Venance Konan : « L’héritage de Bédié est contrasté »
Le décès de l’ancien président Henri Konan Bédié, l’avenir du PDCI, les bons scores du RHDP aux élections locales… L’écrivain Venance Konan revient sur la riche actualité politique ivoirienne de ces derniers mois.
L’ACTU VUE PAR – Éditorialiste et écrivain, auteur d’une dizaine d’ouvrages – qui lui ont valu plusieurs prix – et ancien directeur général du quotidien national Fraternité matin, Venance Konan est un fin connaisseur de la vie politique ivoirienne.
Membre du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir), il partage son temps entre Abidjan et Daoukro, le fief d’Henri Konan Bédié, décédé le 1er août, où il s’est personnellement investi auprès des candidats de la majorité présidentielle aux élections locales.
Jeune Afrique : Le 5 août, vous avez signé un texte dans Fraternité Matin intitulé « Il pleuvait ce soir-là », consacré au jour de la disparition d’Henri Konan Bédié, le 1er août. Vous vous interrogiez alors : « Comment Pepressou – son village natal -, Daoukro et le PDCI [le Parti démocratique de Côte d’Ivoire] survivront-ils à ce départ ? ». Avec davantage de recul, quelles réponses apportez-vous à cette question ?
Venance Konan : Le petit village de Pepressou et la ville de Daoukro ont connu de tels destins parce que l’un de leur fils, Henri Konan Bédié, fut le puissant ministre de l’Économie de Félix Houphouët-Boigny, durant les années fastes de la Côte d’Ivoire, puis le président de la République pendant six ans. À Pepressou, toutes les vieilles cases ont été rasées pour être remplacées par de coquettes villas durant sa présidence. Quant à Daoukro, elle était partie pour ressembler à Yamoussoukro, le village natal d’Houphouët-Boigny. On venait de terminer la construction d’un palais des congrès de 3 000 places, d’un héliport, et de larges voies lorsque le coup d’État de 1999 est arrivé. Tout s’est donc arrêté dans la ville et dans le village depuis cette date.
Jusqu’à son décès, Bédié a couvert les frais de dizaines de personnes pour les décès, les soins de santé, la scolarité des enfants, les mariages, les naissances, etc… Les populations ont longtemps espéré un retour au pouvoir de leur bienfaiteur. Avec son décès, il n’y a plus d’espoir. Je ne vois pas qui aura les moyens ou même l’envie d’entretenir tous ces gens. Pour ce qui est du développement de la ville et du village, il faudra que les populations s’y mettent elles-mêmes. Sinon, ces localités tomberont très vite dans l’oubli.
En ce qui concerne le PDCI, il y aura de la bagarre pour succéder à Bédié. Personne ne s’est encore prononcé, vu qu’il n’a pas encore été enterré, mais dès qu’il sera en terre, on peut parier que les couteaux sortiront. Et j’ai bien peur que le parti n’en sorte très affaibli ou même qu’il ne disparaisse. Parce que je ne vois pas encore qui a l’aura, la légitimité historique et les moyens de Bédié pour entretenir ce parti et le maintenir unifié. Il faut craindre qu’un bon nombre de ses cadres et militants ne cèdent aux chants de sirène du RHDP.
Plus largement, quel héritage laisse Henri Konan Bédié à la Côte d’Ivoire ?
L’héritage de Bédié est contrasté. Pour bon nombre d’Ivoiriens, il est le père de l’ivoirité qui a fracturé la Côte d’Ivoire et l’a conduite à la guerre civile en 2002. C’est sous son pouvoir que le PDCI, le parti fondé par Houphouët-Boigny, s’est rétréci comme peau de chagrin pour ne rayonner en fin de compte que sur sa région d’origine. Mais pour ses plus fervents défenseurs, il est un homme de paix qui a préféré perdre le pouvoir plutôt que de faire couler le sang des Ivoiriens. Je crois que leur admiration pour Bédié est à la hauteur de la haine qu’ils vouent à Alassane Ouattara.
Les dernières élections locales, organisées le 2 septembre en Côte d’Ivoire, ont vu le RHDP asseoir un peu plus sa domination. Est-ce une bonne chose ? Quelle est la part de responsabilité de l’opposition dans ce raz-de-marée ?
C’est dangereux pour la démocratie quand il n’y a pas d’opposition significative. Même si l’opposition est minoritaire, elle doit être suffisamment forte pour faire entendre sa voix et peser sur la marche du pays. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, on ne peut pas blâmer le parti au pouvoir. L’opposition a le défaut d’être dirigée par de vieux leaders, qui ont déjà présidé aux destinées du pays et n’ont pas laissé de souvenirs impérissables aux Ivoiriens en matière de développement.
Face aux grands travaux d’infrastructures réalisés actuellement par le pouvoir, les électeurs n’ont pas beaucoup hésité, sauf dans la région de l’Iffou, d’où Bédié est originaire et où l’émotion provoquée par sa mort a prédominé sur tout le reste. Le pouvoir devrait veiller à ne pas prendre la grosse tête et chercher à écraser ou avaler ce qu’il reste de son opposition.
Le Parti des peuples africains de Côte d’Ivoire (PPA-CI), la formation de Laurent Gbagbo, a raté son premier test électoral. Est-ce la fin politique de l’ancien président pour autant ?
Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié auraient dû se retirer de la politique depuis leurs retours d’exil respectifs. Gbagbo a complètement raté son retour avec le traitement qu’il a fait subir à son épouse Simone à l’aéroport d’Abidjan. Ensuite, plutôt que d’unifier son parti, il s’est ingénié à le diviser avec la création de sa propre formation, le PPA-CI. Simone Gbagbo a lancé son parti, Charles Blé Goudé a conservé le sien. De plus, c’est un homme physiquement affaibli que les Ivoiriens voient, et il ne fait vraiment plus rêver comme ce fut le cas lorsqu’il fit son apparition sur la scène politique ivoirienne, dans les années 1990. Il devrait tirer les leçons de tout cela et se chercher une sortie honorable.
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