Christian Avellin (Spat) : « La desserte multimodale est une réalité en Afrique de l’Est, elle doit se densifier »
Le directeur général de la Société du port à gestion autonome de Toamasina revient sur les dernières évolutions du principal port malgache, le long d’une façade portuaire orientale également en plein développement.
De Djibouti à l’Afrique du Sud, le réveil des ports est-africains
Après vingt ans de modernisation à l’Ouest, les opérateurs publics et privés s’attaquent ces dernières années à la mise à niveau des ports de la façade orientale du continent. Autant d’évolutions qui devraient rééquilibrer la desserte maritime du continent et soutenir l’arrivée prochaine de la Zlecaf.
Principale porte d’entrée maritime de Madagascar, le port de Toamasina n’en finit pas de faire sa mue. Depuis 2018, le seul port en eau profonde de la Grande Île a engagé d’importants travaux pour sa modernisation et l’extension de ses installations. Près de 640 millions de dollars sont investis pour équiper Toamasina d’un nouveau terre-plein de dix hectares gagnés sur le récif et destinés au stockage de conteneurs. Un prolongement de 345 mètres du brise-lame déjà existant est également prévu, ainsi que la construction d’un nouveau terminal à conteneurs et la réhabilitation des anciens quais du môle C, le tout porté à un tirant d’eau de 16 mètres, contre 11 actuellement.
Avec ses nouveaux équipements, Toamasina ambitionne de devenir le port moderne capable de répondre aux besoins de Madagascar, tout en jouant à plus long terme le rôle de plateforme de redistribution des marchandises à l’échelle régionale, voire au-delà. Pour tenir une telle place, le port malgache souhaite s’appuyer sur l’essor des échanges commerciaux entre l’Afrique et l’Asie, tout en profitant de sa situation maritime pour développer ses relations avec les marchés du Moyen-Orient et de l’Afrique australe et orientale.
Christian Avellin, le directeur général de la Société du port à gestion autonome de Toamasina (Spat), revient sur le positionnement de son port, non loin d’une rangée portuaire orientale, elle-même en pleine évolution.
Jeune Afrique : Quelles sont les relations maritimes de Toamasina avec l’Afrique ?
Christian Avellin : Le trafic avec le continent revêt de très fortes potentialités qui doivent encore être développées. Faute de connectivité, ces trafics font le plus souvent des escales, essentiellement par le port de Durban, en Afrique du Sud, qui lui est très bien connecté avec l’Afrique et le reste du monde. C’est via ces lignes régulières conteneurisées que l’ensemble des pays de l’océan Indien sont desservis.
Nous disposons également de quelques touchers directs avec d’autres ports de la façade est-africaine, comme Mombasa et Djibouti, et nous recevons ici certains trafics d’Asie destinés au Mozambique. Mais ces activités restent très volatiles, et notre lien privilégié avec l’Afrique demeure Durban.
Vos trafics proviennent donc essentiellement d’Asie ?
D’Asie et d’Europe. Les volumes de marchandises en provenance d’Asie du Nord [Japon, Corée, Chine, Hong Kong] vers l’Afrique pèsent très lourd aujourd’hui et, en effet, certains passent par Madagascar, essentiellement par les quais de Toamasina, qui traitent chaque année 75 % de tous les échanges maritimes du pays.
Est-ce que Toamasina joue un rôle de hub sous-régional, notamment en direction des îles ?
Absolument pas. Au stade actuel de nos infrastructures, nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir de telles ambitions. D’autant que tous les pays avoisinants aspirent eux aussi à devenir un hub. Ici, faute de disposer d’infrastructures aux standards internationaux, nous ne pouvons pas encore attirer ce genre d’activité, mais nous devons nous y préparer, et c’est ce que nous faisons.
De par son positionnement, Toamasina semble pourtant appeler à tenir un rôle central dans la desserte de l’océan Indien ?
Certainement, mais ce n’est pas notre priorité du moment. Il est vrai que les relations commerciales à travers l’océan Indien se sont beaucoup développées ces dernières années et vont continuer à le faire, entre les exportations de matières premières d’Afrique et celles de produits manufacturés d’Asie. Chaque année, les estimations parlent de 5 millions de conteneurs qui passent à proximité de Madagascar sans s’y arrêter. Toamasina est donc en effet au cœur d’un énorme flux de trafics qui, même à minima, doit lui permettre de tenir sa place dans le transbordement régional.
Où en sont les projets de développement du port lancés en 2018 ?
Ils concernent essentiellement nos trafics conteneurisés, sur lesquels le port est très en retard en matière d’infrastructures, que ce soit en termes de linéaire de quai mais aussi de tirant d’eau. Nos projets avancent, et nous sommes aujourd’hui à un taux de réalisation de 50 %. Les travaux, financés par le gouvernement malgache et son homologue japonais, devraient arriver à leur terme en 2026. À cette date, nous pourrons alors tenir notre place dans la course en étant en mesure de recevoir les navires de grande taille mis aujourd’hui en ligne.
Quels sont les principaux concurrents de votre port dans la région ?
Les ports de la Réunion et de Maurice, mais aussi Maputo et Mombasa sur le continent. Pour l’instant, nous avons pris la décision de moderniser nos installations pour servir d’abord le marché domestique. Madagascar est une grande île de 27 millions d’habitants, qui pourrait en compter 50 millions d’ici à une génération. Nous devons donc anticiper aujourd’hui les besoins de demain, sinon le port risquerait de devenir un frein pour l’économie malgache. Nous verrons ensuite ce que nous pourrons faire en matière de transbordement.
Quel serait aujourd’hui l’exemple à suivre sur le continent pour Toamasina ?
Tous les principaux ports du continent sont aujourd’hui en phase de développement. Chacun en tenant compte de ses spécificités et de son contexte propre. Tous peuvent donc être, à des degrés divers, source d’inspiration pour nous. Ce qu’il faut noter, c’est que tout le monde est aujourd’hui conscient de l’importance de l’économie portuaire dans le développement d’un pays.
Les trafics sur la côte ouest-africaine, jusqu’au golfe de Guinée, ont enregistré d’importantes augmentations ces dernières années, dans la foulée de la modernisation de ses principaux ports. Quelle est la situation sur la façade orientale du continent ?
Le canal de Suez nous rapproche de la Méditerranée et de l’Europe, et permet de réduire les coûts de transport et les temps de transit. Les ports situés au nord de Mombasa en ont profité pour augmenter avec régularité leurs volumes conteneurisés. Les autres, plus au sud, ont conforté leur rôle, notamment en direction des pays enclavés. Mombasa, Dar-es-Salam, Maputo ont un vaste hinterland à desservir. Le Rwanda, qui est aujourd’hui l’un des pays les plus dynamiques du continent, alimente son économie via le port de Mombasa, situé pourtant à près de 1 500 kilomètres.
Les échanges commerciaux entre pays voisins représentent d’ailleurs une opportunité qui reste à saisir pour doper les activités des ports de la région. À l’exemple de Maputo qui peut traiter les marchandises destinées aux régions proches du Nord de l’Afrique du Sud à la place des ports sud-africains. Il reste beaucoup de marchés potentiels à développer, et l’arrivée de la Zlecaf doit nous y aider.
N’est-il pas nécessaire auparavant de renforcer la desserte terrestre depuis les grands ports de la façade Est ?
Les chemins de fer existent, entre Djibouti et Addis-Abeba, entre Mombasa et Nairobi, entre Dar-es-Salam et la Zambie. La desserte multimodale est une réalité dans cette partie de l’Afrique, elle doit seulement continuer à se développer pour densifier le transport des marchandises et ainsi soutenir efficacement les échanges interafricains.
Que pensez-vous d’une éventuelle privatisation partielle des terminaux sud-africains, dont Durban, comme semble aujourd’hui l’envisager Pretoria ?
Chaque pays a ses spécificités. L’Afrique du Sud est le pays le plus industrialisé d’Afrique, et les ports ne doivent pas faire exception. Il faut aujourd’hui expérimenter un nouveau schéma pour résoudre les insuffisances constatées actuellement. Les ports sud-africains fonctionnent mais ils pourraient faire beaucoup mieux, notamment dans la desserte de l’Afrique australe et de l’océan Indien. Ils disposent des moyens financiers nécessaires pour cela.
Quel regard portez-vous sur les projets annoncés – mais pour l’instant toujours reportés – de Mombasa ?
Mombasa reste un port essentiel sur la façade orientale. L’Autorité portuaire travaille en effet depuis plusieurs années avec les Japonais pour améliorer et moderniser ses infrastructures. Il est évident que tout cela se mettra en place un jour. Mombasa travaille dur pour améliorer ses services dans l’intérêt de la desserte de son hinterland, qui s’étend jusqu’aux pays des Grands Lacs. Et, comme Mombasa, l’ensemble des ports est-africains cherchent aujourd’hui à se mettre au niveau demandé par le secteur.
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