Hafsia Herzi en majesté dans « Le Ravissement »

Sobre et subtile, l’actrice d’origine algérienne et tunisienne crève l’écran dans le dernier film d’Iris Kaltenbäck, où elle incarne une sage-femme en mal d’amour. Entretien.

Hafsia Herzi dans le film « Le ravissement ». © Diaphana Distribution

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Publié le 6 octobre 2023 Lecture : 6 minutes.

Dès 2007 et son premier film, La Graine et le Mulet (d’Abdellatif Kechiche), Hafsia Herzi triomphait, remportant, entre autres, le César du meilleur espoir féminin. On connait des éternels espoirs féminins qui n’ont jamais confirmé. Pas elle. L’actrice française d’origine algérienne et tunisienne née en 1987 a joué dans près de quarante de longs-métrages, sans compter les courts-métrages et les téléfilms. Elle est aussi passée derrière la caméra comme réalisatrice, avec les très réussis  Tu mérites un amour (2019) et Bonne mère (2021).

Inspiré d’un fait divers

La solitude des personnages traverse ses deux films, thème que l’on retrouve dans Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck, dans lequel elle incarne Lydia, sage-femme qui se fait larguer par Julien après trois ans de relation. Comme elle l’a déjà fait auparavant, elle coupe brusquement le contact avec tout le monde, se réfugiant dans le travail jusqu’à l’épuisement. Elle rencontre Milos après une nuit de garde prolongée mais le chauffeur de bus ne veut pas aller au-delà de la relation d’une nuit. Nouvelle déception qui coïncide avec le bonheur de sa meilleure amie, Salomé, enceinte. Depuis toujours, quand l’une est heureuse, l’autre est malheureuse. Après une série de coïncidences à l’hôpital, Lydia va s’enfoncer dans le mensonge jusqu’à commettre un acte fou…

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Lequel ? La voix-off du film parle très tôt d’un procès mais on ne saura qu’à la fin de quoi il s’agit. On ne dévoilera rien du dénouement, sauf à dire qu’il est à la hauteur de la tension qui s’installe tout au long du film. Ce dernier est tiré d’un fait divers, dont Hafsia Herzi nous dit qu’elle n’a pu trouver que trois lignes dans la presse. L’histoire avait déjà inspiré Iris Kaltenbäck pour son premier court-métrage, Le Vol des cigognes. Le ravissement, mot-titre de son premier-long métrage, pourrait aussi bien caractériser notre impression face à la performance d’Hafsia Herzi, dont la sobriété et la subtilité incarnent à merveille la complexité de son personnage, victime de sa solitude, bourreau par le mensonge et par ce qu’elle va commettre.

Jeune Afrique : Comment votre rencontre avec Iris Kaltenbäck, la réalisatrice du film Le Ravissement s’est-elle déroulée ?

Hafsia Herzi : Mon agent m’a dit qu’il fallait absolument que j’arrête tout pour lire un super scénario. Je l’ai lu et j’ai tout de suite adoré. Ensuite, nous nous sommes rencontrées par Skype. C’était très important d’avoir cette discussion avant d’accepter le rôle, je voulais savoir si on voyait le personnage de Lydia de la même manière.

Iris Kaltenbäck dit que, lorsqu’elle vous a présenté le personnage de Lydia, vous lui avez répondu : « Ne t’inquiète pas, j’ai tout compris, je la comprends parfaitement. » Que comprenez-vous de Lydia ?

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Le scénario étant très bien écrit, tout était clair. Le personnage m’a tout de suite touchée. J’ai compris que Lydia était très seule, en manque d’amour, et qu’elle ressentait un fort besoin d’aimer et d’être aimée. Je n’avais pas envie de la juger à travers le geste qu’elle va commettre.

A-t-il été difficile d’être en empathie avec elle malgré ce geste ?

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Le personnage de Lydia, je ne le détestais pas. Ce n’est pas que la méchante. J’avais envie qu’on ait de l’empathie pour elle. Oui, elle commet un acte irréparable mais c’est parce qu’elle souffre, qu’elle est malheureuse, qu’elle sort d’une rupture difficile dont elle ne s’est pas remise. Le mensonge n’est pas prémédité, elle s’enfonce dans une spirale malgré elle. L’engrenage va faire basculer la vie de tous les gens qui l’entourent. Je n’avais pas envie de la juger. J’essayais de m’identifier à elle en me demandant si demain, ça pourrait m’arriver. On peut tous avoir des moments de fragilité psychologique, même ceux qui se croient forts peuvent dérailler.

Le film aurait pu s’appeler Tu mérites un amour, titre du premier long-métrage que vous avez réalisé. Pensez-vous que la solitude soit le mal de notre époque ?

Qui ne s’est jamais senti seul dans la vie ? Même si on est très entouré, on peut se sentir profondément seul. Iris m’a demandé ce que je savais de la solitude. Nous en avons parlé. C’est un sentiment universel qui me touche, dont j’ai parlé dans mes films Tu mérites un amour et Bonne Mère.

On ne connaît rien du passé de Lydia…

Dans une scène, elle dit que sa mère est morte quand elle était enfant. Elle affirme aussi à Milos qu’elle n’a pas de famille, que Salomé est comme sa sœur. Mais on ne sait jamais ce qu’il sait de la vérité. Iris a insisté sur le fait que c’était un personnage très seul, très intérieur et qui ne parle pas, qui ne se confie pas. Tout garder pour soi n’est pas forcément une bonne chose comme le film le montre…

Lydia est sage-femme. Vous êtes-vous servi de votre expérience de mère pour nourrir votre rôle ?

Mon fils avait un an et demi à l’époque du tournage et j’avais déjà tenu un nouveau-né dans mes bras. Je ne sais pas si j’aurais eu le courage de manipuler des bébés aussi aisément si je n’avais pas été mère.

Vous êtes allée dans des maternités avec de vraies patientes pour tourner certaines scènes…

Oui, on a fait des services de jour et des services de nuit avec de vraies sages-femmes. Dès que c’était possible, et en accord avec les mamans, je jouais des scènes de visite avec une équipe réduite composée de la chef opératrice, d’un cameraman, d’un preneur de son et d’Iris.

Sans dévoiler la fin de l’histoire, pensez-vous que Lydia est malade ou manipulatrice ?

Un peu des deux. En la jouant, je ne voulais pas faire une démonstration de folie. Je suis les faits divers, les gens qui déraillent sont parfois très calmes, on ne soupçonne pas qu’ils puissent sombrer.

Dans le film, la meilleure amie de Lydia, Salomé, n’assume pas immédiatement son rôle de mère. Y a-t-il une injonction sociale à être la mère parfaite ?

Le rôle de mère n’est pas du tout évident et on peut être jugée sévèrement. On ne nous enseigne pas à devenir mère, on l’apprend sur le tas. On entend souvent dire « c’est la faute des parents » quand les enfants dérapent. Mais même si les parents essaient de faire de leur mieux, l’éducation de leurs enfants peut leur échapper.

Vous avez travaillé avec une femme, Iris Kaltenbäck, et depuis #MeToo, la question du genre se pose davantage dans le cinéma. Travaillez-vous de la même façon avec un homme ou une femme ?

Pour moi, c’est pareil. Je n’ai jamais senti de différence au niveau artistique. C’était formidable avec Iris parce qu’elle est ouverte aux propositions mais tous les metteurs en scène ne le sont pas. Certains veulent que l’on respecte leur texte à la lettre. Avec elle, il y a un vrai échange, une vraie communication. Mais surtout, elle nous a mis en valeur. C’est très bien filmé et mis en scène.

Votre rapport au jeu a-t-il changé depuis que vous avez mis en scène vos premiers films ?

J’étais déjà très exigeante, je le suis encore plus car je sais que chaque prise est importante. Il faut faire très attention car un détail peut gâcher une prise.

Le passé de Lydia, ses origines sont indéterminés. Dans votre filmographie, vous avez joué aussi bien le rôle de personnages prénommés Nadège, Marine, Chérifa, Amel… Pensez-vous que le cinéma soit indifférent aux origines ou à la couleur ?

Pour moi, le cinéma est universel. Et dans Le Ravissement, nous n’avons parlé à aucun moment des origines de Lydia. C’est une ouverture d’esprit qui n’existait pas forcément il y a dix ans. C’était plus fermé. Aujourd’hui, pour les Maghrébins, ça va mieux mais pour les Asiatiques, par exemple, cela reste compliqué.

Votre filmographie montre un engagement en faveur des femmes à disposer de leur corps. Comment voyez-vous les débats politiques sur le port de certains vêtements comme l’abaya ?

Franchement, c’est n’importe quoi. Il faut laisser les gens s’habiller comme ils le veulent. Je pense qu’il y a d’autres problèmes plus importants. Ce sont des débats qui n’ont pas lieu d’être.

 © Diaphana Distribution

© Diaphana Distribution

Le Ravissement, d’Iris Kaltenbäck avec Hafsia Herzi, sortie dans les salles françaises le 11 octobre 2023

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