En Tunisie, Abir Moussi rejoint la liste des opposants emprisonnés

Placée sous mandat de dépôt au terme d’une garde à vue de quarante-huit heures, la dirigeante du Parti destourien libre (PDL) doit répondre de graves chefs d’accusation. Sans que son sort émeuve grand monde au sein de l’opinion publique.

La présidente du PDL, Abir Moussi, tentant de forcer un cordon de sécurité, lors d’une manifestation contre le président Kaïs Saïed, devant le palais de Carthage, le 14 janvier 2023. © Sofiene HAMDAOUI/AFP

Publié le 6 octobre 2023 Lecture : 4 minutes.

Fin de partie pour Abir Moussi ? Sans doute pas, mais la présidente du Parti destourien libre (PDL) vient d’être prise dans l’engrenage d’une machine judiciaire que cette avocate de profession connaît bien. Le mandat de dépôt délivré à son encontre le 5 octobre 2023 par le doyen des magistrats instructeurs du tribunal de première instance de Tunis, à l’issue de quarante-huit heures de garde à vue, scelle son avenir immédiat, avec à la clé une incarcération à la prison pour femmes de La Manouba, à Tunis.

Celle qui a construit l’essentiel de sa proposition politique sur une opposition systématique aux islamistes doit aujourd’hui répondre de chefs d’accusation graves. Selon les dispositions de l’article 72 du code pénal, elle est accusée « d’attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement, d’inciter la population à prendre les armes, d’appeler au chaos, au meurtre ou au pillage sur le territoire tunisien ». Pour ce seul chef d’inculpation, elle encourt, selon son avocat Naoufel Bouden, la peine de mort. Elle est également poursuivie, au titre de la loi de 2004 relative à l’atteinte aux données personnelles, de traitement des données à caractère personnel sans l’autorisation de la personne concernée, et d’entrave à la liberté de travail.

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Son crime ? S’être présentée, le 3 octobre, à l’entrée du palais de Carthage, siège de la présidence, afin de déposer un document avisant de son désaccord sur le décret concernant le nouveau découpage territorial et convoquant les électeurs aux élections locales. La décharge relative au dépôt de ce document auprès de la présidence est exigée par le tribunal administratif pour pouvoir engager un recours.

Comme à son habitude, Abir Moussi – particulièrement procédurière et coutumière des dépôts de plainte et des recours – s’est présentée accompagnée d’un huissier et a filmé le refus d’accès au bureau d’ordre, afin de prouver qu’il lui avait été impossible d’obtenir une décharge. Ce qui permet à son défenseur d’assurer que le constat d’huissier et la vidéo font foi de la réalité des faits.

Elle aurait pu, simplement, faire constater le refus par l’huissier. Mais Abir Moussi a toujours tendance à trop en faire, à être dans la mise en scène et l’emphase. Aux portes du palais présidentiel, le énième show de la drama queen de la politique tunisienne n’est pas passé. Elle a été conduite par les agents de la brigade spéciale au poste de police de La Goulette, où lui a été signifiée sa garde à vue, avant son transfert au centre de Bouchoucha. Quarante-huit heures plus tard, en début de soirée, la décision d’écrouer Abir Moussi est tombée et a ému ses partisans. Pourtant, dès l’après-midi, les pages de soutien au pouvoir bruissaient déjà de cette annonce.

Une détenue pas comme les autres

Bien sûr, les accusations portées contre la dirigeante politique sont complètement disproportionnées au regard des faits. Mais Abir Moussi savait aussi que ses provocations allaient finir par lui attirer des ennuis. Cherchait-elle la confrontation ? Toujours est-il qu’elle a rejoint les 23 figures politiques, représentant l’essentiel de l’opposition, qui croupissent en prison, pour certains depuis le 11 février 2023. Leurs dossiers sont vides, selon leurs avocats, mais les accusations portées contre eux – notamment celle d’atteinte à la sécurité de l’État – rendent impossibles toute collecte ou diffusion d’informations sur ces affaires sensibles.

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Ironie du sort, la présidente du PDL se retrouve dans une situation similaire à celle de son ennemi juré, Rached Ghannouchi, leader du parti islamiste, incarcéré en avril 2023 pour une vidéo mise en ligne sur Facebook.

Mais, pour l’heure, si les motifs de son incarcération ne semblent guère solides, le sort de celle qui envisageait de se présenter à la présidentielle de 2024 ne paraît pas bouleverser l’opinion. Beaucoup se souviennent que par sa surenchère permanente au Parlement, elle a soufflé sur les braises, créant un climat qui a conduit le président Kaïs Saïed à s’arroger tous les pouvoirs le 25 juillet 2021.

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Certains rappellent sa manière de débouler dans l’hémicycle affublée d’un casque de moto, ses interventions virulentes en tant que présidente de groupe parlementaire, ses hurlements et le déchaînement de violence verbale, et parfois physique, qu’elle provoquait. « Elle n’a aucune limite », constate un ancien député.

Depuis, et tandis que la vie politique tunisienne se réduisait comme peau de chagrin, Abir Moussi a poursuivi son activité partisane, émaillée par quelques interdictions de manifester, ce qui ne l’a pas empêchée d’organiser un sit-in dans le centre de Tunis, devant le siège de l’Union des oulémas musulmans, dont elle voulait dénoncer les dérives. Dans ce combat contre l’obscurantisme, Abir Moussi a montré une détermination sans faille… mais sans grand résultat.

« Vociférations »

« Si elle avait détruit Ennahdha, cela se saurait. Le parti a perdu de son assise pour avoir mal conduit les affaires du pays », explique un ancien militant de Nidaa Tounes. Il ajoute qu’Abir Moussi, elle-même conservatrice, a oublié qu’elle était d’abord perçue comme une femme, ce qui reste rare dans la politique tunisienne. « Elle veut être une bête politique mais les électeurs ne la considèrent pas comme une dirigeante crédible à cause de ses vociférations. »

Pour certains, la mise à l’écart de la dirigeante du PDL était prévisible. « Le régime l’a tolérée tant qu’elle lui était utile pour dégager les islamistes. Elle a été au charbon, mais elle ne s’est pas rendue compte que son fond de commerce avait été exploité par d’autres. Elle a œuvré à l’avènement du 25 juillet. Aujourd’hui, elle n’est plus utile, d’où sa mise à l’écart », commente un politologue.

Pour d’autres observateurs, l’arrestation de Abir Moussi couronne une séquence politique qui a vu le pouvoir écarter progressivement ceux qui seraient susceptibles de le renverser. Sur une scène politique vidée de ses acteurs, Abir Moussi est devenue de plus en plus critique à l’égard du président. Un pas de trop qui l’a sans doute fait trébucher. Est-elle à terre ? La justice le dira.

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Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL) lors d’une manifestation anti-Ennahdha devant le Théâtre municipal de Tunis, le 19 juin 2021. © Chedly Ben Ibrahim/NurPhoto via AFP

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