Au Cameroun, Atanga Nji part en guerre contre les motos-taxis

Alors que les poches d’insécurité se multiplient dans le pays, les autorités pointent un doigt accusateur vers le secteur des motos-taxis. Une activité qui se déploie hors de toute régulation et sur laquelle le gouvernement souhaite reprendre le contrôle.

Ces deux derniers mois, les délits impliquant des motos-taxis au Cameroun se sont comptés par centaines, incitant le gouvernement à agir. Ici, dans les rues de Douala. © Nicolas Eyidi

Franck Foute © Franck Foute

Publié le 6 octobre 2023 Lecture : 4 minutes.

Les chiffres font froid dans le dos. Entre les mois d’aout et de septembre 2023, plus de 700 agressions, 200 viols, 110 cas de détournement d’itinéraires et 930 cas d’accidents graves ont été enregistrés par les autorités camerounaises à travers le pays. Signe d’une recrudescence de l’insécurité dans les villes, ces délits et forfaits ont surtout en commun d’avoir tous connu l’implication de conducteurs de motos-taxis, les fameux « benskineurs », qui assurent le transport des personnes et des biens dans les villes et villages du pays.

Selon le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, qui en a fait la révélation le 27 septembre dernier, la situation est « extrêmement grave ». « Il y a des conducteurs de motos-taxis qui sont payés pour aller braquer, assassiner ou vandaliser, a-t-il détaillé. Ça ne peut plus continuer. La loi, on va l’appliquer, et ce sera extrêmement dur ». Le membre du gouvernement, qui mettait ainsi en garde les acteurs du secteur incriminé, a également annoncé l’imminence d’une « opération tolérance zéro », dont le but sera d’extirper des rangs les « bandits et autres trafiquants ».

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Une loi inappliquée depuis 2013

« L’exercice de cette activité sera désormais soumis à la satisfaction de quatre modalités, à savoir : la présentation d’une carte nationale d’identité, d’un permis de conduire A, d’une chasuble et d’une immatriculation de la moto », a martelé Paul Atanga Nji. Et s’il a donné aux conducteurs jusqu’au 30 octobre pour s’y conformer, ses déclarations à la tonalité dure sonnent comme la fin de la lune de miel – ou plutôt d’une sorte de pacte de non-agression – qui existait jusque-là entre l’État et les « benskineurs ».

Toutes les tentatives de régulation se sont soldées par des échecs

La problématique des motos-taxis et de leur régulation est loin d’être nouvelle. Depuis l’intrusion de ces engins à deux roues dans le secteur du transport urbain, à la faveur du marasme économique des années 1990, l’État a tenté à plusieurs reprises de le réguler. Les autorités ont d’abord envisagé d’empêcher la prolifération des motos. Puis, il a fallu se résigner à combattre leur présence et essayer d’imposer le port du casque. Sans grand succès, il a finalement été question de faire sortir les conducteurs de l’informel en les identifiant.

« Toutes les tentatives de régulation faites par le pouvoir se sont soldées par des échecs », fait savoir Cyrille Tafock, ancien responsable d’un syndicats de motos-taxis. Signe de cette situation : la loi de 2013 fixant les conditions et les modalités d’exploitation des motocycles à titre de transport, laquelle énumère la liste des pièces exigibles pour exercer ce métier, n’est pas appliquée dix ans plus tard.  « Les autorités ont toujours fait preuve d’une tolérance administrative » vis-à-vis des conducteurs de motos-taxis, reconnaît Paul Atanga Nji, « dans le souci de laisser du temps à ces derniers en vue de se conformer au décret ».

Des motos et des espions

Mais ce « temps », les moto-taxis l’ont surtout utilisé pour se structurer et se multiplier, au point de devenir incontournables dans de nombreuses contrées. « Le gouvernement devrait reconnaître que, sans ces moto-taximen, la mobilité urbaine et rurale serait quasi nulle, affirme Joshua Osih, président par intérim du Social Democratic Front (SDF). À Douala, c’est au moins 40 % des citoyens qui les empruntent quotidiennement. Ce sont eux qui amènent les mamans au champ, ils servent d’ambulance, de corbillard et parfois même de sapeurs-pompiers, comme on a pu le voir lors de l’incendie de la mairie de Bamenda III ».

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Au Cameroun, les conducteurs de motos-taxis sont aussi une véritable force politique, que les pouvoirs publics gèrent avec la plus grande délicatesse. Incapables d’imposer à ces derniers de se conformer à la loi, le pouvoir a d’ailleurs parfois su trouver dans ce corps de véritables alliés. Ces dernières années, certains groupes de « benskineurs » ont ainsi été en première ligne des appels de soutien au président de la République, Paul Biya, et ont été très présents pendant des meetings de campagne du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir).

Lors des récentes manifestations de l’opposition, des groupes de moto-taximen se sont même mués en agents de renseignements. Pour Paul Atanga Nji, ce modèle de coopération avec la police est même une réussite et devrait être répliqué dans d’autres villes. « À Douala, il y a une brigade au sein des syndicats qui travaille avec les autorités administratives, et qui arrive à vous dire qui est qui, ou qui fait quoi parmi les conducteurs, a révélé le ministre de l’Administration territoriale. Il faudrait que ceux de Yaoundé et d’ailleurs en fassent autant ».

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Paul Atanga Nji réussira-t-il là où nombre de membres du gouvernement ont échoué avant lui ? Les colères des conducteurs de moto-taxi sont le cauchemar des préfets et des forces de maintien de l’ordre. Patron de la préfectorale, Atanga Nji assure être déterminé à aller au bout de sa logique. Signe de son engagement, le ministre « sécurocrate » veut même étendre son tour de vis « aux importateurs et aux vendeurs de motos ». Nouvel effet d’annonce ou début d’une nouvelle ère de « tolérance zéro » ?

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