresse, les réparties pleines d’humour sont des coups de poing dans la figure d’un système fou. « Je voulais savoir comment vivre quand on est désigné d’une certaine manière, indique Yolande Zauberman. Robert et Doris ne m’ont pas répondu par des mots mais par leur façon d’être. L’intime est le lieu de la résistance et de la liberté possible. Cette notion de politique dans l’intime est répandue aujourd’hui. À l’époque, elle était tout à fait nouvelle. »

Le documentaire "Classified People". © Shellac

Le documentaire "Classified People". © Shellac

Classified People est ainsi un film politique sans grand discours dont l’expression de la sensibilité est le véritable slogan : « Je ne voulais pas faire un film militant mais faire un film qui, au bout du compte, serait plus qu’un film militant. Je veux dire que le contact qu’on peut avoir avec Robert et Doris est quelque chose de quasiment irréfutable. On découvre comment ils vivent une loi qui discrimine au jour le jour. Je me suis posée la question : est-ce qu’on ne va pas me reprocher de ne pas donner clairement ma position sur le problème ? Et je me suis dit : je prends le risque. L’important n’est pas de dire ce que je pense. L’important c’est de faire un film émouvant qui puisse toucher des gens a priori indifférents. Et il est très difficile de rester indifférent à Doris et Robert »

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Interdit en Afrique du Sud

Le film a été interdit en Afrique du Sud mais son message ne se limite pas qu’à ce pays et il n’est pas circonscrit à la période de l’apartheid : « Je ne fais pas des films pour donner la leçon aux gens dans les pays où je tourne, je fais des films qui nous renvoient un miroir de notre vie, de notre société. Je vais chercher ce qui est à nous, je ne vais pas chercher ce qui est à eux. » Ce miroir, elle le tend à l’aide de sa caméra, pointée vers les invisibles dans la société. Raconter les parcours de ceux qui sont privés de parole, c’est une mission qu’elle aimerait qu’on applique partout : « En France, j’ai le sentiment qu’on considère que certaines personnes n’ont pas de parents, pas d’histoire, comme les migrants. Pourtant, ils sont des héros, des Ulysse qui n’ont pas de Pénélope à l’arrivée pour raconter leurs histoires. Se souvenir que chacun est une personne, que chacun a une famille, a des rêves, c’est très important pour moi, sans jamais victimiser les gens. »

La filmographie de Yolande Zauberman se divise en films de fiction, comme Moi Ivan, toi Abraham en 1993 et des documentaires dont Would You Have Sex with an Arab ? en 2011. La réduction dans le regard de l’autre, les barrières politiques, le dépassement des assignations par l’amitié ou par l’amour, ce sont des thèmes qui traversent son œuvre et qui trouvent son origine dans ce premier film : « Classified People m’a tout appris. Je suis passée par une porte en suivant Doris et Robert et je n’ai jamais rebroussé chemin. Dans tous mes films revient la question de savoir comment se sentir libre malgré les désignations et les blessures qu’elles provoquent. J’essaie de montrer où peut se situer la grâce. » Assurément, elle est dans Classified People, un film documentaire qui vaut en tant que témoignage historique et comme leçon intemporelle d’humanisme.

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Classified people, de Yolande Zauberman, version restaurée, film documentaire, sortie dans les salles françaises le 20 septembre 2023

Classified People© Shellac Classified People
© Shellac

Classified People© Shellac Classified People © Shellac

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