Le Burundi découvre l’ampleur d’un trafic sexuel largement impuni

Pendant trois mois, Pamela – son prénom a été modifié – a été réduite à l’état d’esclave sexuelle dans une maison de Bujumbura. Elle en est sortie fin 2013, mais attend toujours que justice soit faite.

Une ONG canadienne, Justice et équité, vient en aide aux enfants. © AFP

Une ONG canadienne, Justice et équité, vient en aide aux enfants. © AFP

Publié le 18 février 2014 Lecture : 4 minutes.

Jeune fille de bonne famille aujourd’hui âgée de 16 ans, elle est l’une des nombreuses victimes d’un trafic d’ampleur récemment mis au jour dans ce petit pays d’Afrique des Grands Lacs par une ONG canadienne, Justice et équité. "On commence à peine à en percevoir l’ampleur, mais après des mois d’enquête on constate que le trafic humain, surtout sexuel, atteint des proportions insoupçonnées au Burundi", explique la présidente de l’ONG, Florence Boivin-Roumestan.

Le phénomène touche "aussi bien les enfants de pauvres que les jeunes élèves des milieux urbains", poursuit-elle, "des jeunes filles sont recrutées sur tout le territoire, puis forcées de se prostituer ou vendues à l’étranger", à Oman, au Liban ou au Malawi notamment. Le modus operandi varie peu. Des femmes, souvent d’ex-prostituées, arrivent dans des villages reculés avec de l’argent et des téléphones portables qu’elles distribuent, puis demandent à des parents vivant dans une pauvreté extrême de leur confier leurs fillettes, promettant de leur donner du travail ou de les inscrire à l’école.

Aussi bien les enfants de pauvres que les jeunes élèves des milieux urbains.

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Les enfants sont en fait "enfermés dans des maisons closes", raconte Mme Boivin-Roumestan. En novembre, trois jeunes filles ont été découvertes recluses dans la maison d’un pasteur de Ruyigi (est), alors que leurs parents les croyaient en train d’étudier au Kenya. A Bujumbura, ce sont les jeunes filles de familles aisées qui sont visées, dans les collèges et lycées. Des élèves, recrutés par des proxénètes, jouent le rôle de rabatteurs, en gagnant progressivement leur confiance, avant de les emmener dans une maison où elles sont droguées et violées.

Entre 13 et 15 ans

C’est ce qui est arrivé à Pamela. A 14 ans, dit-elle, des amies l’ont entraînée dans des sorties avec des hommes qui payaient tout, sans rien demander en échange. Puis un jour, elle s’est retrouvée séquestrée dans une maison d’un des quartiers les plus chics de Bujumbura, Kiriri, en surplomb de la ville. "Il y avait des gens en uniforme de police qui nous surveillaient (…) si un client venait, quand tu ne voulais pas, tu recevais des coups", confie-t-elle. Les coups, c’était des claques et surtout des coups de ceinture. Sur les pieds, pour ne pas abîmer son visage.

Pamela a été libérée lors d’un raid de police, après que sa mère eut signalé sa disparition. Par honte, elle n’ose toujours pas rentrer chez elle. Une fois sauvées, de nombreuses victimes sont souvent rejetées par leurs familles. Des maisons comme celle où fut séquestrée Pamela "existent dans tous les quartiers de Bujumbura", assure Mme Boivin-Roumestan. "Même les policiers de proximité, ceux qui travaillent auprès de la population dans les quartiers, les connaissent".

Une fois sauvées, de nombreuses victimes sont souvent rejetées par leurs familles.

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La plupart des victimes ont entre 13 et 15 ans, mais il y a aussi "des enfants de 9, 10 ans", poursuit-elle, estimant difficile d’évaluer le nombre de victimes au Burundi.
Mais à titre d’exemple, dans la petite ville de Rumonge, située à 75 km au sud de Bujumbura et l’une des plus touchées par le "trafic humain sexuel" selon l’étude, la moitié des 50 prostituées majeures interrogées ont raconté avoir été forcées à se prostituer alors qu’elles étaient encore mineures.

"Le chemin sera long"

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Restée durant des années sans moyens, sans effectifs et sans soutien de sa hiérarchie, la chef de la police des mineurs du Burundi, Christine Sabiyumva, dit avoir longtemps bataillé en vain contre le fléau. Aujourd’hui la police a davantage de ressources et a pu récemment fermer plusieurs maisons closes ayant pignon sur rue et démanteler des réseaux.

Plusieurs mineures ont été retrouvées lors d’opérations médiatisées, certaines rapatriées de l’étranger, et le président burundais Pierre Nkurunziza a lui-même pris le dossier en main, assure aussi la présidence. Mais les victimes attendent davantage. Dans le cas de Pamela, une personne a été arrêtée. Mais elle s’est enfui du commissariat, dit la jeune fille qui attend toujours que "ceux qui sont responsables de ce qui (lui) est arrivé soient punis".

Il y a des arrestations tous les jours.

Keza, jeune fille du même âge dont le prénom a aussi été modifié, raconte avoir été l’esclave sexuelle d’un responsable des services de renseignement burundais quand elle avait 15 ans. L’homme en question, dit-elle, ne s’est jamais présenté devant la police malgré plusieurs convocations. Il vient d’être arrêté et écroué après la médiatisation de l’affaire.

"Il y a des arrestations tous les jours, nous avons des réunions avec des ministres, des généraux, des églises, des associations de jeunes, des juristes, tous engagés dans la lutte contre ce trafic", reconnaît Mme Boivin-Roumestan. "Mais tout est à faire, le chemin sera long avant de vaincre ce fléau".

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