L’économie ralentit, accélérons la transition énergétique !
Pour réduire sa dépendance aux hydrocarbures, il est urgent pour l’Afrique d’amorcer la réforme de son mix énergétique. Une transition qui ne se fera pas sans le secteur privé.
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Mayecor Sar
Directeur Exécutif du Think Tank Think Africa 2050
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et Ibrahim Zakariao
Directeur du pôle scientifique de l’ONG Light-On
Publié le 1 octobre 2023 Lecture : 5 minutes.
La pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, dont les effets continuent de se faire lourdement ressentir sur l’économie mondiale, ont rappelé les liens étroits qui existent entre énergie, développement économique et bien-être des populations. En effet, la flambée des prix des matières premières et l’effondrement des chaines d’approvisionnement provoqués par ces deux crises successives, ont engendré un recul considérable de la croissance économique mondiale et un retour inquiétant de l’inflation.
Aujourd’hui, plus de la moitié de l’énergie produite sur le continent provient de sources fossiles. La région enregistre une croissance importante de sa demande du fait de l’augmentation de la population et de l’exode rural. Cette dépendance aux hydrocarbures a des conséquences négatives à la fois sur l’environnement, la santé et l’exposition du continent à la volatilité des prix mondiaux de l’énergie.
Un défi pour les gouvernements
Ne disposant pas de réserves de pétrole et de gaz conséquentes, les pays industrialisés d’Europe, eux, sont constamment à la recherche de nouveaux marchés d’approvisionnement dans des pays producteurs d’énergies fossiles tels que le Nigeria, l’Algérie, la Libye ou encore le Sénégal et la Mauritanie.
La baisse des dépenses publiques contraint les pays du continent à recourir davantage aux énergies fossiles
Corollaires de cette demande en constante progression, les pressions géopolitique, économique, sociale et environnementale risquent de contraindre les pays africains à faire des choix énergétiques en inadéquation avec leurs priorités stratégiques du moment. Il est donc urgent pour l’Afrique d’amorcer la réforme de son mix énergétique en maximisant son potentiel d’énergies renouvelables, tout en assurant un accès à l’énergie pour tous.
Une des conséquences premières du ralentissement économique est la limitation des budgets nationaux induisant des coupes importantes dans les programmes « non essentiels », y compris ceux consacrés à la transition énergétique. Les infrastructures et les technologies durables étant les plus touchées par cette baisse des dépenses publiques, les pays du continent sont contraints de recourir davantage aux énergies fossiles qui, finalement, sont plus coûteuses et volatiles que les autres.
Solutions urgentes
Dans ce sens, une forte implication du secteur privé est cruciale afin de combler le besoin estimé à 190 milliards de dollars par an, dont les deux tiers pour les énergies propres. Conscients de cela, les États développent des initiatives dans ce sens : c’est le cas du Cap-Vert, avec la création grâce à un PPP, de la première société (Cabeólica SA) fournissant de l’énergie éolienne en Afrique subsaharienne. C’est aussi celui du Sénégal, avec la centrale solaire photovoltaïque de 30 MW de Santhiou Mékhé, dans la région de Thiès, et celui de la centrale solaire de 155 MW de Nzema, à Awiaso, au Ghana. Des initiatives qu’il faudra répliquer à grande échelle pour produire l’impact escompté sur le développement économique et social du continent.
L’Afrique se doit de booster la recherche et l’innovation
L’accès à l’énergie est un défi auquel les gouvernements africains vont devoir trouver des solutions urgentes. En effet, on estime qu’environ 600 millions de personnes en Afrique n’ont pas accès à des services électriques de qualité et que 930 millions d’âmes ne disposent toujours pas de combustibles propres de cuisson. Cela met en évidence l’importance de moderniser le réseau électrique, et d’accroître la capacité de production des États.
Booster la recherche et l’innovation
Pour réaliser son potentiel en matière de transition énergétique, l’Afrique devra d’abord miser sur le progrès technologique pour accroitre les capacités de stockage, élargir l’accès à l’énergie et améliorer ses revenus commerciaux. L’Afrique se doit de booster la recherche et l’innovation dans ce sens.
En effet, le développement de marchés mondiaux friands de matières premières comme le cobalt est une opportunité pour le continent d’intégrer les chaines de valeurs et de développement technologique mondiales. La RDC pourrait par exemple produire des batteries entre 30 et 20 % moins cher qu’aux États-Unis et en Chine respectivement.
L’intégration africaine, à travers la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) et les différents blocs sous régionaux comme la Cedeao, ont également leur rôle à jouer dans le processus de transition énergétique. Les partenariats entre États du continent devront contribuer au partage des connaissances et au développement de l’expertise pour maximiser l’usage des énergies renouvelables.
Un cadre réglementaire stable est essentiel pour attirer les investisseurs privés
Des opportunités de dynamisation du secteur énergétique existent d’ailleurs, déjà, dans la coopération intra-africaine : le « new deal » pour l’énergie en Afrique de la BAD est un cadre de partenariat regroupant les acteurs africains et internationaux du secteur énergétique afin d’assurer l’accès universel à l’énergie sur le continent d’ici à 2025.
Le Système d’échanges d’énergie électrique ouest-africain (EEEOA) créé en 1999 par les États membres de la Cedeao est une initiative tout aussi louable de mutualisation des efforts pour la création d’un marché régional unifié de l’électricité.
Politiques et mesures incitatives
Un cadre réglementaire stable est essentiel pour attirer les investissements dans les énergies renouvelables et encourager l’innovation, comme au Ghana qui a mis en place un feed-in tariff permettant à un producteur de pouvoir revendre son surplus en énergies propres sur le marché à un prix fixe.
On ne saurait trop insister sur l’importance du renforcement des capacités locales
En Afrique, les investissements dans le secteur de l’énergie ont atteint leur plus faible niveau depuis onze ans en 2021, avec une baisse de 35 % tandis qu’au niveau global, ils ont grimpé de 9 % pour atteindre leur meilleur niveau. C’est dire que les projets dans le renouvelable sont sous-financés sur le continent et devront être boostés par la mise en place d’un cadre commercial incitatif.
La stratégie de financement des énergies renouvelables devra tenir compte des investissements privés, du financement international et des partenariats public-privé. Par ailleurs, on ne saurait trop insister sur l’importance du renforcement des capacités locales en matière de développement, de gestion et d’entretien des projets d’énergie renouvelable. Pour une transition énergétique réussie, il est essentiel que les communautés locales, mais aussi les acteurs en charge de l’élaboration des politiques, disposent des compétences et des connaissances nécessaires pour les exploiter et les entretenir.
Cela est particulièrement important en Afrique où de nombreux pays ne disposent pas des ressources nécessaires pour développer et entretenir eux-mêmes des projets d’énergie renouvelable. L’éducation aux technologies et aux bonnes pratiques, et la création d’emplois dans ce secteur sont deux moyens incontournables pour renforcer ces capacités. C’est à ce prix que l’Afrique pourra réaliser sa mue énergétique et continuer sa marche vers le développement économique, social et environnemental.
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