Des activistes pro-russes ont-ils tenté de déstabiliser le Ghana ?

Cinq personnes ont été interpellées, accusées notamment d’avoir organisé une manifestation dans la ville de Takoradi, en août. Elles seraient en lien avec un activiste australien favorable à Vladimir Poutine, très actif sur les réseaux sociaux.

Des policiers montent la garde lors de la manifestation à Accra, le 5 novembre 2022. © Ernest Ankomah/Getty Images via AFP

Publié le 4 octobre 2023 Lecture : 3 minutes.

Cinq Ghanéens sont poursuivis pour avoir organisé une manifestation de soutien à la Russie en août dernier dans la ville portuaire de Takoradi. Pendant plusieurs semaines, ils ont travaillé à mobiliser la jeunesse locale et se sont organisés via la messagerie cryptée Telegram.

Le jour dit, quelques dizaines de jeunes se sont rendus au parc communautaire de Diabene, dans la région de Takoradi-Ouest, brandissant des drapeaux russes et des pancartes portant des inscriptions telles que « Biden est un va-t-en-guerre » et « Vive la Russie », attisant les sentiments anti-français et anti-occidentaux.

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Propagande

Mais les cinq personnes interpellées sont surtout accusées d’avoir compromis la stabilité du pays et d’avoir voulu renverser le gouvernement. Leur activisme suscite aussi l’inquiétude des analystes, qui craignent que la propagande ne s’enracine au sein de la jeunesse.

« Ce qu’ils ont fait, c’est l’exemple type de campagne employée en particulier par les Russes », résume Mukhtar Mumuni Muktar, du Centre de lutte contre l’extrémisme en Afrique de l’Ouest. « Mais il est étrange que cela se produise au Ghana, un pays connu pour sa stabilité et sa démocratie et où les dynamiques ne sont pas les mêmes que celles qui sont à l’œuvre dans les autres pays d’Afrique de l’Ouest. »

Rabiu Alhassan est membre de l’organisation FactSpace West Africa, qui s’est donné pour mission de lutter contre la désinformation. Il explique avoir enquêté sur la marche de Takoradi et constaté que plusieurs comptes X (anciennement Twitter) se sont répandus sur le Ghana et son soutien présumé à la Russie, et au groupe Wagner, vidéo de la manifestation à l’appui. Il relève aussi que Simeon Boikov, célèbre activiste australien pro-russe (également connu sous le nom d’Aussie Cossack), s’est avéré être l’administrateur de certains des groupes Telegram qui ont discuté de l’organisation de la manifestation.

Un activiste australien pro-Poutine

« C’est notamment lui qui a formé les gens qui ont pris la tête de la manifestation au Ghana », indique Rabiu Alhassan. Ces derniers se sont exprimés sur X et sur des médias en ligne « pour partager les récits qu’il [Boikov] voulait qu’ils mettent en avant pendant la manifestation ». « Boikov a collecté des fonds par le biais du crowdfunding et les a envoyés au Ghana par virement bancaire… Grâce aux conversations sur Telegram, nous savons qu’environ 4 300 dollars ont été dépensés pour acheter des tee-shirts et des drapeaux russes », ajoute-t-il. En outre, les cinq suspects se sont vu promettre une compensation financière s’ils participaient à la campagne qui devait se dérouler dans d’autres pays du continent.

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Le Ghana a envoyé des émissaires à Ouagadougou en décembre dernier pour tenter de combler le fossé diplomatique apparu après que le président Akufo-Addo a affirmé que le Burkina Faso avait engagé des mercenaires du groupe Wagner et leur avait donné les revenus d’une mine en guise de paiement. Depuis cet incident, Accra s’astreint à tenir une position diplomatique médiane, même si les analystes estiment que le Ghana penche toujours vers l’Ouest.

Faille exploitable

Le pays se distingue par sa stabilité – politique et sécuritaire – au sein de l’espace de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Toutefois, le chômage des jeunes constitue une faille facilement exploitable pour les campagnes de propagande étrangères.

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« Je ne pense pas que [la manifestation de Takoradi] ait eu un incidence significative sur la position géopolitique du Ghana, commente Mukhtar Mumuni Muktar. Mais ce genre de situation peut finir par affaiblir l’État aux yeux de la population locale, ce qui ne nous aide pas. » Notre interlocuteur rappelle également l’épisode des « usines à trolls » que Facebook et X ont annoncé avoir démantelées en mars 2020 et qui opéraient notamment depuis le Ghana. Le but du réseau, à l’époque, était d’interférer dans la présidentielle américaine.

« Entre cet épisode et la marche de Takoradi, le Ghana devrait être pro-actif sur le sujet [de l’influence russe], estime Mukhtar Mumuni Muktar. Il y a beaucoup de manières d’influencer l’opinion publique. Nos agences de sécurité devraient agir pour en contrer les effets. » « Il faut que les agences de sécurité soient bien équipées pour patrouiller l’espace en ligne, y compris le Dark Web, afin d’étouffer l’affaire dans l’œuf », abonde Rabiu Alhassan. Contactés, les services de police ghanéens n’ont pas souhaité s’exprimer.

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