Référendum au Tchad : le conflit entre agriculteurs et éleveurs, un thème périlleux mais porteur
Le référendum du 17 décembre prochain sur la forme de l’État opposera fédéralistes et unitaires. Dans leur chasse aux suffrages en milieu rural, les politiques ne doivent pas perdre de vue le caractère explosif des différends qui empoisonnent la vie des populations, recommande l’ancien ministre Abdoulaye Ngardiguina.
Avec la consultation référendaire qui pointe à l’horizon, la préoccupation des acteurs politiques engagés dans la bataille épique sur la forme de l’État est la conquête de l’électorat. Dans ce marché atypique de négoce des suffrages, toutes les stratégies opérationnelles de marketing politique seront déployées. Le fameux conflit entre agriculteurs et éleveurs sera donc certainement au nombre des offres politiques les plus alléchantes – c’est-à-dire parmi les thèmes de campagne les plus porteurs –, ces populations représentant un réservoir de voix appréciable.
Recette magique
Pour ceux des acteurs politiques qui comptent sur les suffrages des agriculteurs, la technique et les éléments de langage à utiliser sont bien rodés : les éleveurs venus du Nord seront ostracisés car ils seraient la cause de tous les maux, malheurs et malédictions. Afin de séduire l’électorat agricole, les politiques vont se présenter comme les mieux placés pour résoudre les sempiternels litiges autour des champs et des points d’eau. Leur préconisation, professée telle une recette magique, est l’instauration de l’État fédéral.
Aux yeux des marchands de ce « bien miracle », il faudrait que les éleveurs repartent dans leurs biotopes pour permettre aux agriculteurs de vaquer normalement à leurs activités champêtres. Bien évidemment, cette publicité singulière a un véritable pouvoir de séduction, comme on l’a remarqué lors des premières consultations électorales que le Tchad a connues depuis l’avènement de la démocratie, en 1990. Les partis d’obédience fédéraliste ont ainsi réalisé des percées importantes, à une certaine époque, en usant de cet argumentaire.
Pour les politiques qui cherchent à ratisser large dans le monde pastoral, le message est tout aussi simple et clair : le Tchad a toujours été un État unitaire. Il est un et indivisible. Dans une telle forme d’organisation politique et administrative, le pays appartient à tout le monde et nul n’a le droit de s’approprier un sol. Cette rhétorique a prouvé son efficacité au cours des élections passées.
Certes, le thème du lancinant conflit entre agriculteurs et éleveurs est « socialement mobilisateur » et « politiquement productif ». Mais ce chemin est glissant et l’emprunter peut se révéler suicidaire si les argumentaires développés sont de nature à renforcer le schisme communautaire plutôt qu’à contribuer à réduire cette fracture. En effet, si les éleveurs, dont certains se sont sédentarisés en devenant des agropasteurs, ont légitimement le droit d’exercer leurs activités, ils sont néanmoins tenus au respect d’un certain nombre de codes sociétaux et sociaux qui impliquent le dialogue, le respect de l’autre, l’altérité, la tolérance, le pardon et l’amour du prochain. Les us et coutumes des populations d’accueil méritent considération. À cet égard, les bosquets sacrés, hauts lieux des rites initiatiques séculaires, ne doivent pas être profanés. De même, les aires de pâturage ne doivent pas être confondues avec les champs.
Entre politisme et populisme
Accorder aux agriculteurs, qui vivent dans leur chair les affres des ravages de leurs champs, le droit de sécuriser leurs exploitations ne doit pas forcément consacrer le triomphe de la fédération ou de la scission du pays. Au demeurant, les offres politiques doivent être digestes en portant, le mieux possible, les labels de franchise, de réalisme, de pragmatisme, de lucidité et de responsabilité, même s’il est vrai que ces valeurs ne font pas souvent bon ménage avec le politisme et le populisme.
Les perspectives référendaires donnent l’opportunité d’interpeller la conscience des acteurs politiques en présence et, au-delà, l’ensemble des forces politiques et sociales, pour une introspection critique. Il ne sert absolument à rien d’attiser la flamme de la discorde. Pour autant, il ne faut pas opter pour la politique de l’autruche en niant la réalité ontologique de ce conflit qui cause de graves préjudices au pays. Le Tchad ne peut prospérer, au plan socioéconomique, sans une mise en valeur optimale et industrielle de l’agriculture et de l’élevage. En attendant cette révolution dont les jalons sont, fort heureusement, déjà posés, l’action immédiate à privilégier sera d’œuvrer, individuellement et collectivement, pour la cohabitation pacifique entre les deux principaux courants du monde rural. Agriculteurs et éleveurs sont simplement tenus par une relation de solidarité et de complémentarité, voire de complicité, car ils ont une communauté de destin.
Apaiser les tensions
Aux pouvoirs publics de s’investir davantage dans la quête d’approches de prévention, de gestion et de résolution des potentiels heurts entre les deux communautés sœurs. Dans cette perspective, c’est la recette de l’anticipation, au travers de la communication et de la sensibilisation sur le vivre-ensemble, qui devrait être privilégiée. Le laxisme, la duplicité et les prises de position partisane dans la gestion des conflits doivent être combattus comme la peste.
Sans vouloir égratigner la presse et la société civile, il nous semble fort important, dans un objectif d’apaisement du climat social dans le monde rural, d’attirer l’attention de certains médias et associations sur leurs discours qui, parfois, entretiennent les tensions entre agriculteurs et éleveurs. À cet égard, les choix éditoriaux et les positionnements discursifs devraient être en adéquation avec les objectifs communs que sont la paix, la cohésion fraternelle et la cohabitation pacifique entre agriculteurs et éleveurs. Tel nous semble être le critère à mettre en avant dans le contexte actuel.
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