#FreeStanis : cinq questions pour comprendre l’incarcération du journaliste le plus suivi de RDC

Alors que notre correspondant à Kinshasa est emprisonné depuis le 8 septembre, la mobilisation a largement dépassé les frontières du Congo. Voici ce qu’il faut savoir sur cette affaire suivie au plus haut sommet de l’État.

Stanis Bujakera Tshiamala, 33 ans, est notre correspondant à Kinshasa depuis janvier 2019. © Free Stanis – DR

Publié le 3 octobre 2023 Lecture : 5 minutes.

LE DÉCRYPTAGE DE JA – Voici vingt-six jours que l’horizon de Stanis Bujakera Tshiamala s’est réduit aux murs d’une cellule. Le journaliste congolais le plus influent sur X (anciennement Twitter) voit désormais le temps s’écouler depuis la dangereuse prison de Makala, à Kinshasa.

Cette affaire a largement dépassé les frontières du pays, suscitant une importante vague de mobilisation sur les réseaux sociaux et de nombreuses réactions sur le plan international, de Paris à Washington, en passant par Bruxelles. Tous sont unanimes : il est urgent de libérer Stanis. Sa détention constitue une atteinte grave à la liberté de la presse, à moins de trois mois de la présidentielle. Surtout, rien sur le fond ne permet de la justifier.

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1. Qui est Stanis Bujakera Tshiamala ?

Stanis Bujakera Tshiamala, 33 ans, est notre correspondant à Kinshasa depuis janvier 2019. Il collabore également avec l’agence Reuters et a cofondé, en 2016, avec son confrère Patient Ligodi, le site d’information Actualité.cd, l’un des plus suivis en RDC. Stanis a fait ses débuts sur la RTVS1, une radio locale de Kinshasa, pour laquelle il animait l’émission à succès « L’interview ». Son compte X, créé en 2016, compte aujourd’hui près de 550 000 abonnés. Il publie quotidiennement sur des sujets d’actualité en RDC.

Sa devise : « l’information certifiée », mention qu’il a pour habitude d’apposer sur les documents qu’il diffuse afin d’attester de leur authenticité. Journaliste rigoureux et influent, il s’était vu proposer, en 2020, de rejoindre l’équipe de la presse présidentielle – proposition qu’il avait poliment déclinée.

Ces derniers mois, il avait plusieurs fois subi des tentatives d’intimidation sur les réseaux sociaux et été menacé par certains responsables politiques congolais. En mars dernier, un ministre avait d’ailleurs déposé une plainte contre lui, pour finalement la retirer.

2. Que lui reproche la justice congolaise ?

Notre collaborateur a été mis en cause à la suite de la publication d’un article sur le site de Jeune Afrique. Celui-ci faisait état d’une note attribuée à l’Agence nationale de renseignement (ANR) impliquant les renseignements militaires congolais dans l’assassinat de l’ancien ministre et opposant Chérubin Okende. D’autres médias l’ont également exploitée. Les autorités ont réagi, assurant qu’il s’agissait d’un faux, comme nous l’a fait savoir le ministre de l’Intérieur dans un courrier que nous avons reçu le 9 septembre, au lendemain de l’arrestation de Stanis.

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À ce jour, aucun élément concret permettant de prouver que nous avions commis une erreur ne nous a été apporté et de lourdes charges pèsent sur Stanis Bujakera Tshiamala. Il est poursuivi pour « faux en écriture », « propagation de faux bruits », « falsification des sceaux de l’État » et « transmission de messages erronés et contraires à la loi ». Il risque, selon le Code pénal congolais, dix à quinze ans de prison.

S’il devait être condamné, ce ne serait pas une première en RD Congo. En 2015, Daniel Safu (aujourd’hui député) avait été puni de deux ans d’emprisonnement à la suite d’une plainte pour outrage déposée par deux députés nationaux. Il a finalement été remis en liberté conditionnelle en janvier 2016.

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3. Où en est la procédure ?

Arrêté le 8 septembre à l’aéroport de Ndjili, Stanis Bujakera Tshiamala a d’abord été placé en garde à vue dans les locaux du commissariat provincial de Kinshasa. C’est à ce stade que ses téléphones et son ordinateur lui ont été confisqués. Le lendemain, il a été auditionné au commissariat général de police par la commission chargée d’enquêter sur le meurtre de Chérubin Okende.

Lors de ce premier interrogatoire, qui a duré plus de quatre heures, il a pu être assisté par un avocat. Puis, le 10, il a de nouveau été questionné, cette fois durant environ deux heures, notamment sur le contenu de ses échanges avec les rédactions avec lesquelles il collabore, dont Jeune Afrique.

Le 11 septembre, il a été entendu au tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe et officiellement placé sous mandat d’arrêt provisoire. Dès le lendemain, sa défense a déposé une demande de mise en liberté provisoire. Avant même que le magistrat ne rende sa décision, il a été transféré, le 14, à Makala, prison surpeuplée et insalubre, après avoir passé trois nuits dans le cachot du tribunal. Le lendemain, une ordonnance de mise en détention préventive de quinze jours renouvelable a été prise. Les avocats de Stanis ont fait appel, mais ont été déboutés.

4. Les autorités se sont-elles exprimées officiellement ?

Il n’y a eu ni communiqué ni déclaration officielle. Toutefois, le président Félix Tshisekedi a été interpellé par plusieurs journalistes à ce sujet lors d’un déjeuner avec la presse le 19 septembre, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York. « Stanis Bujakera, c’est un jeune homme que j’aime bien, a-t-il dit. Pour la petite histoire, il a couvert notre campagne électorale, il était de tous les combats avec nous, j’ai de la sympathie pour [lui]. Je regrette ce qui lui arrive, mais je ne peux pas faire entrave à la justice et ne pas lui permettre de faire toute la lumière. »

Félix Tshisekedi a également assuré veiller à ce que « les droits [des individus interpellés] soient respectés ». Renouvelant son attachement au « quatrième pouvoir », le chef de l’État a rappelé n’avoir « raté aucune célébration de la journée mondiale de la presse » depuis son accession à la tête du pays. Il a également jugé que sa politique « vis-à-vis de la liberté de la presse [avait] permis de gagner en quatre ans trente places au classement de Reporters sans frontières [RSF] ».

5. Quelles sont les réactions internationales ?

Justement, RSF a dénoncé l’emprisonnement de Stanis Bujakera Tshiamala comme n’étant pas conforme à la loi congolaise et aux obligations internationales, avant d’annoncer avoir saisi, le 19 septembre, le Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations unies. Amnesty International a également enjoint aux autorités congolaises d’« abandonner les charges fallacieuses » pesant sur le journaliste. Et, selon Human Rights Watch, « le cas de M. Bujakera met en lumière la répression croissante du gouvernement [congolais] à l’encontre des médias, à moins de trois mois des élections générales ».

Sur les réseaux sociaux, de nombreuses voix se sont élevées pour demander la libération de Stanis. C’est le cas d’Achille Mbembe, d’Alioune Tine, de Calixthe Beyala, d’Anas Aremeyaw Anas, d’Elgas, de Rama Yade, de Mamane, de Fred Bauma, de Serge Bilé ou encore de Smockey.

Les chancelleries occidentales ont également réagi. Lucy Tamlyn, l’ambassadrice des États-Unis en RDC, s’est dite profondément préoccupée par la détention de Stanis, rappelant que « les journalistes devraient pouvoir faire leur travail sans craindre de poursuites ».

Indiquant que « la liberté de la presse est l’un des principes fondamentaux des systèmes démocratiques », l’ambassade de Belgique a pour sa part déclaré suivre de près cette affaire, tout comme les représentations française, néerlandaise et espagnole, ainsi que la délégation de l’Union européenne. La Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants des États-Unis, elle, a appelé à la libération immédiate de Stanis, assurant qu’il était « impératif que le gouvernement de la RDC […] cesse d’arrêter les journalistes qui font leur travail ».

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