« J’y vais maintenant ! » : Denis Mukwege candidat à la présidentielle
Le lauréat du prix Nobel de la paix de 2018 a annoncé sa candidature à la magistrature suprême en RDC. Reste désormais à savoir si, à deux mois et demi du scrutin, il parviendra à s’imposer au sein d’une opposition qui avance en ordre dispersé.
La rumeur n’en est plus une. Arrivé poings levés sous les hourras de ses partisans à la paroisse Fatima, à Kinshasa, c’est face à un parterre de sympathisants que Denis Mukwege a officialisé sa candidature à l’élection présidentielle. « Demain sera tard, a-t-il lancé sous les applaudissements du public, ce lundi 2 octobre. J’y vais maintenant ! »
Le célèbre gynécologue congolais, qui s’exprimait devant une grande affiche le présentant comme « le choix du peuple », est longuement revenu sur les raisons qui ont motivé sa décision. « Notre pays est devenu la honte du continent », n’a pas hésité à clamer le fondateur de l’hôpital de Panzi.
Fustigeant « les rapaces qui font main basse sur les richesses de la RDC », Denis Mukwege a dressé un bilan très critique de l’administration Tshisekedi, l’accusant d’avoir « préparé la fraude » au lieu de « préparer un bilan ». Dénonçant tour à tour « le débauchage politique » et « l’intervention de forces étrangères sans autorisation du Parlement », le prix Nobel de la paix 2018 a estimé que la « Constitution est foulée par celui qui est censé en être le garant suprême », plaidant pour une « véritable rupture ».
Critique à l’égard de Tshisekedi
Ces derniers mois, l’hypothèse d’une participation du prix Nobel de la Paix 2018 au scrutin du 20 décembre avait pris de plus en plus d’épaisseur. Jamais en retrait de l’actualité de son pays, le médecin congolais se limitait jusque-là à des prises de paroles critiques à l’égard du régime et du processus électoral en cours, sans toutefois se prononcer sur ses propres ambitions. Il s’était contenté de dire que, « si le peuple s’organisait », il « considèrerait son appel. »
Mais au fil des mois, il a progressivement donné corps à l’hypothèse d’une candidature. Le 26 décembre 2022, il a notamment signé une déclaration commune avec les opposants Martin Fayulu et Matata Ponyo Mapon pour dénoncer le « déficit criant de leadership et de gouvernance » du régime actuel.
Caution de 100 000 dollars
Denis Mukwege a également été associé aux discussions menées, au début de l’année, entre plusieurs opposants, dont Moïse Katumbi, Delly Sesanga, Martin Fayulu et Matata Ponyo Mapon, afin de parvenir à une position commune sur le contexte électoral. Il a aussi « politisé » son propre entourage en nommant, le 19 mai dernier, un conseiller spécial, en la personne d’Albert Moleka, l’ancien directeur de cabinet d’Étienne Tshisekedi. Enfin, le 16 septembre, il a reçu de membres de la société civile un chèque de 100 000 dollars, correspondant au montant de la caution nécessaire pour se présenter à la présidentielle.
Denis Mukwege avait pourtant longtemps semblé tergiverser. « L’homme qui répare les femmes » craignait-il, comme certains s’en étaient convaincus, de compromettre un peu de son aura de prix Nobel en se lançant dans la course ?
Véritable icône, le médecin de 68 ans est aujourd’hui reçu avec les honneurs du Vatican à Washington, de Londres à Bruxelles et jusqu’à Paris. Son hôpital est, lui aussi, devenu une étape incontournable pour nombre de dirigeants qui se rendent en RDC. Lors de l’annonce de sa candidature, il a notamment expliqué qu’il fallait savoir « renoncer à son confort personnel ».
Regroupement politique
En coulisses, ses soutiens se sont en tout cas activés pour poser les jalons de sa candidature. Le 18 mai dernier, ils ont mis en place l’Alliance des Congolais pour la refondation de la nation (ACRN), un regroupement de huit partis censés accompagner le médecin dans la campagne.
Si plusieurs sources internes à l’ACRN ont assuré que Denis Mukwege n’était pas impliqué dans la gestion de cette plateforme politique, c’est néanmoins l’un de ses proches, le pasteur Roger Puati, qui en a pris la tête en juillet dernier. Ce dernier était déjà l’un des signataires d’une lettre de plusieurs intellectuels et personnalités de la société civile publiée le 30 juin et appelant à la candidature de Denis Mukwege.
Retoquée dans un premier temps, la liste des candidats de l’ACRN aux élections législatives nationales a finalement été repêchée. On y retrouve notamment quelques transfuges, comme le député Ados Ndombasi, qui a récemment quitté le parti de Martin Fayulu.
Ces derniers mois, Denis Mukwege a aussi pu rencontrer certains chefs d’État de la sous-région. Fin juin, il s’est rendu notamment à Brazzaville pour échanger avec le président Denis Sassou Nguesso. Un mois plus tard, il a effectué un discret séjour en Angola. À cette occasion, il a, selon nos informations, été reçu par le président João Lourenço, le 27 juillet. L’entourage du médecin assure toutefois que la candidature du prix Nobel n’a pas été abordée lors de ces deux rencontres.
Opposition divisée
Désormais lancé dans la course, le fondateur de l’hôpital de Panzi va devoir répondre à plusieurs questions. La première sera celle de l’avenir de sa candidature au sein d’une opposition qui avance en ordre dispersé, puisque plusieurs poids lourds se sont déjà déclarés. Outre Moïse Katumbi, qui vient d’achever une tournée de trois semaines à travers le pays, Delly Sesanga, dont la candidature va être officialisée à l’issue du congrès de son parti, ou encore Matata Ponyo Mapon, qui a déposé son dossier dès le 9 septembre, Martin Fayulu a lui aussi confirmé sa participation lors d’une conférence de presse, le 30 septembre.
Dans ce contexte, un dialogue entre les différents participants paraît inévitable si l’opposition souhaite peser lors d’un scrutin à un tour. Reste à savoir qui, dans ce scénario, accepterait de renoncer. Lors de son allocution, Mukwege a appelé « à la coalition et à l’unité des forces du changement ».
Quid, enfin, de l’assise politique de Denis Mukwege et de sa capacité à rassembler ? On ne sait pour le moment pas grand-chose de son programme, dont le médecin a dit qu’il sera articulé autour de douze piliers, dont deux seront la sécurité et de la paix. Le gynécologue, qui vivait jusque-là sous la protection de la Monusco, défend depuis longtemps l’idée de la mise en place d’un tribunal pénal international pour juger les crimes commis au Congo.
L’entourage du chef de l’État assure de son côté ne pas craindre la candidature de celui que ses détracteurs présentent comme le « candidat de l’Occident », en référence à l’aura dont dispose le célèbre médecin en Europe et aux États-Unis, notamment depuis son prix Nobel.
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