Migrants, médias, « Daniel »… Nouveau dérapage de Kaïs Saïed

En Tunisie, lors d’une réunion organisée le 18 septembre avec une partie de son gouvernement, et diffusée sur internet, le président a fustigé en des termes affligeants le traitement médiatique de la question des migrants, mais aussi celui des inondations en Libye.

Le président tunisien Kaïs Saïed. © Tunisian Presidency/Mohamed Hammi/Sipa Press

Publié le 19 septembre 2023 Lecture : 4 minutes.

Consternation et perplexité en Tunisie, ce lundi 18 septembre au soir, après la diffusion sur les réseaux sociaux par Carthage d’une intervention du président Kaïs Saïed lors d’une rencontre ministérielle. Devant le chef du gouvernement, Ahmed Hachani, le ministre de l’Intérieur, Kamel Feki, et la ministre de la Justice, Leila Jaffel, le président a adopté une posture et un langage de chef de guerre. Plus d’un an après l’offensive lancée contre les spéculateurs et la corruption, auxquels il impute les différentes pénuries qui touchent la population, il se dit cette fois décidé à veiller à la mise à l’écart des migrants subsahariens.

C’est donc un président commandant en chef des armées, bien qu’en costume civil, qui a pris la parole, alors que la veille, dimanche 17 septembre, les militaires étaient intervenus à Sfax pour contraindre les Subsahariens qui campaient dans différents points de la ville dans l’attente d’un passage vers l’Europe ou d’un hypothétique rapatriement à embarquer dans des bus. Selon différents témoignages, les réfugiés auraient été conduits à El Amra, en pleine campagne, à 40 kilomètres au nord de la ville.

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Le chef de l’État a suivi le déroulement des opérations. Il a loué les efforts des forces d’intervention, mais se dit outré par le fait que la chaîne de télévision nationale n’ait pas fait mention de cette opération au journal de 20 heures. « Soit ils flattent, soit ils couvrent des manifestations qui ne concernent que quelques dizaines de personnes », déplore-t-il. « S’ils veulent axer leur travail sur la réalité, ils doivent présenter toute la réalité. Ça ne doit pas être sélectif, il y a un travail qui va être effectué prochainement pour les deux chaînes nationales. Il n’y a pas de ligne éditoriale ! »

Si la diatribe peut paraître violente, Kaïs Saïed la justifie par le fait que le pays est en campagne. Entendre par là : en guerre. « Nous voulons libérer la patrie. Ils doivent s’impliquer dans cette libération et ils n’ont pas à composer avec ceux qui veulent vendre le pays », poursuit le président. Qui reproche aussi aux médias d’avoir mentionné le refus d’entrer sur le territoire tunisien qui a été signifié, le 13 septembre, à une délégation de parlementaires européens. Une manière de brandir à nouveau le thème de la souveraineté en faisant un amalgame malheureux entre les pratiques d’une institution comme le Parlement européen et une attitude de colonisateur.

« Le sionisme impacte les esprits »

Visiblement, Kaïs Saïed est contrarié par le fait que les médias internationaux se soient focalisés sur le débarquement de milliers de migrants sur l’île italienne de Lampedusa et sur les tiraillements entre pays européens, sans avoir évoqué l’intervention des sécuritaires tunisiens à Sfax. Il profite donc de la réunion ministérielle pour faire diffuser et commenter lui même les images des Subsahariens et de leur fuite face aux brigades d’intervention. Le problème, explique-t-il, est que « toutes les images qui vont suivre ont été absentes des écrans ». Nul ne sait ce qu’il est advenu des personnes qui ont été déplacées, et pour lesquelles aucune structure d’accueil ne semble avoir été prévue à El Amra.

« Il faut, poursuit Kaïs Saïed, que tout le monde sache que nos forces sécuritaires et militaires travaillent sur le terrain et n’attendent pas la couverture des médias étrangers qui nous livreront de fausses informations, comme s’ils avaient pris la place de l’État tunisien. Comme cette enquête publiée par une chaîne de télévision. Nos forces sont sur le terrain et ceux qui veulent nous donner quelques informations n’ont qu’à se mêler de leurs propres informations et de leur situation. Qu’ils fassent preuve d’objectivité et décrivent la réalité du terrain au lieu de lancer des accusations et de remplacer le ministère public. Qu’ils arrêtent leur ingérence ! »

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Faute de couverture médiatique satisfaisante, le président explique lui-même ce qui a motivé les opérations menées à Sfax. « Plusieurs réseaux criminels de traite d’êtres humains et de trafic d’organes ont été démantelés », assure-t-il, avant de signaler que des opérations de ratissage ont également lieu autour de Mahdia (Centre-Est).

Insatisfait du travail des médias, le président l’est aussi à propos de la manière dont est traitée l’actualité internationale, et poursuit donc devant ses ministres : « Et avec ça, ils évoquent le drame de nos frères libyens, les dégâts en Libye et ceux occasionnés par [la tempête, ndlr] Daniel. Ils ne se sont pas demandés pourquoi le nom de Daniel a été choisi. »

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« Qui est Daniel ? » l’interroge le ministre de l’Intérieur, Kamel Feki. « Un prophète hébreu », explique Kaïs Saïed, qui poursuit avec agacement : « Cela a été le choix de ceux qui attribuent des noms, et cet ouragan a porté celui de Daniel. Personne ne s’est demandé pourquoi il a été désigné ainsi. C’est une autre affaire… »

Le président marque une pause, avant de reprendre : « Le mouvement sioniste a proliféré au point d’impacter l’intellect et la pensée dans un moment d’absence de l’esprit. D’Abraham à Daniel, c’est clair », conclut-il dans ce qui semble être une allusion aux Accords d’Abraham signés entre Israël et plusieurs pays arabes.

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