Entre la France et l’Algérie, Zora Bensliman et le « bidoune » des identités
Dans « Guerre, paix et bidoune », l’autrice, comédienne et chanteuse explore ses origines au cours d’un seule-en-scène enthousiasmant, présenté chaque semaine à la Comédie des 3 Bornes, à Paris.
En écrivant son classique Guerre et Paix, l’écrivain russe Léon Tolstoï avait oublié un détail. Plus de 150 ans plus tard, Zora Bensliman répare l’omission dans son spectacle Guerre, paix et bidoune. « Bidoune » est la déformation arabe du mot « bidon ». En l’occurrence, ce mot désigne le pot de chambre qui sert à faire ses besoins naturels. Dans son one-woman-show, l’artiste franco-algérienne explique que, comme il faisait trop froid en hiver pour se rendre dans les toilettes communes à l’extérieur, chaque famille de Roubaix, la ville du Nord dont elle est originaire, possédait son « bidoune » à domicile dans les années 1970/1980.
Ainsi commence le récit intime de Zora Bensliman. Elle évoque l’Algérie, la France et ses identités multiples. Une histoire très personnelle, traversée par des figures fortes dont, en premier lieu, celle de sa mère. C’est elle qui lui a donné l’idée du spectacle : « Lors d’une interview de quatre heures, elle m’a révélé que dans son portefeuille, il y avait une photo de Sheila et Ringo. Tout de suite, j’ai tilté et je me suis dit qu’il fallait que mon récit se mêle à de la chanson française. »
Balavoine, Piaf et Booba
Zohra Bensliman donne donc de la voix pour entonner du Daniel Balavoine, du Charlélie Couture, du Booba, du Françoise Hardy, du Johnny Hallyday, du Edith Piaf revisité par Grace Jones, etc. Un répertoire éclectique qui rappelle sa première carrière de chanteuse : « J’ai signé en maison de disque grâce à Matthieu Chedid, dont j’avais fait la première partie d’un concert à Roubaix en 1998. Il m’a incitée à venir à Paris, j’ai fait un duo avec lui et j’ai été sélectionnée au printemps de Bourges dans ma région. J’ai aussi rencontré Charlélie Couture. J’avais dit dans un article de Libération que j’adorais ce mec et il m’a directement contactée. Je lui ai avoué cette anecdote que je raconte dans mon spectacle : quand j’étais petite, je croyais qu’il parlait une autre langue ! Il était mort de rire et il m’a aussi invitée à chanter en première partie de l’un de ses concerts. »
Je voulais faire du Broadway, j’aime la danse, le chant
Après trois albums sous le nom de Zora (Bout de terre, Panaméenne et La neige sur la plage) et de multiples concerts, elle ressent une certaine lassitude : « J’ai eu envie de me poser et l’idée d’écrire un spectacle m’est venue. » Mais, de l’envie à la réalisation, il y a un obstacle : « L’écriture, c’est vraiment une plaie pour moi. Après une longue maturation, j’ai écrit Guerre, paix et bidoune en deux semaines. »
Ne pas être cataloguée
Cela valait bien la peine d’attendre, tant le résultat est enthousiasmant. On rit, on s’émeut, on se souvient pendant une heure où la comédienne se donne à fond : « Je voulais faire du Broadway, j’aime la danse, le chant. » Et les réactions sont à la hauteur de son investissement total sur scène : « J’aime quand les gens me disent qu’ils se reconnaissent, que mon spectacle ressemble à leur histoire. Des personnes entre les deux comme moi, il y en a beaucoup, mais on ne les voit pas à la télé. »
« L’entre-deux » est symbolisé sur scène par les drapeaux algériens et français : « Je parle de schizophrénie identitaire. Mes sœurs ultra-féministes passaient leur temps à poil et à fumer des clopes, et mon demi-frère passait son temps à lire le Coran. Je n’avais ni envie d’être ni cataloguée comme ultra-féministe ni comme ultra-religieuse. Je ne voulais pas que l’on m’impose d’être ce que je ne voulais pas être. Je me suis tout le temps battue pour cela. »
Atelier théâtre devant des collégiens
Le spectacle donne à réfléchir et Zora Bensliman le joue aussi devant des collégiens et des lycéens : « J’ai une licence d’atelier théâtre, j’ai travaillé sur le théâtre forum à la Sorbonne avec Bernard Grosjean. Il m’a enseigné des techniques pour animer un groupe de 60 personnes, à gérer les conflits, à donner la parole à tous, à entendre tout le monde. Je donne mes ateliers avant la pièce, en général pendant deux heures. La classe d’âge la plus sensible est celle du collège. Je prépare les élèves aux thèmes que je vais aborder. Je leur distribue des languettes sur lesquelles sont inscrites les meilleures répliques de mon spectacle, puis nous constituons des images, selon le principe du théâtre-image. »
Les identités multiples de Zora Bensliman ne se résument pas à des nationalités
Outil pédagogique, récit intime, réflexion sur la construction de soi, comédie musicale pleine d’humour et de tendresse, Guerre, paix et bidoune n’est pas qu’un divertissement où l’on se bidonne – ou plutôt « se bidoune ». Les identités multiples de Zora Bensliman ne se résument pas à des nationalités, elles sont aussi portées par ses talents d’autrice, de comédienne et de chanteuse.
Guerre, paix et bidoune, spectacle de et avec Zora Bensliman, tous les lundis à 19 h 30 à la Comédie des 3 bornes, 32 Rue des Trois-Bornes, 75011 Paris.
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