Cinq podcasts gastro, philo, sexo, écolo… à découvrir
Ce format sonore a le vent en poupe et n’échappe pas aux documentaristes africains ou de la diaspora. Voici notre sélection.
En 2021, le nombre d’auditeurs de podcasts dans le monde s’élevait à 383,7 millions d’internautes. Ce chiffre devrait atteindre 504,9 millions d’ici la fin de l’année 2024. Ce format sans frontières géographiques et temporelles offre des possibilités inouïes pour explorer des thèmes (sexe, sexisme, racisme, classisme…) moins visibles dans les médias traditionnels, et donner la parole à celles et ceux que l’on a également moins l’habitude d’entendre. En Afrique aussi, le podcasting a su trouver son public. Et les acteurs du continent ou de la diaspora ne manquent pas. Récits de l’intime, reportages, débats, conversations, enquêtes… Notre sélection de cinq podcasts, toutes thématiques confondues, à découvrir.
« Jins », le podcast sexualité et spiritualité
Lancé en 2021, Jins, qui signifie « sexe » en arabe, est sûrement le seul podcast de l’espace francophone à traiter de questions liées à l’amour, au genre et aux sexualités des personnes arabes et/ou musulmanes de France. C’est à Jamal, scénariste, réalisateur et podcasteur, que l’on doit ce positionnement innovant qui concilie et réconcilie sexualité et spiritualité en appuyant chacune de ses discussions sur un corpus religieux et traditionnel pour mieux déconstruire les croyances patriarcales. Féministe revendiqué, sensible aux questions d’inclusion, il donne la parole à des personnalités connues du grand public ou moins identifiées, qu’elles soient cis, hétéro ou trans, arabes, blanches ou noires, musulmanes ou non. « Je profite de mon privilège d’homme pour donner la parole à une génération de personnes qui inscrivent leur pensée dans un féminisme nouveau, intersectionnel et décolonial, revendique Jamal. L’idée est de vivifier l’histoire de la littérature arabe, parsemée de textes érotologiques et homoérotique et d’expliquer qu’il n’y a pas qu’une seule grille de lecture du Coran. »
À son micro se sont en effet exprimées une majorité de femmes, comme les autrices Fatima Daas et Leïla Slimani, la militante Rokhaya Diallo, la philosophe Françoise Vergès, ou l’ancienne travailleuse du sexe Zahia Dehar. Mais pas seulement. Ouisssem Belgacem raconte par exemple sa sortie progressive de la honte d’être arabe, musulman et gay en milieu sportif. « Ce podcast est une ressource pour toute personne qui se sent seule dans son identité. Parmi les auditeurs, 25% se concentrent au Maroc, en Tunisie ou au Sénégal, où la question de l’homosexualité est une obsession quasi-politique. Même si on ne partage pas tou.te.s les mêmes idées, il y a consensus à trouver un espace de parole libre et safe. »
« Afrotopiques », le podcast visionnaire
Si le titre de ce podcast imaginé par la chercheuse franco-tchadienne Marie-Yemta Moussanang fait penser à Felwine Sarr et à son livre « Afrotopia » paru en 2016, la jeune femme préfère citer le podcast « Présages » d’Alexia Soyeux comme source d’inspiration. « Afrotopiques », c’est une série d’entretiens avec des intellectuels, chercheurs, militants, artistes, entrepreneurs, citoyens ou encore paysans, où il est question d’imaginer l’Afrique de demain à travers sa mécanique sociale et économique. Le premier épisode donne le ton : « Tourner nos regards vers le patrimoine mondial de réinvention, d’adaptation et de solutions élaboré dans les sociétés non-industrielles (…) pour regarder le présent et imaginer le futur à partir de ce que l’Afrique-monde permet d’envisager ».
Cultures, écologie, épistémologie, philosophie, économie, politique… La série Afrotopiques, diffusée sur la webradio R22 Tout-Monde, est un moment d’échanges qui porte l’attention sur les enjeux civilisationnels de notre époque, explore les voies et fait entendre les voix en dissonance avec le discours dominant. Parmi elles : le politologue Malcom Ferdinand, auteur d’une Écologie décoloniale (Seuil, 2019), l’architecte Sénamé Koffi Agbodjinou qui travaille depuis Lomé, au Togo, à redéfinir en des termes inclusifs la ville intelligente et durable, ou encore Haïdar El Ali, acteur et activiste d’une écologie politique participative et populaire au Sénégal.
« Boulevard du village noir », le podcast militant
« Pourquoi est-il si compliqué de nommer le racisme dans notre pays ?», s’interroge Shyaka Kagame, 40 ans, réalisateur de documentaires, dans son premier podcast issu de la collection « La face cachée de la Suisse », produit et diffusé sur la RTS. En six épisodes, d’une vingtaine de minutes, le Suisse d’origine rwandaise explore les imaginaires racistes et l’inconscient colonial de son pays. Point de départ de son enquête mêlant brillamment récit de l’intime et récit national ? Une agression raciste dont il a été victime en 2020, à Genève. Shyaka porte plainte. Le verdict tombe : son agresseur est déclaré coupable de voies de fait et d’injures. Mais la justice ne condamne pas la dimension raciste de l’agression.
C’est le début d’un combat judiciaire pour Shyaka Kagame, qui réalise bientôt les limites de la justice suisse quand on est victime d’agression raciale. « Il ne s’agit pas d’un cas personnel, mais sociétal, précise-t-il. En Suisse, il y a cette croyance populaire qui consiste à penser que le racisme nous est extérieur, car le pays n’a pas eu de colonies. C’est le mythe de l’exceptionnalité suisse qui est par ailleurs enseigné. Or, on ne m’a pas traité de sale noir, mais de singe. Les imaginaires coloniaux sont bien ancrés », décrypte l’auteur qui fera, au cours de son enquête, la découverte d’un village nègre situé à deux pas de l’endroit où il a été agressé et où il vit : le boulevard Carl Vogt, du nom de ce scientifique du XIXe siècle aux thèses racialistes dont le discours a infusé une partie de la Suisse. Au moyen de recherches et d’échanges avec des universitaires et son avocat, Shyaka Kagame livre un récit passionnant sur un pan méconnu de la Suisse et sur une société qui prend tout juste conscience d’une part sombre de son histoire.
« La surprise du chef », le podcast gastro
Un ingrédient, un chef. Voilà comment on pourrait résumer la formule gagnante de ce podcast gourmand diffusé sur Euronews. Cette série de 10 épisodes invite à remettre sur la table des ingrédients traditionnels oubliés du continent, majoritairement boudés par les populations au profit des produits européens.
« Avant la colonisation, nous avions des céréales et des légumineuses traditionnelles, que les gens cultivaient dans le cadre de leur alimentation quotidienne. Mais à cause de la colonisation, nous avons commencé à sous-estimer certains aliments que nous consommions régulièrement, et nous les avons qualifiés de cultures inférieures », explique ainsi le professeur Abdou Ka, anthropologue de l’alimentation, au micro de la journaliste Pascale-Mahé Keingna. Pourtant, ces ingrédients sont souvent l’occasion pour les consommateurs de sublimer des produits frais et de saison, de concocter une cuisine du marché et de prôner une économie locale en circuit court : le gage d’un régime sain en phase avec une consommation responsable.
Au programme, le niébé raconté et cuisiné par la cheffe franco-sénégalaise Fati Niang, le fonio remis au goût par le chef Pierre Thiam, l’arachide expliquée par la jeune star culinaire nigériane Moyo Odunfa, ou encore le soumbala exploré par Franceline Tranagda, cheffe cuisinière et gérante d’un restaurant au Burkina Faso. Autant de produits du continent qui permettent de (re)découvrir l’histoire culinaire et culturelle des pays explorés par l’animatrice, qui nous emmènent en immersion sur le terrain, du marché aux fourneaux, grâce à des recettes faciles à réaliser.
« Une afropéenne en pays Sawa », le podcast écolo
Munie de son micro aux couleurs de RFI, Estelle Ndjandjo, 29 ans, s’en est allée en pays Sawa sur les traces de ses ancêtres vivant sur les côtes camerounaises. Dans ce reportage de trois épisodes sous forme de voyage initiatique, la journaliste s’attaque à la symbolique de l’eau et s’interroge sur l’impact de la pollution du littoral et des fleuves sur les populations et leurs modes de vie. « Le peuple Sawa dépend énormément de l’eau. Les pêcheurs ne trouvent plus de poissons dans les fleuves du bassin du Congo, a-t-elle pu observer. La crise environnementale a des conséquences sociales et culturelles ». Mais s’il est une tradition qui perdure tant bien que mal, c’est celle de la cérémonie du Ndongo, cette course de pirogues ancestrales à laquelle politiques et chefs traditionnels répondent présents, pendant que, sur les berges, des rites s’organisent et font appel aux génies des eaux. Voilà le point de départ de la quête spirituelle et journalistique d’Estelle Ndjandjo, qui nous embarque sur les rives du fleuve Wouri, à Douala.
La documentariste prend à rebours les clichés qui font des questions environnementales une affaire occidentale. « L’environnement paraît secondaire face à l’urgence de régler le conflit armé dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest du pays, mais les personnes réfugiées s’installent justement au niveau des mangroves, rappelle Estelle. L’urgence climatique est une priorité au Cameroun, comme partout ailleurs en Afrique, car elle a affaire aux besoins primaires, comme se laver dans une rivière qui est désormais polluée, notamment par les usines chinoises et occidentales qui y déversent leurs déchets ». Que reste-t-il de l’héritage culturel des Sawas, à l’heure de l’urgence climatique ? C’est la question à laquelle la documentariste tente de répondre, en allant à la rencontre de quelques acteurs de l’entrepreneuriat vert comme un océanographe, un chargé d’écotourisme, ou un directeur d’un centre de recyclage.
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