Somalie : ça tire près de chez vous ? Faites le 888
Depuis deux décennies, les rues de Mogadiscio, aux murs criblés de balles, sont parmi les plus dangereuses au monde. Mais désormais, les habitants de la capitale somalienne peuvent au moins composer le 888 pour appeler la police à l’aide.
Le colonel Yusuf Mohamed Farah ouvre grand les bras pour, fièrement, présenter la toute nouvelle salle de contrôle où la police répond aux appels d’urgence depuis ce mois de novembre: une petite pièce avec un téléphone, une radio haute fréquence, une table et deux chaises, et un générateur pour poursuivre les opérations en cas de coupures – fréquentes – de courant.
"Ce n’est pas facile, mais c’est une bonne chose d’avoir maintenant ce numéro d’urgence 888 (…) et ça marche bien", estime le responsable des relations publiques de la police somalienne. "Nous recevons tellement d’appels tous les jours".
Depuis la chute du président Siad Barre en 1991, la seule option qui s’offrait jusqu’ici à la population somalienne en cas de problème était de faire appel à l’un des nombreux chefs de guerre locaux, qui envoyait alors ses hommes armés. Désormais, la police reçoit sur cette ligne au moins 40 appels par jour. Le 888 est à disposition des habitants des 16 districts de Mogadiscio.
Dans la salle de commandes exiguë, où règne une chaleur étouffante et où la peinture s’écaille des murs, les policiers n’ont que des équipements basiques pour répondre aux situations d’urgence. Mais M. Farah, qui travaillait déjà comme officier de sécurité dans le régime militaire renversé en 1991, estime que c’est déjà un progrès. "Beaucoup appellent pour donner une information ou signaler une urgence".
Scepticisme
Longtemps, Mogadiscio a abrité une ligne de front entre islamistes et forces pro-gouvernementales. Depuis plus de deux ans, ce n’est plus le cas: les insurgés shebab ont été chassés de la capitale. Mais les islamistes, affiliés à Al-Qaïda, continuent de mener régulièrement des attaques meurtrières dans la capitale de bord de mer.
Au-delà de ces attaques, la ville est infestée d’armes à feu, et en proie à une forte criminalité. Les viols de femmes, en particulier, sont incessants. Et après deux décennies de complet chaos, mettre en place un numéro d’urgence n’a pas été si simple pour la police, d’autant que la population a encore tendance à utiliser le numéro à tort et à travers.
"Certains appellent juste pour nous poser des questions", peste Ahmed Abdi, un policier qui travaille dans le centre. "Mais certains appellent vraiment pour une urgence (…) Nous travaillons encore à expliquer aux gens ce que nous faisons, pour qu’ils comprennent mieux l’importance de cette ligne 888", poursuit-il, en se ruant sur un appel entrant. Cette fois encore, c’est une fausse alerte: l’interlocuteur cherchait à joindre une compagnie de téléphone qui utilisait le 888 comme hotline.
L’opérateur explique, une fois encore, patiemment, que la ligne a été réattribuée à la police. Quand l’appel relève vraiment d’une urgence, la police a des "voitures" et les "envoie pour gérer l’incident quand c’est possible", souligne M. Farah.
Dans les rues de Mogadiscio, la population semble apprécier l’idée du 888. Mais beaucoup doutent encore de l’efficacité du service et de la capacité de la police à intervenir. "Un ami m’a dit que la ligne 888 marchait, alors j’ai essayé. Ca sonnait mais, malheureusement, ça n’a jamais répondu", glisse Mohamed Nur Ali, un habitant. "Je sais que ce n’est que le début, mais je ne crois pas qu’ils aient encore les capacités" pour gérer les urgences, poursuit-il. "Il vaut encore mieux courir jusqu’au poste de police plutôt que de perdre du temps en coups de téléphones", estime un autre habitant, Said Muktar. "Comment peuvent-ils être réactifs quand ils n’ont même pas les véhicules de police appropriés?"
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