Entre le Maroc et la gauche française, un long compagnonnage

À l’occasion de la visite du leader de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, au Maroc, Jeune Afrique revient sur l’histoire des relations entre les gauches françaises et le royaume chérifien.

Pierre Mendès France, l’ancien président du Conseil des ministres français, entouré du sultan du Maroc, Mohammed V (à dr.), et du prince héritier, le futur Hassan II, à Saint-Germain-en-Laye, le 15 novembre 1955. © Roger-Viollet

Publié le 8 octobre 2023 Lecture : 5 minutes.

Jean-Luc Mélenchon, le fondateur du parti de gauche LFI (La France Insoumise) est, depuis le 4 octobre 2023, en visite dans le royaume alaouite, et ce, alors que les relations diplomatiques entre la France et le Maroc sont particulièrement tendues. Un pied de nez politique à Emmanuel Macron ? Un authentique engagement de la gauche parlementaire aux côtés du Maroc ? Ou simplement l’exaltation d’un tribun socialiste nostalgique du pays qui l’a vu naître ?

Natif de Tanger, le leader des Insoumis se déplace au royaume chérifien à l’invitation du Parti du progrès et du socialisme (PPS) et du groupe d’amitié Maroc-France présidé par l’istiqlalien Mohamed Zidouh. Ce dernier point interpelle : un dirigeant de la gauche anticapitaliste convié par un parti conservateur ? C’est qu’au-delà des étiquettes partisanes, la gauche française a une longue histoire de compagnonnage avec une partie de la classe politique marocaine.

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Les Jeunes Marocains et les socialistes français

Dans les années 1930, lorsque frémit la première opposition indépendantiste au protectorat français, c’est du côté de la gauche française que le mouvement des Jeunes Marocains trouve une oreille attentive. « Le Parti socialiste SFIO fut le premier organisme politique français qui entra en relations étroites avec les nationalistes marocains », note le politologue Robert Rézette. L’avocat et militant Robert-Jean Longuet en est la cheville ouvrière. Ce dernier n’est autre que l’arrière-petit-fils du philosophe Karl Marx lui-même !

Longuet milite pour l’émancipation du Maroc. Autour de lui se constitue tout un pôle gauchiste, avec notamment le député radical Gaston Bergery et Pierre Renaudel, ancien directeur du quotidien fondé par Jean Jaurès, L’Humanité. Leur tribune sera désormais la revue Maghreb, à laquelle collaborent activement les indépendantistes marocains tels que Mohamed El-Mekki Naciri ou Ahmed Balafrej. « Avec cette revue, les Jeunes Marocains disposaient d’un instrument de combat qui n’était pas négligeable », souligne l’historien Roger Le Tourneau.

Concomitamment, en août 1933, un an après sa création, le mouvement des Jeunes Marocains lance en grande pompe à Fès la revue L’Action du peuple. Par la suite, Georges Monnet, un proche de Léon Blum, ira jusqu’à leur proposer d’adhérer à la SFIO, le parti socialiste français de l’époque. Fin de non-recevoir ? Mohamed Hassan El Ouezzani, dans un éditorial de L’Action du peuple, se défend : « Est-ce un bien pour les peuples asservis d’avoir une doctrine politique quelconque, outre celle de se libérer et d’être des hommes ayant une dignité égale à celle de tous les autres ? » La volonté émancipatrice et autonomiste est on ne peut plus claire. Tout bien considéré, la relation entre les socialistes et les indépendantistes sera incertaine. Les seconds reprochant aux premiers de ne chercher que l’intérêt de la métropole.

À y regarder de plus près, l’intérêt des socialistes français pour le Maroc est en tout cas présent dans leur discours depuis longtemps. Et pour cause : Jean Jaurès, principale figure du mouvement à la Belle époque, a marqué les esprits par ses joutes oratoires contre la politique pré-protectorale française. Au Parlement, il s’est opposé farouchement aux bruits avant-coureurs d’une guerre de conquête qui remontent au milieu du XIXe siècle.

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« Le guêpier marocain »

Paris lorgne en effet l’empire chérifien depuis 1844, mais ronge son frein pour des raisons de diplomatie internationale. Depuis la crise de Tanger en 1905, puis celle d’Agadir en 1911, les bruits de bottes se font toutefois de plus en plus assourdissants. En 1904, Jaurès prend encore une fois position dans les colonnes de L’Humanité : « Quittez le guêpier marocain ! Retirez-vos troupes ! Laissez le Maroc disposer de son destin […] », s’indigne-t-il au lendemain du débarquement des troupes du général d’Amade en 1907 à Casablanca. Mais, rappelle aussi l’historien Xavier Yacono, « si les socialistes avec Jaurès refusent de voter les crédits pour l’action coloniale, ils ne demandent pas l’évacuation des territoires occupés. Il s’agit d’humaniser la colonisation non de la détruire ».

C’est d’ailleurs pour cette raison qu’une décennie plus tard, à la gauche de la gauche, on prendra fait et cause pour le leader rifain Abdelkrim dans la guerre du Rif. Opposant les Rifains à l’armée espagnole, cette guerre coloniale va directement menacer la zone française. Le maréchal Pétain, dépêché par Paris, entre en action. Dans le même temps, les guerriers marocains vont se construire un capital sympathie en France et dans le monde.

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Dans l’Hexagone, les communistes seront leurs soutiens les plus actifs. À gauche, l’anticolonialisme a déjà le vent en poupe dans les années 1920, et à la position modérée de la SFIO s’oppose le radicalisme du Parti communiste. Ce dernier, par la voix de Maurice Thorez, va jusqu’à souhaiter la victoire totale des Rifains sur les troupes espagnoles et françaises.

La sympathie de la gauche française pour l’émancipation théorique du Maroc ne va plus se démentir dans les années d’après-guerre. De l’exil forcé, en 1953, du futur Mohammed V aux négociations pour l’indépendance en 1956, la gauche facilite les discussions. C’est ainsi sous le gouvernement Guy Mollet, dominé par la SFIO et le Front républicain, une coalition de gauche formée par les Radicaux de Pierre Mendès France, que le royaume alaouite décroche son indépendance.

Après une longue cure d’opposition, la gauche ne revient au pouvoir en France qu’en 1981, avec l’élection de François Mitterrand. Deux ans après, en 1983, le locataire de l’Élysée effectue sa première visite au Maroc. Dès son élection, le président socialiste a toutefois envoyé à Rabat deux de ses hommes de confiance, Pierre Bérégovoy et François de Grossouvre.

François Mitterrand et Hassan II se rencontreront en tout à cinq reprises. Entre eux, il s’agit beaucoup de coopération bilatérale. Après la publication, en 1990, du pamphlet de Gilles Perrault, Notre Ami le Roi, les relations se détériorent brusquement. C’est Michel Rocard, un proche de la gauche marocaine nommé Premier ministre en 1988, qui tente d’éteindre l’incendie.

De Mitterrand à Hollande, l’écueil des « droits humains »

Sous François Hollande, les pays se brouillent à nouveau. En cause : l’affaire Hammouchi, du nom du patron du contre-espionnage marocain. De passage à Paris, des policiers tentent de l’arrêter à la suite de la plainte d’une ONG. Coup de tonnerre dans le ciel des relations franco-marocaines. Deux autres affaires (Mezouar et Benani) finissent par assombrir complètement le ciel diplomatique. Cependant, la lutte contre le terrorisme rapproche les deux pays avec comme point d’orgue la visite de président Hollande à Tanger, en septembre 2015.

Malgré tout, les critiques à gauche fusent, notamment chez les communistes. La monarchie chérifienne n’a jamais été la tasse de thé de la gauche française, en particulier chez une partie des socialistes qui, depuis l’indépendance, ne cachent guère leur préférence pour la République algérienne. Dès lors, les motivations du périple marocain de Jean-Luc Mélenchon continuent à interroger. Retour au source personnelle ou véritable démarche politique ? Les déclarations du leader des Insoumis, ménageant les deux hypothèses, permettent de penser que la volonté de se rapprocher du royaume – ou peut-être des électeurs franco-marocains ? – est aujourd’hui réelle.

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