Au Maroc, disparition de Aïcha El Khattabi, fille d’Abdelkrim
La fille cadette de l’émir du Rif, symbole de la résistance face au colonialisme, s’est éteinte ce 20 septembre. Une grande dame connue pour son engagement sans faille auprès des Rifains, et qui a pu compter sur la considération et l’écoute du roi Mohammed VI.
« Si la parole est d’argent, le silence est d’or », affirmait Aïcha El Khattabi dans les colonnes de l’hebdomadaire marocain TelQuel, en 2017. Cette phrase résume à elle seule la discrétion qu’a cultivée tout au long de sa vie la fille cadette du « héros du Rif », symbole de la lutte anticoloniale, feu Abdelkrim El Khattabi (1882-1963). Atteinte de la maladie d’Alzheimer depuis quelques années, Aïcha El Khattabi est décédée ce mercredi 20 septembre à l’âge de 81 ans et a été inhumée à Casablanca.
Mohammed VI et le hirak du Rif
Sa dernière grande apparition publique et médiatique remonte au 30 juillet 2018, à l’occasion de la Fête du Trône, dans le lourd contexte du « hirak du Rif » (mouvement de contestation populaire dans le nord du Maroc). Quelques semaines plus tôt, les meneurs de ce mouvement, dont Nasser Zefzafi, avaient été condamnés par la justice à des peines allant jusqu’à vingt ans de prison, après un procès fleuve de neuf mois.
Aïcha El Khattabi, dont le père est toujours considéré comme un héros par les populations rifaines, s’était alors fendue d’un courrier adressé au roi Mohammed VI afin d’exprimer son opposition à des sanctions si sévères. Le souverain avait profité de la Fête du Trône pour la recevoir en audience privée, afin d’échanger avec elle sur les défis et le destin de cette région. Juste avant, le monarque avait prononcé un discours depuis Al Hoceima (Rif) dans lequel il appelait à de vastes réformes socio-économiques – notamment dans cette région –, ainsi qu’à la « stabilité ».
Après cette entrevue, Aïcha El Khattabi avait exprimé sa « fierté » d’avoir été reçue par le roi Mohammed VI, qu’elle a toujours trouvé « charmant », « respectueux », rappelant que son père, Abdelkrim El Khattabi, n’avait jamais fondé une république du Rif pour des motifs séparatistes, mais pour lutter contre le colonialisme européen en Afrique du Nord. Elle avait aussi manifesté sa volonté de rapatrier la dépouille de son défunt père – enterré au Caire –, ce qui n’a toujours pas été fait.
L’exil et le retour au Maroc
Aïcha El Khattabi est née en 1942 à la Réunion, une île située dans l’océan Indien, où son père, « résistant rifain », a été envoyé en exil par les autorités coloniales françaises avec toute sa famille dès 1926. En 1947, Abdelkrim reçoit l’autorisation de s’installer dans le sud de la France. Sa famille et lui voyagent à bord d’un navire civil français, qui fait escale à Port-Saïd, en Égypte. C’est là que les hommes du roi Farouk en profitent pour exfiltrer les Khattabi et leur offrir l’asile au Caire.
Aïcha, qui n’a que 5 ans, comprend à ce moment-là le poids politique de son père dans le monde arabe, et au-delà. C’est donc en Égypte qu’elle grandit et passe son baccalauréat au sein du American College for Girls. Entre-temps, sa maison voit défiler les plus grands leaders de la région : le roi Senoussi de Libye, Habib Bourguiba de Tunisie, Ahmed Ben Bella d’Algérie ou encore Mohammed V, roi du Maroc, qui a d’ailleurs demandé à El Khattabi de rentrer au bercail, en vain.
En 1964, après le décès de son père et son mariage avec Mustapha Boujibar, fidèle soutien financier de la lutte anticoloniale d’Abdelkrim, Aïcha s’installe au Maroc. Habituée à entretenir des relations cordiales avec Hassan II, elle se liera d’amitié avec une princesse, et fera également la rencontre du prince héritier, futur Mohammed VI. Elle sera également très proche de Mansouri Ben Ali, conseiller royal, originaire du Rif, et considéré comme un « frère » par Abdelkrim, ce qui facilitera grandement le contact avec le Palais, notamment l’entrevue de 2018.
Conseillère au sein de la Fondation Mohamed-Abdelkrim-El-Khattabi, membre active de la Société musulmane de bienfaisance, elle a également assuré la direction de la clinique Villa Clara, à Casablanca, de 1991 à 2006. Lorsque cet établissement hospitalier a fermé ses portes, après le décès de son époux, elle a fait don de l’ensemble du matériel médical à l’hôpital d’Al Hoceima. Car si l’eau a coulé sous les ponts, Abdelkrim demeure une icône dans le Rif, un « symbole contre l’injustice et l’arbitraire », selon Aïcha El Khattabi, qui n’a jamais cessé de cultiver ses contacts sur place ni de s’engager pour le développement de cette région.
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