CAN 2025 : les dessous du retrait de l’Algérie face au Maroc

La veille de l’attribution de l’organisation des Coupes d’Afrique des nations 2025 et 2027, l’Algérie, candidat sérieux, a surpris tout le monde en annonçant son désistement. Pourquoi et comment cette décision a-t-elle été prise ?

Walid Sadi (à g.), lors de son élection à la tête de la Fédération algérienne de football (FAF), à Alger, le 21 septembre 2023. © Billel Bensalem / APP/NurPhoto via AFP

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Publié le 29 septembre 2023 Lecture : 6 minutes.

Ce ne sont pas les alertes, les mises en garde et les avertissements qui ont manqué. Pourtant, aucun responsable n’a daigné les prendre en considération. Il aura fallu attendre la veille de la réunion, au Caire, du comité exécutif de la Confédération africaine de football (CAF) pour que l’Algérie retire sa candidature pour l’organisation des CAN 2025 et 2027.

Comme on s’y attendait, le Maroc accueillera la phase finale de la Coupe d’Afrique des nations 2025, celle de 2027 ayant été attribuée au trio Kenya-Ouganda-Tanzanie. L’Algérie, qui faisait pourtant figure de candidate crédible, attendra encore au moins six ans avant d’espérer organiser un tel rendez-vous africain.

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C’est mardi 26 septembre que le nouveau président de la Fédération algérienne de football (FAF), Walid Sadi, a annoncé le retrait des deux candidatures. La veille, il avait été reçu par le président Tebboune au palais d’El Mouradia. Explication officielle de ce double retrait : la FAF se consacrera désormais à sa nouvelle approche relative à la stratégie de développement, de réorganisation et de redynamisation du football en Algérie.

Évidemment, cette explication avancée par le nouveau patron du football algérien ne convainc pas grand monde. Et ce, d’autant plus que les autorités algériennes répétaient à l’envi que leur dossier, déposé en décembre 2022 auprès de la CAF au Caire, était en béton. « Notre dossier est solide et consistant, soulignait celui qui était alors ministre de la Jeunesse et des Sports, Abderrazak Sebgag. Contrairement à d’autres candidatures, l’Algérie a des installations déjà opérationnelles. » Les explications de la FAF sont d’autant moins convaincantes que le dossier est réellement consistant et que l’Algérie a déjà fait ses preuves en organisant avec succès les Jeux méditerranéens d’Oran en 2020 ainsi que le Chan en 2023.

Réactions et polémiques

Camouflet, dérobade, sage décision, un bien pour un mal… Depuis l’annonce du retrait algérien et de l’attribution de la CAN 2025 au voisin de l’Ouest, polémiques, critiques et supputations vont bon train sur les réseaux sociaux, devenus dans le pays les seuls espaces d’expression libre et non contrôlée, sur les vraies raisons de ce que d’aucuns qualifient d’humiliation face au Maroc.

« Des alertes ont été lancées depuis plus d’une année sur le fait que les chances de l’Algérie sont minimes face au Maroc, admet un fin connaisseur des arcanes du football africain. Des recommandations et des conseils amicaux ont été adressés aux autorités afin de reconsidérer ces candidatures. On n’a simplement pas été écouté. » La première alerte survient le 27 juin 2023, lorsque le ministre du Budget et président de la Fédération royale marocaine de football (FRMF), Fouzi Lekjaâ, s’exprime lors d’une séance au Parlement marocain sur la candidature de son pays pour l’organisation de la CAN 2025.

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« La ville de Fès possède un grand complexe d’une capacité de 40 000 places, déclare alors Lekjaâ devant la Chambre des représentants. Et, incha’Allah [sic], ce complexe aura l’honneur d’accueillir la CAN 2025 quand notre pays en obtiendra l’organisation. » Pour les Algériens, les propos du patron du football marocain constituent une preuve que les dés étaient déjà pipés au profit de la candidature de son pays au détriment de celle de l’Algérie.

Celèbre commentateur sur la chaîne beIN Sports et un des experts les plus écoutés du football africain et arabe, Hafid Derradji conseille alors à la FAF de retirer sa candidature pour la CAN 2025. Il n’est pas le seul à prodiguer un tel conseil. « Des membres de la CAF ont dit aux Algériens de ne pas se porter candidats, assure une source proche de certains patrons de fédérations africaines. Ils leur ont gentiment expliqué que le Maroc avait déjà sécurisé les votes en sa faveur. »

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Manque d’influence à la CAF

Une autre source au fait du dossier algérien confirme : « Dès que Lekjaâ s’est exprimé devant le Parlement marocain, nous avons alerté les autorités algériennes sur le fait que le match était perdu d’avance. Elles auraient dû se désister ce jour-là. »

La deuxième alerte, encore plus sérieuse, intervient le 13 juillet, lorsque l’ancien président de la FAF, Djahid Zefizef, échoue à se faire élire au comité exécutif de la CAF après avoir été platement battu par son rival libyen Abdelhakim Al-Shelmani par 15 voix contre 38. Pourtant Zefizef n’a pas ménagé ses efforts pour promouvoir sa candidature, soutenue par l’appareil diplomatique de son pays. L’échec est d’autant plus cuisant que l’Algérie venait d’organiser, avec un succès reconnu, le Chan. Les Algériens ont beau accuser le patron de la FRMF d’avoir usé de son influence en coulisses, et d’avoir même soudoyé des membres de la CAF pour torpiller la candidature de son homologue marocain, ce dernier n’a même pas capté la moitié des voix de son rival libyen.

« La défaite de Zefizef symbolise la perte d’influence de l’Algérie au sein de la CAF, décrypte encore notre source. L’ancien patron du foot algérien Mohamed Raouraoua (2001- 2005 et 2009-2017) avait un poids réel, aussi bien au sein de la CAF que de la Fifa. Il avait un réseau, un carnet d’adresses et savait entretenir ses relations parmi les patrons de fédération africaines. Zefizef n’avait ni l’expérience ni l’expertise, et encore moins le poids de Raouraoua. Son échec à se faire élire aurait dû être pris comme une deuxième alerte sur le peu de chances de l’Algérie face au Maroc. »

À mesure que la date de l’attribution officielle approche, les signaux qui arrivent des instances du football africain ne laissent aucun doute : les chances de l’Algérie de décrocher l’organisation de la CAN 2025 ou 2027 sont minces, voire nulles. Faut-il maintenir les deux candidatures au risque de subir un flop monumental face aux Marocains ? Dans le contexte de tensions, de rivalité, d’hostilité et de nervosité entre les deux voisins, le prix d’une humiliation est trop élevé. Faut-il se désister et attendre des vents favorables dans six ou dix ans ?

Au-delà des considérations sportives, la décision d’Alger s’explique aussi par un autre motif, lié à la situation politique intérieure. Car à supposer que l’Algérie ait décroché l’organisation de la CAN 2025, la compétition aurait débuté seulement un mois après l’élection présidentielle de décembre 2024. Or trop d’incertitudes entourent ce rendez-électoral crucial. Si une éventuelle candidature de Abdelmadjid Tebboune à sa propre succession n’est pas encore d’actualité, le pays sera de toute façon totalement focalisé sur cette échéance et sur la campagne électorale à partir de l’automne 2024.

Ce qui ne laisse pas assez de temps pour se concentrer sur la préparation, sur l’organisation et sur la tenue d’une CAN. Par ailleurs, dans quel état sera l’Algérie après la présidentielle de décembre 2024 ? Même le plus avisé des astrologues ne saurait le dire.

Décision de dernière minute

Face à cette avalanche d’indices négatifs, c’est pourtant à la toute dernière minute, et plus précisément durant le week-end précédant le vote de la CAF au Caire, que la prise de décision s’est accélérée. Le ministre des Sports, Abderrahmane Hammad, qui a succédé à Abderrazak Sebgag en mars 2023, a alors été approché par des intermédiaires lui conseillant de procéder au retrait pur et simple des deux candidatures. Une correspondance a été alors adressée au Premier ministre pour plaider cette option. Avisée à son tour, la présidence de la République a décidé de provoquer une audience lundi 25 septembre avec le nouveau président de la fédération algérienne, qui a lui aussi plaidé en faveur du retrait. C’est à l’issue de ce tête-à-tête que la décision a été entérinée.

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