ONU : les objectifs de développement durable sont-ils voués à l’échec ?

Réunis à New York, les dirigeants du monde entier n’auront pas d’autre choix que de prendre acte de la lenteur des progrès réalisés en matière d’ODD.

Diffusion d’une vidéo diffusée lors de la session d’ouverture du deuxième sommet sur les objectifs de développement durable (ODD) à New York, le 18 septembre 2023. © TIMOTHY A. CLARY / AFP

Publié le 19 septembre 2023 Lecture : 7 minutes.

Huit ans après avoir dévoilé ses objectifs de développement durable (ODD), l’ONU se réunit, les 18 et 19 septembre à New York en marge de l’Assemblée générale, afin de procéder à un « examen approfondi » de l’état d’avancement des 17 points de référence. Force est de constater que la situation n’est pas brillante – les participants au sommet ont d’ores et déjà prévu un « appel urgent à l’action ».

L’année dernière, les Nations unies avaient affirmé que la pandémie de Covid-19 avait déjà réduit à néant quatre années de travail en matière de réalisation des objectifs. La semaine dernière, un groupe indépendant d’experts scientifiques a publié un rapport actualisé qui confirme que seuls 12 % des objectifs sont en passe d’être atteints, alors que l’échéance – fixée à 2030 – approche à grands pas.

la suite après cette publicité

Un cri de ralliement

« À la mi-temps, la promesse est en grand péril, prévient l’ONU. Pour la première fois depuis des décennies, les progrès en matière de développement s’inversent sous l’effet combiné des catastrophes climatiques, des conflits, de la récession et des effets persistants de Covid-19. Le sommet sur les ODD est un cri de ralliement pour relancer la dynamique, pour que les dirigeants du monde entier se réunissent, réfléchissent à leur situation et prennent la résolution de faire plus. »

Alors que le sujet des ODD occupe le devant de la scène internationale, Jeune Afrique revient sur les principales critiques qui leur sont adressées :

1. Ils ne sont pas contraignants

Malgré leur nom, les ODD sont plus des souhaits que des objectifs réels. En l’absence d’un mécanisme de responsabilisation, ni la communauté internationale ni les pays ne sont réellement redevables de leur mise en œuvre.

« La responsabilité des gouvernements reste faible. Le soutien politique aux ODD ne s’est pas souvent traduit par des processus stratégiques de politique publique, en particulier des budgets et des investissements à long terme », ont déclaré les auteurs du dernier rapport de l’ONU dans un essai publié le 13 septembre dans la revue Nature. « Par exemple, un examen des budgets nationaux de 74 pays a montré que seuls 13 d’entre eux avaient intégré les ODD dans leurs lignes budgétaires. »

la suite après cette publicité

2. Ils sont largement sous-financés

La crise économique mondiale provoquée par la pandémie a transformé en gouffre un déficit déjà béant. La réduction des financements publics et la diminution des financements privés extérieurs ont creusé un trou de 4,2 billions de dollars par an, une somme qui équivaut à environ 4 % de l’économie mondiale et à presque deux fois les dépenses mondiales en matière de défense.

Il y a huit ans, les banques de développement promettaient de transformer les « milliards en billions » en mobilisant 9 dollars d’investissements privés pour chaque dollar d’aide, mais le rêve s’est révélé être une chimère. Les pays en développement l’ont remarqué. « Chaque fois que des engagements, des annonces ou des promesses sont faits et qu’il n’y a pas de suivi, la confiance se brise au sein de la communauté mondiale », regrette l’économiste nigériane Zainab Usman, directrice du programme Afrique à la Fondation Carnegie pour la paix internationale à Washington.

la suite après cette publicité

3. Ils ne sont pas assez urgents

Les dirigeants du monde ont adopté les ODD en 2015 pour remplacer les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), un ensemble d’objectifs antérieurs qui avaient été critiqués notamment parce qu’ils ignoraient les besoins de régions comme l’Afrique. « Les OMD étaient trop axés sur des questions sociales telles que la réduction de la pauvreté par opposition à une réflexion sur la prospérité et l’industrialisation, explique Zainab Usman. Les ODD ont réuni les deux mondes. »

Mais en déplaçant l’horizon à 2030, les politiciens ont toutefois privé les objectifs de leur sens de l’urgence, explique Thomas Pogge, directeur du Global Justice Program à l’université de Yale, qui a beaucoup écrit sur les ODD. Il cite des données de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui montrent que l’insécurité alimentaire a atteint des niveaux records vers 2014-2015 – bien avant le Covid-19 et la guerre en Ukraine, souvent utilisés pour expliquer le récent recul. « Je pense que l’attention portée aux ODD et aux progrès réalisés a été très limitée », analyse Thomas Pogge.

4. Ils sont trop vagues

Dès le début, les nobles ODD ont fait l’objet de critiques acerbes. Nombre d’experts les ont déclarés « pires qu’inutiles », mais aussi « insensés, rêveurs et confus », les comparant à « une liste de souhaits que l’on pourrait faire au lycée sur la façon de sauver le monde ».

Les ODD sont vagues, c’est indéniable, puisqu’ils incluent aussi bien la nécessité de vivre « en harmonie avec la nature » que celle de « mettre fin à la pauvreté sous toutes ses formes et dans toutes ses dimensions ». Ce flou est notamment lié au fait que les ODD reflètent les compromis qui ont été faits pendant les négociations. « Ils sont aussi encyclopédiques », regrettait dès 2015 William Easterly, professeur d’économie à l’université de New York. « Quand tout est prioritaire, cela signifie que rien ne l’est. »

Comme ils sont imprécis, les ODD sont peu utiles pour guider les décideurs politiques. Et pour ne rien arranger, les pays ont élaboré leurs propres mesures, parfois discutables, afin de quantifier leurs progrès.

5. Ils sont trop nombreux

Avec 17 objectifs et 169 cibles, allant de l’égalité des sexes à la promotion d’une consommation responsable, les ODD ont toujours été un lourd fardeau pour de nombreux pays africains à court d’argent. La pandémie n’a fait que mettre en lumière le besoin urgent pour le continent de « mieux reconstruire » et de consacrer davantage de ressources à l’inversion de sa dépendance scientifique et technologique, affirme Kasirim Nwuke, directeur-associé chez Mirisak & Associates et ancien cadre de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique.

« Un ensemble plus restreint d’objectifs réalisables permettra aux décideurs politiques en Afrique et ailleurs de protéger, dans la mesure du possible, les réussites du passé récent en matière de santé, d’éducation, de sécurité alimentaire et de pauvreté, a-t-il fait valoir dans un texte publié en 2021 pour la Brookings Institution, à Washington. Les dirigeants devraient alors réorienter ces efforts et envisager d’autres priorités pour garantir de meilleurs moyens de subsistance à long terme que la lutte contre la crise immédiate. »

6. Ils ne sont pas à l’abri de la politique

De fait, c’est aux gouvernements – et donc aux hommes politiques – qu’incombe le soin de choisir les objectifs à privilégier. Selon Shirin Malekpour, professeur associé à l’Institut du développement durable de Monash, à Melbourne, une pression publique soutenue de la part des électeurs et de la société civile est donc nécessaire pour les maintenir sur la bonne voie. « Il est vrai qu’un grand nombre de décisions et de stratégies politiques sont étroitement liées aux cycles électoraux, a-t-elle insisté avant l’ouverture du sommet. Malheureusement, il arrive que les coûts et les avantages à long terme ne soient pas vraiment pris en compte. »

Plus inquiétant encore, selon Thomas Pogge : les données nécessaires pour suivre les progrès effectués ne sont pas à l’abri des interférences. Il cite en exemple la FAO qui a modifié sa méthodologie pour évaluer la sous-alimentation chronique et la Chine, qui a revu à la baisse les données qu’elle accepte de partager. « Bien sûr, la FAO n’est pas en position de refuser », affirme-t-il. D’autant qu’elle est dirigée par un Chinois, Qu Dongyu, et reçoit 12 % de son budget de Pékin.

7. Ils fixent des objectifs plutôt que des droits

L’une des critiques les plus philosophiques portées à l’encontre des ODD concerne leur nature même : en fixant des objectifs plutôt que des droits, les dirigeants du monde peuvent s’attribuer le mérite d’avoir progressé – même faiblement – vers un monde meilleur plutôt que d’avoir à se battre pour améliorer les conditions de vie parfois lamentables de leurs concitoyens.

« Il est moralement inapproprié de comparer le statu quo à un état antérieur, résume Thomas Pogge. Il vaut mieux l’évaluer au regard de ce que nous pourrions faire compte tenu des capacités existantes. »

8. Ils exacerbent les inégalités dans le monde

Malgré leur appel à réduire les inégalités entre les pays et à l’intérieur de ceux-ci (objectif numéro 10), les ODD pourraient, par inadvertance, avoir l’effet inverse. D’une part, explique Thomas Pogge, ils permettent aux États de s’accommoder de progrès insuffisants jusqu’en 2030. En outre, en permettant aux pays de s’attribuer le mérite de leurs propres progrès, les ODD font peser un fardeau plus lourd sur ceux qui accusent les plus grands retards et qui ont le moins les moyens d’y remédier. « D’une certaine manière, ce sont les pays les plus pauvres qui ont la tâche la plus lourde », résume Thomas Pogge.

9. Ils sont difficiles à maintenir dans un monde qui se fracture

La réalisation des ODD nécessite une coopération internationale. Mais au lieu de travailler ensemble, certains pays se montrent du doigt et s’accusent de ne pas en faire assez. Sous le feu des critiques pour leurs prétendues lacunes, les États-Unis, par exemple, ont mis en avant leurs milliards de dollars d’engagement en faveur du Programme alimentaire mondial (PAM) et de l’Unicef, comparé aux contributions relativement dérisoires de la Chine et de la Russie.

« Malheureusement, certains se dérobent face à leurs responsabilités en matière de développement alors même qu’ils colportent de faux récits sur l’engagement des États-Unis en faveur des ODD », a taclé l’ambassadrice américaine auprès des Nations unies, Linda Thomas-Greenfield, dans un discours prononcé le 15 septembre à l’occasion de la présentation du sommet au Council on Foreign Relations, à New York.

10. L’absence de progrès engendre l’apathie

L’ampleur de la tâche fait qu’il est difficile de maintenir l’intérêt du public. Reconnaissant le fossé entre les promesses et la réalité, Linda Thomas-Greenfield a mis en garde contre le risque de tomber dans le « piège du cynisme » et de baisser les bras : « Nous devons être réalistes face aux défis, mais nous ne pouvons pas laisser le réalisme servir d’excuse au cynisme ».

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Contenus partenaires