Arabengers, un collectif de femmes qui racontent le Maroc autrement

Après le succès d’un premier événement consacré à l’Algérie, ce collectif, qui réunit des personnes mi-Arabes et mi-Avengers et toutes issues du monde de la culture et des médias, parle du Maroc à travers une série de tables rondes et de concerts au Docks B, à Pantin (région parisienne).

Les cofondatrices d’Arabengers Donia Ismail, journaliste à Slate.fr et Nadia Bouchenni, journaliste indépendante, accompagnées pour l’événement de Nora Noor, photographe. Le 26 septembre 2023, à Pantin. © François Grivelet pour JA.

eva sauphie

Publié le 13 octobre 2023 Lecture : 5 minutes.

Elles n’ont pas de super-pouvoirs comme les personnages de la série Marvel qui a inspiré leur nom de collectif, choisi au départ pour la blague. Mais elles sont, pour sûr, les héroïnes de leur propre récit. C’est pour raconter leurs pays d’origine, loin des poncifs habituels, que les filles d’Arabengers (contraction des mots « arabes » et « Avengers », donc), ont monté il y a un an la première édition de l’événement Raconter l’Algérie, à l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance du pays.

« Dans les médias, on était exclus du récit de la guerre et de l’indépendance. Quantité de débats s’organisaient autour de cette commémoration, mais sans les descendants d’Algériens », se souvient la journaliste Donia Ismail, 25 ans, l’une des huit fondatrices du collectif. « On a donc créé le nôtre, en trois semaines, pour affirmer notre existence. »

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Un espace sans jugement

Le collectif fait alors un état des lieux des mémoires de la guerre d’Algérie, identifie des intervenants concernés par le sujet et met en place un volet festif avec une série de concerts, dont celui de Medine et Tif, en guest star. Ce jour-là, pas moins de 500 personnes font le pied de grue devant la Flèche d’or, à Paris. « C’était la preuve qu’il y avait un besoin. Les Algériens représentent la première diaspora en France, et on ne parle jamais d’eux, sinon de façon biaisée. On a voulu créer un espace de discussion sans jugement, où l’on peut se célébrer, car notre joie est politique », s’enthousiasme celle qui écrit sur le monde arabe et ses diasporas pour le média Slate.fr.

Cette année, les filles, qui viennent d’Algérie, du Maroc, de Tunisie, d’Égypte, de Palestine, du Liban ou encore d’Albanie, se sont structurées en association. Il leur a fallu cinq à six mois pour mettre sur pied cette deuxième édition. Et elles comptent bien revenir chaque année pour célébrer un nouveau pays. Au côté de Donia Ismail gravite un gang exclusivement composé de femmes (un hasard), toutes issues du monde de la culture et des médias. Parmi elles : les journalistes et éditrices Nadia Bouchenni et Ouafae Mameche, la chercheuse Hajer Ben Boubaker, l’autrice Farah Khodja et la réalisatrice Lina Soualem (Leur Algérie, Bye Bye Tiberiade).

À quelques jours de la deuxième édition, Raconter le Maroc, deux d’entre elles se sont donné rendez-vous pour repérer les lieux, en compagnie de la photographe Nora Noor, qui animera la table ronde « Le Maroc en images ». Sur les murs de béton brut du Dock B, un espace pluridisciplinaire situé sur les rives du canal de l’Ourq, à la périphérie de Paris, l’artiste visualise déjà la scénographie de sa série sur les hanout, ces épiceries marocaines qui participent à l’économie du pays. Des tirages sur tissu en grand format, quelques A4 et formats carte postale habilleront la mezzanine de style industriel. « Et si on mettait des cartels ? », s’interroge Donia. « Le titre suffira », rétorque l’intéressée qui a réalisé ce projet lors d’une résidence à Casablanca, en 2019. « La thématique, c’est l’espace public marocain et le regard que la diaspora porte sur cet espace une fois là-bas, explique Nora. Cette expo est aussi un hommage aux Marocains de France qui ont déplacé ici ce type de commerces. »

Les Marocains de l’extérieur participent aussi à la richesse culturelle du pays. Nous nous nourrissons les uns les autres

Créer des ponts tout en étant ancré dans la réalité des pays concernés, c’est une difficulté à laquelle se heurtent de nombreux descendants d’Afrique. « On ne veut pas se substituer aux Marocains du Maroc, on ne fait que relayer [les informations et expériences vécues], notamment grâce aux intervenants », admet la journaliste et éditrice Nadia Bouchenni, qui a tenu à ce qu’une association marocaine soit présente lors de l’événement pour lever des fonds en faveur des victimes du séisme qui a frappé le Maroc le 8 septembre. « Mais les Marocains de l’extérieur participent aussi à la richesse culturelle du pays. Nous nous nourrissons les uns les autres. »

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« Prendre le temps de la réflexion »

Parmi les sujets qui seront abordés : les migrations et les luttes ouvrières. « On a toujours entendu dire que la première génération avait courbé l’échine, qu’on ne l’entendait pas. C’est une vision qu’on nous a imposée et qui est erronée. Ces ouvriers marocains qui travaillaient dans les mines françaises se sont organisés – notamment via l’Association des travailleurs marocains de France dès 1961, devenue l’Association des travailleurs maghrébins de France vingt ans plus tard –, sauf qu’on ne leur a pas donné de crédit », pointe Nadia. « La métallurgie, les mines sont des éléments fondateurs de notre histoire. C’était important pour nous de raconter comment ces industriels français sont allés chercher des Marocains. Si la France fait partie des grandes puissances, c’est en partie grâce à ces hommes-là, complète Nora. On va avoir plein de chibanis et de papas à l’événement, c’est trop cool ! », rebondit Donia.

Avec une idée à la seconde, les filles se comprennent et se complètent. Et c’est sans doute-là, la force de leur projet. Elles qui travaillent sur les mêmes thématiques et qui, pour certaines, ne trouvent pas toujours l’espace nécessaire dans les médias traditionnels auront tout le loisir de raconter le rap, ou encore le football au Maroc, au cours de ces tables rondes.

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« Les thèmes que l’on aborde sont souvent taxés de sujets communautaires ou de niche. Il y a par ailleurs une suspicion de non-neutralité et de militantisme. De fait, ce sont souvent les personnes non-racisées qui s’emparent de ces débats », constate Nadia. Toutes ont également à cœur de sortir des discours « stigmatisants » qui polarisent le débat public, comme dernièrement le débat sur l’abaya ou celui des émeutes consécutives à la mort de Nahel. « On est évidement sensibles à ces questions, mais on en discute entre nous. Car on ne veut pas créer un événement dans la réaction ni dans l’émotion, souligne la journaliste indépendante. On veut penser nos événements en dehors de la scène politique française, et prendre le temps de l’analyse et de la réflexion. »

Un temps nécessaire qui sera aussi celui de la célébration, avec une série de concerts d’artistes, tous originaires du Maroc (Tawsen, Asma, Rita l’Oujdia, Anys et Wassim), un marché de créateurs marocains, et un corner de street food emmené par la cuisine de Souad.

Raconter le Maroc, le 14 octobre 2023 au Dock B, à Pantin (93)
Tables rondes de 14 heures à 19 h 30 suivies d’une série de concerts dès 21 heures

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