Au G5 Sahel, comme un vent de renaissance… et de panique

Tandis que se multiplient les coups d’État et les chocs géopolitiques, économiques et sociaux alimentant le désir de certains Africains de rompre avec la France, l’avocat Jemal Taleb invite ces derniers à la plus grande prudence.

Créé en 2014, le G5 Sahel regroupe le Burkina Faso, la Mauritanie, le Niger et le Tchad, le Mali étant sorti de l’organisation en 2022. © ISSOUF SANOGO/AFP

L’avocat franco-mauritanien Jemal Taleb. © DR
  • Jemal Taleb

    Avocat au Barreau de Paris, associé au cabinet Diamantis & Partners, vice-président du Centre de réflexion sur le Sahel.

Publié le 9 octobre 2023 Lecture : 8 minutes.

Le problème avec le vent, c’est qu’il est souvent « fripon », comme le définissait Georges Brassens. Et quand il souffle, on ne sait pas d’où il vient, encore moins où il va. Serait-ce le cas avec celui qui balaie depuis une décennie les pays africains, notamment ceux du G5 Sahel, à l’exception de la Mauritanie ? Est-il à la fois vent de renaissance et vent de panique ?

Depuis quelques années, les pays du Sahel défraient une chronique tumultueuse, entre l’insécurité et la valse des dirigeants balayés par des alternances mouvementées. Certains semblent trouver leur salut dans une relation des plus ambigües avec la Fédération de Russie, à travers son bras armé : le groupe Wagner. On peut comprendre leur démarche – sans forcément leur donner raison – ou pas, en sachant que cela conduira à terme à une impasse. Ils se sentent à tout le moins coincés entre, d’un côté, une France dont Antoine Glaser et Pascal Ayrault disent qu’elle s’enfonce dans le « piège africain », et de l’autre, « ce machin » – comme aurait dit le général De Gaulle – que l’on nomme Cedeao (Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest).

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La Cedeao a échoué

Notre intention n’est pas de faire le procès de cette organisation. Est-ce bien nécessaire de tirer sur une ambulance ! Mais comment ne pas se préoccuper de l’action et des résultats de cette structure sous-régionale dont on attendait beaucoup ! Un petit aperçu. Elle était censée créer un espace économique de libre-échange. On l’attend toujours. La libre circulation des personnes et des biens ainsi qu’un droit approfondi du marché intérieur n’est pas non plus à l’ordre du jour. Les barrières douanières restent dressées et le projet d’une union politique et monétaire commune n’a jamais abouti. L’Eco comme monnaie unique est un vœu dont on ne parle plus, même pas pour rire de l’originalité de son nom.

Le constat est clair : la Cedeao a échoué dans des domaines qu’elle était supposée maîtriser et elle tente de s’embarquer dans ce qu’elle ne sait pas faire. Par rapport aux coups d’État qui se succèdent, passé le temps de ce qui s’apparente à de l’esbroufe, le soufflé retombe bien vite. En Guinée, au Mali et au Burkina Faso, où en sont les sanctions brandies avec célérité et tartarinade ? Au Niger, elle a commis l’erreur de mettre la barre à un niveau qu’elle ne pouvait atteindre. À l’issue de cette nouvelle pantalonnade, elle perdra le peu de crédibilité qui lui reste si elle ne va pas jusqu’au bout. Et au vu de la levée de boucliers des pays voisins, on n’imagine pas qu’elle ait les moyens de l’atteindre. En revanche, elle est restée muette face à la répression sanglante qui s’est exercée au Sénégal, alors qu’on se serait attendu au minimum à une condamnation de principe. Elle passe à côté des tensions au Bénin en attendant qu’il soit trop tard. Certains de ses dirigeants sont allés prôner la paix entre Russes et Ukrainiens et ont oublié de défendre ces principes à l’intérieur des frontières de leur propre pays.

Revenons au Niger, ce pays qui m’est si cher et si proche. La Cedeao déclare vouloir faire une guerre au Niger contre les Nigériens – pas contre un agresseur extérieur – pour rétablir Mohamed Bazoum à son poste. Cela reviendrait à tuer des milliers de personnes et à déstabiliser la région.

Fronde permanente

Sans penser à la Libye voisine, serait-il bien raisonnable de tenter une telle aventure pour faire revenir un homme que le peuple considère, à tort ou à raison, comme étant mal élu et plutôt enclin à obéir aux puissances étrangères ? Dans ce pays de la fronde permanente et des soulèvements populaires et syndicaux presque rituels, on n’a pas vu la moindre fraction du peuple soutenir le prince déchu. Et de toute part, les voix africaines et étrangères s’élèvent pour condamner le discours va-t-en-guerre de la Cedeao et mettre en garde contre une action militaire des Africains contre un pays africain pour des intérêts peu clairs. On a comme l’impression que cette affaire concerne tout le monde sauf le peuple du Niger.

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Le Nigeria a pris le leadership de la Cedeao depuis son intervention en Guinée-Bissau et la mise sous tutelle de ce petit État. Cette hégémonie n’est, en réalité, acceptée que du bout des lèvres. Le Nigeria a délégué au Sénégal la tutelle de la Gambie depuis le départ du dictateur Yahya Jammeh. Au bout d’un compte bien maigre ou plutôt à perte, l’organisation apparaît comme un syndicat de chefs d’État qui essaient, contre vents et marées et contre la volonté de leur peuple, de se maintenir au pouvoir. Et au final, l’image que renvoie la Cedeao dans cette affaire nigérienne est celle d’une organisation à la solde des intérêts étrangers, au service de la volonté des Occidentaux.

Quant à l’autre partenaire de l’Afrique, la France, depuis le début des années 2000, on peut laborieusement trouver une lecture objective à sa politique africaine. Le président Emmanuel Macron se vante même de ne pas en avoir. Malheureusement, ne pas avoir de politique est en soi une… mauvaise politique. Avec son intervention en Libye, le président Nicolas Sarkozy a ouvert la voie à l’assassinat de Kadhafi. Les plus modérés diront qu’il a fait sauter les digues qui retenaient le terrorisme sahélien et a transformé cette zone en un enfer à ciel ouvert. Je continue de retenir du président François Hollande son attitude méprisante à l’égard de Joseph Kabila en République démocratique du Congo, une attitude arrogante de la part d’un président de France envers les dirigeants du plus grand pays francophone du monde et un potentiel partenaire des plus riches. La seule explication que je trouve à ce comportement, c’est sa volonté de plaire à quelques ONG.

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La « non-politique » d’Emmanuel Macron

Enfin Macron vint. Et avec lui le choix de la « non-politique » ou la chronique tragi-comique d’un fiasco annoncé. Pourquoi tout cela ? Pourquoi cette envie irrépressible de heurter les Africains ? Qui lui a soufflé cette idée folle de décider qui seront les nouveaux interlocuteurs africains de la France – les jeunes et la société civile. C’est du moins la lecture que font les élites africaines du regrettable sommet de Montpellier. Logiquement, c’est la voix de ces élites que l’on devrait écouter. Nul n’a plus vocation à décider de ce qui est bien pour les pays africains. Comme si cela ne suffisait pas, il choisit Blick Bassy, un artiste camerounais totalement inconnu dans les sphères scientifiques, pour diriger la commission sur l’épineux dossier de la guerre d’indépendance du Cameroun, face à une historienne française. Ensuite, il confie à Achille Mbembe, le soin de réfléchir à la manière d’enseigner la démocratie en Afrique. Le problème est que l’intellectuel camerounais, dont la qualité des travaux n’est pas discutable, n’a pas la réputation d’être un grand amoureux des relations entre l’Afrique et la France.

Il n’y a pas un observateur sérieux qui ne s’interroge face à l’attitude inattendue du gouvernement français envers ses alliés historiques d’Afrique. On a parfois l’impression que la France se comporte avec plus d’insolence que du temps des colonies. « Il y a dix-huit mois, j’appelais à une révision en profondeur de la politique française au Sahel. À l’époque, nous venions d’être expulsés du Mali. Le Burkina Faso a suivi et voilà que maintenant c’est le tour du Niger. À chaque fois les putschistes jouent le sentiment antifrançais, assez répandu dans la population, pour présenter leur coup d’État comme une libération du colonisateur… N’incriminons pas les Russes qui ne font que profiter de la situation. » Ces propos sont de l’ancien diplomate français Gérard Araud dans le journal français Le Point, en août 2023. L’homme n’est ni un plaisantin ni un ennemi de la France. Et de rappeler que le président Macron, comme ses prédécesseurs, annonçait, au début de sa prise de pouvoir, la fin de la Françafrique, ainsi que l’on promet une friandise à un enfant en sachant très bien que l’on ne tiendra jamais parole, en comptant juste sur la naïveté et l’immaturité prêtées à cet enfant que l’on refuse de voir  grandir. Et si nécessaire en comptant sur la terreur qu’on va lui inspirer.

Du syndrome Bob Denard au spectre Wagner

La France n’entend pas cette antienne qui monte chez ses alliés historiques : « Nous n’avons rien contre le peuple français mais nous ne supportons plus le mépris de ses dirigeants. » Du panafricaniste le plus farfelu, amateur de réseaux sociaux, aux plus hauts responsables politiques, en passant par les élites intellectuelles, la rengaine est la même dans les milieux africains.

Alors j’aimerais m’adresser à mes amis et frères africains. Je sais que la France, ce pays que vous connaissez et auquel vous êtes très attachés, n’en finit plus de vous surprendre par sa surdité. Vous avez de plus en plus l’impression qu’elle ne vous laisse plus le choix. Votre attachement déçu a généré en vous un ressentiment bien plus profond que ce que les médias français nomment « sentiment anti-français ». Il ne s’agit plus d’un vague sentiment. Comme me le disait le représentant d’une élite africaine : « la déception a fait naître en nous une haine profonde et, pire, doublée d’un mépris au moins égal à celui dont nous nous sentons victimes ».

Quelle que soit la légitimité de votre malaise et la voie que vous allez suivre, sachez néanmoins qu’une sagesse partagée par tous les peuples de la Terre avertit : « On sait ce que l’on quitte. Mais on ne sait pas toujours dans quoi on s’embarque ». Je sais bien que, quand on se noie, on est prêt à s’accrocher à un serpent. Mais quitter le syndrome Bob Denard pour le spectre Wagner nécessite réflexion. Abandonner une dépendance pour une autre, est-ce bien raisonnable ? La voie choisie par mon très cher Mali est une impasse. Le chemin entrepris par le capitaine Ibrahim Traoré ne lui permettra ni de triompher du terrorisme ni de réaliser les projets d’infrastructures dont le Burkina Faso a ardemment besoin. Expulser l’armée d’un pays sérieux comme la France et la remplacer par des mercenaires dont le seul objectif est d’exploiter les richesses du sous-sol n’est pas compréhensible. On a le devoir de se poser ces questions sans être accusé d’être des suppôts de l’impérialisme ni subir les insultes des africanistes sincères.

Tandis que le vent de la renaissance africaine souffle de toute part, preuve que rien ne sera plus jamais comme avant, assurez-vous une bonne fois pour toute de faire le bon choix. Le vent de la renaissance souffle. Il peut vous emporter vers des rives inhospitalières. Mais vous pouvez aussi vous saisir de cette occasion pour exiger de vos alliés historiques de tenir désormais la barre à quatre mains.

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