Séismes, épidémies, famines… Ces fléaux qui ont ravagé le Maghreb

Au Maroc comme en Libye, les récentes catastrophes naturelles sont venues rappeler que l’Afrique du Nord a toujours été une zone sujette aux cataclysmes de toutes sortes. Rappel historique.

Agadir, au Maroc, après le séisme du 29 février 1960, qui fit quelque 12 000 morts. © LE CAMPION/SIPA

Publié le 30 septembre 2023 Lecture : 6 minutes.

Séisme dévastateur au Maroc. Inondation meurtrière en Libye. En moins d’une semaine, le Maghreb a été frappé de plein fouet par des catastrophes naturelles. Comme toujours, les populations, et surtout les médias, ont convoqué le concept galvaudé de « sidération », parlant de catastrophes survenues à la surprise générale et soulignant l’absence totale de signes annonciateurs.

Tout cela est vrai… et faux à la fois. L’histoire, mais aussi les anciens, font un tout autre récit, pour peu que l’on prenne la peine de s’y arrêter. Le Maghreb ne se résume pas, ne s’est jamais résumé à des plages dorées, à un ciel azur et à des plaines fertiles. Tout au long des siècles, les malheurs qui l’ont frappé étaient légion. Sécheresse, épidémies, invasions de sauterelles, famines et séismes ont ponctué le quotidien des Marocains, des Algériens, des Tunisiens ou des Libyens.

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Une zone sismique active

Le terrible séisme qui a frappé le Maroc début septembre, par exemple, a de nombreux précédents. Pas de tergiversation géologique possible : quand ils parlent du Maghreb, les sismologues évoquent une « sismicité modérée à forte ». La raison est à chercher du côté de la lithosphère : la plaque africaine et la plaque eurasienne se rapprochent de plusieurs millimètres par an, la première plongeant sous la seconde. Et le Maghreb se situe juste à la limite de ces deux plaques. Le Maroc, lui, est à cheval sur celles-ci. Ce qui explique la violence du séisme d’Al Haouz, ou celui d’Al Hoceima, dans le nord du royaume, le 24 février 2004.

Et ces tremblements de terre meurtriers ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Avec les plaques toujours en mouvement, les sismographes s’affolent : on recense pas moins de cinquante mouvements par mois sur une ligne allant d’Agadir à Gabès. Ils sont bien sûr imperceptibles pour le quidam. Aussi, tout naturellement, la mémoire collective ne retient-elle que les séismes meurtriers et destructeurs. La liste est longue. Sfax, en Tunisie, en septembre 1993, Chlef (ex-Al Asnam) en Algérie, en 1954 et en 1980, Boumerdès, également en Algérie, en 2003. Ces tremblements de terre dévastateurs sont toujours d’une magnitude supérieure à 6,5 sur l’échelle de Richter.

Le récent séisme d’Al Haouz n’est d’ailleurs pas le plus puissant que le Maroc ait connu, quoi que disent certains médias. Celui du 28 février 1969 avait en effet atteint 7,8 sur l’échelle de Richter, contre 6,8 pour Al Haouz . L’épicentre de ce tristement célèbre « 1969 Portugal Earthquake » se situait en plein océan Atlantique, et c’est une réplique survenue 24 heures plus tard – d’une intensité de 5,8 – qui avait dévasté la ville d’Agadir, faisant environ 15 000 morts.

Aussi loin que l’on remonte, le Portugal et le Maroc semblent d’ailleurs associés dans cette danse tellurique macabre. Le mégaséisme du 1er novembre 1755 toucha ainsi toute la péninsule Ibérique et le Maghreb. Les chroniques – et Voltaire lui-même, dans son Candide paru en 1761 et dans son Poème sur le désastre de Lisbonne – évoquent le « séisme de Lisbonne », qui coûta la vie à au moins 50 000 personnes. 80 % de la capitale portugaise fut réduite en poussière – ou en cendres – par un gigantesque incendie, accompagné d’un tsunami.

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« Certaines montagnes se disloquèrent »

Ce que certains ont oublié, c’est que la catastrophe de 1755 frappa aussi très durement le Maroc. De Tanger à Santa-Cruz (Agadir), le littoral fut balayé par des vagues gigantesques. Dans l’arrière-pays, Fès et Meknès payèrent un lourd tribut. « Le samedi 26 moharrem 1169 H, à l’aube, la terre trembla et s’inclina à l’Est et à l’Ouest pendant 5 minutes, et on entendit un fracas comparable à celui des meules de moulin […]. Les sources devinrent troubles et il y eut un arrêt dans le courant de certaine rivières […]. Les moellons des maisons furent réduits en poussières […]. On apprit aussi que certaines montagnes se disloquèrent, dont une près de Sidi Bouchta, dans l’Ouergha », rapporte l’historien marocain Ibn al-Tayyib al-Qadiri, témoin direct de la catastrophe.

Quant au tsunami, un autre historien marocain, Al-Naciri, raconte que « les eaux de l’océan s’élevèrent au-dessus de la muraille d’El Jadida et se répandirent dans la ville. Un grand nombre de poissons restèrent dans la ville quand la mer fut rentrée dans ses limites habituelles. La mer déborda aussi sur les terrains de pâture et de culture, ainsi que sur les redoutes, qu’elle rasa complètement ». Et l’histoire de la région regorge d’événements comparables : Rabat-Salé (1755), Marrakech (1719), Fès (1522, 1624, 1755), Meknès (1755), Agadir (1731, 1761). Ou, en Algérie, Alger (1365, 1716), Blida (1601, 1716, 1760, 1770, 1825…), Biskra (1869), etc.

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Difficile de se faire une idée exacte du nombre de victimes. En tout cas, les écrits témoignent d’une désolation profonde, les citadins fuyant généralement les médinas pour la campagne. « Il a fallu l’intervention du gouverneur de la ville qui, sur le conseil du cadi, invita la population à revenir dans ses murs, sans quoi Meknès serait demeurée déserte », assure de nouveau Al-Qadiri. L’idée de gestion d’après-crise n’a donc rien de nouveau, même si à ces époques lointaine, elle semble s’être faite à la va-vite : les cadavres étaient inhumés dans des fosses communes par peur des épidémies, très fréquentes alors et omniprésentes dans l’esprit des populations et des autorités.

Le trio épidémie-sécheresse-famine

Le terrible séisme de 1755 avait d’ailleurs été précédé de deux périodes épidémiques sévères entre 1742 et 1744, puis entre 1747 et 1751. Quelques décennies plus tard, la peste frappa à nouveau, en 1784, puis en 1798. Paralysant la société, elle fut suivie d’effroyables disettes et d’une surmortalité qui toucha toutes les tranches d’âge. En 1798, la maladie fut tellement mortifère que le Maroc accepta la mise en place d’un conseil sanitaire européen installé à Tanger, depuis peu capitale diplomatique.

Au XIXe siècle, l’Europe enregistra les premières avancées vaccinales et hygiéniques, mais au Maghreb, on vivait encore sous le règne des « quatre T » (teigne, trachome, tuberculose et typhus). Auxquelles, pour ne rien arranger, vinrent s’ajouter les « trois S » (sauterelles, sécheresse et sirocco). En 1818 et en 1878, deux terribles épidémies de choléra décimèrent les populations maghrébines. Souvent, ce sont les caravanes de pèlerinage à la Mecque – sillonnant l’Afrique du Nord, de Fès à Alexandrie via Tlemcen – qui étaient les vecteurs de transmission.

Dans ces périodes de crise, la famine venait généralement se greffer au choléra. Les greniers fortifiés étaient vides, le prix des grains flambait et la sécheresse ajoutait l’insulte à l’injure. Les populations mouraient d’inanition. Les ruraux fuyaient alors vers les villes, aggravant la situation sanitaire et alimentaire. C’est ce qui incita en 1879 le régent, Ba Ahmed, à créer une marine marchande pour pouvoir transporter rapidement les céréales vers les zones touchées. Plus tard dans le siècle, le développement de la navigation à vapeur et les quarantaines imposées aux navires dans les ports atténueront considérablement l’impact épidémique.

Au tournant du XIXe et du XXe siècles, c’est la syphilis qui fit à son tour des ravages. En 1920, on estimait que 75 % des Maghrébins en étaient porteurs. Dans ces années-là, toutefois, les épidémies marquent le pas. L’assistance médicale indigène mise en place par les Français sensibilise les populations et mène un travail prophylactique de fond. Malgré certaines réticences, on vaccine à tour de bras.

Le contrecoup des guerres mondiales

Un effort réel mais qui ralentit lors des deux guerres mondiales. En 1914-1918 comme en 1939-1945, la priorité allait aux zones de combat, au détriment de l’arrière. Au Maghreb, cela eut de lourdes conséquences sociales. La pénurie du personnel médical entraîna une recrudescence du typhus et de la peste, comme à Casablanca ou à Alger en 1945. Les produits vivriers se raréfièrent également. Le rationnement engendra la malnutrition et la sous-nutrition. Les Américains fournirent des vivres, mais on était bien en-deçà des calories requises. La famine revint. 1945 est « l’année des herbes » : le Rif et la Kabylie ont faim, on se nourrit de racines et de bulbes déterrées.

Face à toutes ces catastrophes naturelles, les populations allaient souvent chercher des réponses dans la foi. On voyait dans les fléaux qui frappaient l’Afrique du Nord des signes divins, des cataclysmes qui annonçaient la fin des temps. N’est-il pas écrit dans le Coran que « lorsque la terre entrera dans sa dernière convulsion et mettra à nu ses entrailles, l’Homme dira “Qu’a-t-elle ?” Ce jour-là, les hommes accourront de tous côtés pour être mis en face de leurs œuvres » ? D’autres encore rappelaient que la Terre repose sur la corne d’un taureau : le basculement d’une corne à l’autre la fait bouger.

Des réactions qui prêtent aujourd’hui à sourire. Encore que, à propos du séisme d’Al Haouz, le parti islamiste marocain PJD n’a-t-il pas cru bon d’expliquer que « ce qui est arrivé est peut-être le résultat de nos péchés » ? Finalement, rien ne change vraiment. À l’irrationalité supposée de la nature vient toujours répondre l’irrationalité de certains hommes.

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