En Algérie, décès de Hocine Benhadid, le général qui défia le clan Bouteflika

Disparu dimanche dernier, ce général à la retraite connu pour son franc-parler était la bête noire d’Ahmed Gaïd Salah et de l’ancien clan présidentiel, dont les figures de proue croupissent aujourd’hui en prison.

Le général Hocine Benhadid, à Alger, en 2016. © Samir Sid

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Publié le 3 octobre 2023 Lecture : 7 minutes.

Le général à la retraite Hocine Benhadid s’est éteint dimanche 1er octobre à Alger, dans son modeste appartement acquis auprès ce l’Office de la promotion et de la gestion immobilière (OPGI). Jusqu’à son dernier souffle, cet officier, qui n’avait pas sa langue dans la poche, aura été fidèle à sa réputation de personnage modeste. À rebours de cette image qui voudrait que tout haut gradé algérien soit forcément richissime, possède des biens immobiliers dans le pays et à l’étranger, et soit corrompu.

Si les hommages qui lui sont rendus par le président Tebboune, par le chef d’état-major de l’armée, Saïd Chengriha, où encore la cérémonie d’adieu organisée en son honneur à l’hôpital militaire de Ain Naâdja témoignent de l’estime que lui portent les institutions de la République, ainsi que la Grande Muette, ce sont sans doute les hommages sur les réseaux sociaux, dès l’annonce de sa disparition, qui révèlent à quel point Hocine Benhadid aura suscité la sympathie, la compassion, le respect et même la reconnaissance chez ses compatriotes

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Le général Hocine Benhadid aura vécu deux vies. La première dans la discrétion, la seconde sous les feux de la rampe. Une exposition médiatique qui lui vaudra deux passages en prison, des déboires judiciaires qui restent encore pendants et des soucis de santé qui l’ont cloué sur un fauteuil roulant. Ses anciens collègues, qui s’expriment sous le sceau de l’anonymat, louent ses aptitudes opérationnelles et ses compétences intellectuelles.

Élève d’une école de formation d’officiers dans le Kansas, Hocine Benhadid a dirigé, entre 1976 et 1980, la fameuse 8e Division blindée. Au cours des années 1990, il est à la tête la 3e région militaire et prend part activement à la lutte anti-terroriste sur le terrain. En 1996, il quitte ses fonctions de conseiller au ministère de la Défense en raison de divergences profondes avec l’état-major, et fait valoir ses droits à la retraite à l’âge de 52 ans.

Contre Bouteflika en 2004

Depuis, il s’est astreint à un devoir de réserve qu’il rompt une première fois en 2004, à la veille de la présidentielle qui permet à Abdelaziz Bouteflika d’être réélu pour un deuxième mandat contre son rival et ancien chef du gouvernement Ali Benflis. À l’époque, Benhadid avait soutenu ce dernier et cru naïvement à la neutralité de l’institution militaire, qui finira par se ranger derrière le président sortant.

Bouteflika réélu, Benhadid s’éclipse pendant dix ans avant de revenir sur le devant de la scène à la faveur de l’élection présidentielle de 2014, qui voit Bouteflika se représenter pour un quatrième mandat malgré une santé défaillante. Dix ans sont passés. Entre-temps, l’Algérie est passée sous la couple réglée du clan présidentiel, qui truste tous les pouvoirs, y compris ceux de l’argent. Dans une interview accordée en février 2014 aux quotidiens El Watan et El Khabar, le général Hocine Benhadid sort cette fois l’artillerie lourde.

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Le président Bouteflika ? Il ne peut pas parler ni se mettre debout, assène le général. Son frère Saïd, alors puissant conseiller à la présidence, qui purge aujourd’hui une peine de douze ans de prison pour corruption ? Il gère le pays via son téléphone et tout le monde est à plat ventre devant lui. La corruption ? Elle a atteint un niveau critique. Ahmed Gaïd Salah, alors chef d’état-major de l’armée et vice-ministre de la Défense ? Il n’a aucune crédibilité et personne dans l’armée ne le porte dans son cœur. Il inspire la crainte juste à cause de ses prérogatives, dit encore Benhadid.

Ces propos rencontrent alors un écho retentissant dans les médias, mais ne suffisent nullement à entraver la marche du rouleau compresseur du clan présidentiel. Bouteflika est réélu pour un quatrième mandat, qui lui permettra d’asseoir encore davantage l’emprise du clan sur tous les leviers du pouvoir. L’une des conséquences de cette emprise est le démantèlement du DRS (services secrets), la mise à la retraite en septembre 2015 de son patron depuis 1990, le général Mohamed Médiène, dit Toufik, ainsi que la montée en puissance d’Ahmed Gaïd Salah.

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Le début des ennuis

Hocine Benhadid, lui, continue à tirer à boulets rouges sur le clan présidentiel ou encore sur Gaïd Salah. Jusqu’à présent, il n’avait pas été inquiété. Mais tout change lorsqu’il accorde, le 21 septembre 2015, une interview à Radio M (aujourd’hui fermée par les autorités et dont le directeur, Ihsane El Kadi, a été condamné en juin 2023 à sept ans de prison dont cinq ferme). Cette fois encore, le général à la retraite frappe fort, qualifiant Saïd Bouteflika de malade mental qui veut devenir président. Il est fou, ambitieux, ajoute-t-il à propos du frère et conseiller spécial du chef de l’État.

Les oligarques qui tournent autour du frère de Bouteflika ? Des corrompus qui pillent les richesses du pays en bâtissant des fortunes à l’étranger. Ahmed Gaïd Salah ? Bouteflika l’a nommé en 2004 chef d’état-major de l’armée après avoir obtenu un dossier sur une supposée affaire de mœurs datant de l’époque où Gaïd Salah dirigeait l’École de formation des officiers de réserve (EFOR).

En évoquant cette dernière affaire, même sans fournir le moindre détail, Hocine Benhadid venait de mettre un pied en cellule. Durant l’interview, il affirme pourtant qu’il n’a pas peur de poursuites judiciaires. « J’ai déjà fait tous les tribunaux d’Alger, pour rien, dit-il. C’était à l’époque Smail Lamari [général-major et ancien numéro deux du DRS] qui était derrière, il voulait me salir devant la justice. J’ai fait tous les tribunaux d’Alger, de Boumerdes, j’avais un très bon avocat, j’en suis sorti indemne. Khelifa Mahieddine est un très bon avocat. Je suis prêt à aller devant la justice. »

Ceux qui connaissent le tempérament impitoyable, bouillant, brutal de Gaïd Salah ont compris que celui-ci ne pardonnerait jamais à Hocine Benhadid. Qu’on le critique sur son bilan ou son caractère, passe encore. Qu’on l’attaque sur une affaire de mœurs supposée, il ne le tolèrera pas. Gaïd jure de le lui faire payer. Et les déboires de Benhadid commencent.

Lettre ouverte à Gaïd Salah

Mercredi 30 septembre 2015, quelques jours après l’interview à Radio M, Hocine Benhadid est arrêté par des gendarmes et placé sous mandat de dépôt à la prison d’El Harrach pour outrage à corps constitués. Son fils y est également incarcéré et poursuivi pour port d’arme illégal. Sa détention préventive dure jusqu’au 12 juillet 2016, où il est remis en liberté provisoire pour raisons de santé. Il souffre notamment d’un cancer de la prostate. En mars 2018, il est condamné à un an de prison avec sursis. Fin de ses tracas judiciaires ? La suite sera pire.

En avril 2019, Ahmed Gaïd Salah devient le véritable chef du pays après avoir contraint le président Bouteflika à la démission à la suite du Hirak, déclenché en février de la même année. Gaïd guide la main implacable de la justice sur pratiquement tous les ténors du clan présidentiel qu’il fera jeter en prison. C’est à la même période, durant ce mois d’avril, que l’ex-général Benhadid adresse une lettre ouverte à Ahmed Gaïd Salah pour lui rappeler que la solution à la crise de pouvoir que vit le pays est une solution politique. Crime de lèse-majesté ?

Ce n’est pourtant pas vraiment cette lettre ouverte qui va ulcérer Gaïd, mais plutôt les propos tenus au mois de mars 2019 par Benhadid dans le journal El Watan. Il y accuse le chef de l’armée d’être à la solde des Émirats arabes unis. « Un pion », dit Benhadid. C’en est trop pour Gaïd Salah. Maintenant qu’il est le patron de l’Algérie, il va poursuivre son contempteur de sa vindicte. Le 12 mai, Benhadid est de nouveau arrêté et placé sous mandat de dépôt, malgré son âge avancé et une santé chancelante.

À son cancer s’ajoute en effet une fracture de la hanche provoquée par une mauvaise chute en prison. Il subit deux interventions chirurgicales calamiteuses qui le laissent presque handicapé. « Ils l’ont abandonné sans calmants, confie une source proche de sa famille. Visiblement, ils avaient reçu des instructions pour le laisser mourir. » Ses avocats, qui disent craindre pour sa vie, interpellent les autorités pour obtenir une meilleure prise en charge médicale et une remise en liberté provisoire. Leurs doléances ne trouvent pas d’écho auprès du ministère de la Justice ou de l’état-major de l’armée. « Gaïd a juré que Benhadid ne sortirait pas vivant de sa cellule, ou du moins qu’il y croupirait le plus longtemps possible », croit savoir une connaissance du général.

Mais si Ahmed Gaïd Salah peut décider du destin de ses détracteurs, il n’est pas maître de son propre destin. Le 23 décembre 2019, il est emporté par une crise cardiaque. C’est alors le général-major Saïd Chengriha qui est nommé chef d’état-major par intérim. Or Chengriha et Benhadid sont de vieilles connaissances. Ils ont participé ensemble à la lutte anti-terroriste durant la décennie noire.

Sur ordre du nouveau chef de l’armée, Benhadid est remis en liberté le 2 janvier 2020 avec restitution de son passeport diplomatique, confisqué des années plus tôt. Quelques jours plus tard, il est évacué à l’étranger pour des soins pris en charge par le ministère de la Défense. Sa réhabilitation définitive intervient le 5 juillet 2020, quand il est invité à une réception où il reçoit hommages et honneurs de responsables civiles et militaires. « Les invités militaires, dont ses amis et collègues, avaient les larmes aux yeux », témoigne l’une de ses connaissances présentes à cette cérémonie.

À ses proches, à qui il a fait part de ses dernières volontés, le général Hocine Benhadid a fait le vœu de ne pas être enterré au cimetière des martyrs d’El Alia, où reposent les hauts personnages de l’État, mais plutôt à celui de Ben Aknoun.

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