Quand l’UE rappelle à l’ordre le président-candidat Sissi
Le 5 octobre, les eurodéputés ont voté une résolution s’inquiétant de l’état des libertés en Égypte et appelant à la libération de certains opposants. L’un des promoteurs de ce texte explique pourquoi, à deux mois de l’élection présidentielle, il faut maintenir la pression sur Le Caire.
Arrivé au pouvoir en 2014, le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, brigue un nouveau mandat, malgré une popularité mise à mal par la crise économique que l’opposition impute aux chantiers d’infrastructures pharaoniques qu’il a lancés et qui ont grevé le budget de l’État.
S’il ne s’est officiellement déclaré que ce 3 octobre, Sissi est en campagne depuis plusieurs mois et a veillé, comme lors du précédent scrutin, à d’abord écarter ses rivaux. Très opportunément, en septembre 2023, l’un de ses challengers, l’éditeur Hisham Kassem, a été condamné à six mois de prison, tandis que, depuis le mois d’août, Ahmed al-Tantawi, figure de l’opposition, peine à récolter les signatures nécessaires à sa candidature et fait face à des tentatives d’intimidation.
Des droits bafoués, des journalistes et des blogueurs en prison – dont Alaa Abdel Fattah… Face à ce que beaucoup considèrent comme une dérive du pouvoir, le Parlement européen a adopté, ce 5 octobre, une motion appelant à la libération de Hisham Kassem et à la fin du harcèlement que subissent les opposants au président Sissi.
Parmi les eurodéputés qui ont porté cette motion, le démocrate libéral allemand Jan-Christoph Oetjen, membre du groupe Renew Europe, qui siège à la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures. Il détaille pour Jeune Afrique les inquiétudes de l’Europe à l’égard de la situation en Égypte.
Jeune Afrique : Quel est le but de la motion que vous avez fait adopter par vos collègues eurodéputés ?
Jan-Christoph Oetjen : L’objectif est de mettre en lumière le cas de Hisham Kassem, dont l’affaire est présentée en appel devant la cour ce 7 octobre. Son cas illustre ce qui se passe en Égypte, où l’opposition libérale est ciblée par le pouvoir. Le Courant libre, dont Hisham Kassem est membre, compte 35 arrestations dans les dernières semaines, avec des accusations assez minces. On peut estimer, du point de vue du Parlement européen, que la liberté d’expression en Égypte est encore plus menacée qu’avant.
De nombreuses arrestations ont eu lieu ces dernières années, notamment celle du chercheur égyptien Patrick Zaki. La dérive du régime ne date pas d’hier. Pourquoi l’évoquer maintenant ?
Justement, nous n’en sommes pas à la première motion d’urgence. Nous en avons introduit une l’année dernière sur les conditions de détention d’Alaa Abdel Fattah, qui avait entamé une grève de la faim. Sans compter les innombrables journalistes censurés. Nous essayons de nous pencher régulièrement sur la situation de l’Égypte pour alerter les décideurs dans les États membres. C’est important car la coopération avec Le Caire se décide en bilatéral, et non au niveau de l’UE. En cette période pré-électorale, le harcèlement de candidats de l’opposition comme Ahmed al-Tantawi est encore plus flagrant. Tout est mis en œuvre pour empêcher l’opposition de se former et de s’exprimer.
L’intransigeance de l’UE en matière de respect des droits humains et des libertés semble tout de même assez variable selon les pays auxquels elle s’adresse. Ne faudrait-il pas tout simplement en faire un préalable à toute négociation ?
À mon sens, cela devrait être une condition sine qua non de tout accord qui engage l’UE avec des États tiers. En cas de non respect des droits de l’homme, aucun contrat ne devrait être passé. Actuellement, on discute beaucoup de la Tunisie, notamment après les différentes arrestations. L’exemple du mémorandum d’entente est très parlant car il n’est passé par aucune institution européenne. Il s’agit de l’initiative de deux Premiers ministres et de la présidente de la Commission européenne. Un texte a été négocié mais n’a pas été voté par les instances de l’Union et n’a donc pas de bases légales et juridiques. Les députés européens, de tous bords politiques, réclament que ce type d’accord soit établi sur une base légale où le respect des droits fondamentaux est une condition non-négociable.
L’Europe doit-elle revoir son approche en matière de migration ?
La collaboration doit être fondée sur l’idée d’une politique intégrée. On ne peut pas uniquement parler de migration, de coopération policière ou de formation et d’installation d’équipements. La coopération doit être entendue comme une approche globale, notamment avec les États dont sont originaires les candidats à la migration, alors qu’on s’est focalisé sur les pays de transit. La politique déployée par l’Union doit être multisectorielle et globale, concerner aussi bien le commerce que l’investissement, l’éducation, et inclure tout ce qui est concerné par la migration. La réponse n’est pas standard mais propre à chaque pays.
Nous ne souhaitons pas en finir avec la migration et nous comprenons ceux qui cherchent du travail et une meilleure vie, c’est même le propre de l’humanité. Mais en tant qu’Européens, nous devons être en capacité de canaliser les flux migratoires en fonction de nos disponibilités et de nos besoins. Il s’agit d’éviter les confusions : ceux qui fuient une guerre ou qui sont des minorités persécutées dans leur pays ou des opposants politiques peuvent avoir recours au système d’asile. Mais ceux qui cherchent du travail doivent suivre une autre voie pour accéder au marché de l’emploi européen. Il s’agit de « mettre de l’ordre » et de changer ou d’ajuster le système à l’intérieur de l’UE.
Pourquoi ne pas engager une démarche avec l’Union africaine (UA) plutôt que de négocier au cas par cas ?
En matière de migration, l’UA n’a pas les compétences qu’ont les pays. Par contre, elle pourrait être un interlocuteur important pour canaliser le point de vue des pays africains en tant que pays d’origine. Mais les accords se négocient en bilatéral, si bien que l’UA n’intervient pas dans ce dispositif. Cela pourrait changer si les États africains acceptent de converger sur les termes d’une solution commune.
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