Procès Simbikangwa : les Tutsi, des « cancrelats » ? C’est leur faute, affirme l’accusé
« Inyenzi » : cancrelats, ou cafards, le mot a désigné les Tutsi dans les années menant au génocide de 1994 au Rwanda. Cette déshumanisation a favorisé les massacres, selon des experts au procès à Paris de Pascal Simbikangwa, lequel assure que les rebelles tutsi s’étaient choisi ce nom.
Peu à peu ce mot de kinyarwanda, langue nationale commune à la majorité hutu et à la minorité tutsi, a servi à nommer les Tutsi. Et pendant les massacres de 1994, la radio Mille collines, principal "média de la haine" dont l’accusé était un actionnaire fondateur, appelait les masses à la "désinsectisation".
"Dans la période 1990/94 il y a eu un amalgame généralisé, toute personne appartenant au groupe tutsi a été désignée inyenzi", explique à la cour d’assises de Paris Gasana Ndoba, ancien président de la Commission des droits de l’Homme rwandaise.
Mais pour l’accusé, qui rappelle volontiers que sa mère et son épouse étaient Tutsi, ce sont les chefs des Tutsi exilés après la "révolution sociale" hutu de 1959 qui ont choisi le terme d’inyenzi. Pourquoi? Car "le cancrelat est un animal capable de se dissimuler et de rentrer sans se faire voir". La "révolution sociale" avait mis à bas l’ordre hiérarchique de la période coloniale belge, quand la minorité tutsi était dominante et la majorité hutu exclue de toute charge importante.
Mais la plupart des experts du pays conviés à la barre ont assuré que les combattants tutsi en exil se faisaient plutôt appeler inkotanyi, les "lutteurs".
Car pour Jacques Sémelin, de Sciences Po Paris, auteur de "Purifier et détruire", le choix des dénominations est tout sauf accessoire. "On tue à l’avance avec les mots, c’est à travers le langage que se prépare le cadre dans lequel les discours montrent (aux populations) qui haïr. C’est ‘eux ou nous’, et c’est ainsi que le criminel se présente comme innocent de son crime avant même de le commettre".
"Petites personnes sales"
"C’est la mise en route d’un système qui fonctionnera pendant le génocide. Il y a un réseau actif de propagande et d’action avec deux cibles: les Tutsi et ‘l’ennemi intérieur’. C’est de la politique, pas de l’ethnographie," renchérit Jean-Pierre Chrétien, historien spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs.
Le capitaine Simbikangwa, premier Rwandais jugé en France en lien avec le génocide de 1994, ne fuit pas cette interprétation politique, mais en a une vision toute personnelle pour expliquer le passage d’un de ses livres du début des années 1990 dans lequel un jeune enfant demande si "les inyenzi sont des petites personnes sales".
"Si j’ai glissé ce mot de sale, c’est pour dénoncer l’attitude inacceptable du FPR", le Front patriotique rwandais, rébellion tutsi dont la prise du pouvoir en juillet 1994 mit fin au génocide.
"C’était la période des mines (servant aux attentats), ils faisaient peur à tout le monde, ils ont lancé une guérilla dans une population en majorité hostile, tous les penseurs militaires, comme Clausewitz, disent qu’il ne faut pas faire ça". "Après l’offensive de 1990 (lancée par le FPR au mois d’octobre), le mot inyenzi est devenu mauvais, il signifiait un type méchant".
Quelque 800.000 personnes, principalement des Tutsi, ont été tuées en 100 jours entre avril et juillet 1994. Pascal Simbikangwa encourt la perpétuité pour "complicité de génocide".
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