Face à l’Afrique de l’Ouest, les ports est-africains s’offrent une séance de rattrapage

De l’Égypte à l’Afrique du Sud, les principaux terminaux de la côte orientale du continent sont entrés en phase de renouvellement. Ne serait-ce que pour être en mesure d’absorber l’augmentation du trafic en provenance d’Asie.

Un navire transportant des grues de nouvelle génération vers le port de Mombasa, au Kenya, via le canal de Kilindini, le 7 août 2023. © Gideon Maundu/AP/SIPA

Un navire transportant des grues de nouvelle génération vers le port de Mombasa, au Kenya, via le canal de Kilindini, le 7 août 2023. © Gideon Maundu/AP/SIPA

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Publié le 17 octobre 2023 Lecture : 10 minutes.

A container ship is seen as its docked next to cranes at the port of Mombasa © REUTERS/Baz Ratner
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De Djibouti à l’Afrique du Sud, le réveil des ports est-africains

Après vingt ans de modernisation à l’Ouest, les opérateurs publics et privés s’attaquent ces dernières années à la mise à niveau des ports de la façade orientale du continent. Autant d’évolutions qui devraient rééquilibrer la desserte maritime du continent et soutenir l’arrivée prochaine de la Zlecaf.

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Le soleil se lève à l’Est pour le secteur portuaire africain. Alors que, depuis vingt ans, l’actualité portuaire du continent a essentiellement été nourrie par les ports de la Côte ouest-africaine (COA), golfe de Guinée inclus, qui ont connu une phase de développement inédite pour moderniser leurs bassins et ainsi être en mesure de recevoir les navires XXL mis en ligne par les armateurs, c’est au tour de leurs homologues de la façade orientale du continent de se mettre à niveau. « Il ne s’agit pas d’un retard à combler vis-à-vis de l’Ouest, mais davantage d’entamer une phase de renouvellement des ports », précise Olivier de Noray, directeur des ports & terminaux chez Africa Global Logistics (AGL – ex Bolloré).

Au lendemain des indépendances, ce sont en effet les grands ports de l’Est qui font la course en tête, dans la foulée du port kényan de Mombasa et des terminaux sud-africains, Durban en tête. Une situation qui a perduré jusqu’au début du présent siècle, avant que l’utilisation généralisée du conteneur dans le secteur ne change la donne. Si Durban et Mombasa, rejoints depuis une décennie par Djibouti, figurent toujours dans le top 10 des ports africains les plus actifs sur les trafics conteneurisés, ils ont été délogés du podium par les grands terminaux d’Afrique du Nord qui, avec Tanger au Maroc et Port-Saïd en Égypte, trustent les premières places du continent.

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Un tiercé encore complété par Durban en 2023, désormais talonné par le port de Lomé au Togo, devenu depuis 2014 le hub sous-régional du premier armateur mondial Mediterranean Shipping Company (MSC). Un exemple très concret de l’évolution prise ces dernières années par la desserte maritime du continent, la compagnie italo-suisse ayant fait le choix d’envoyer ces géants des mers directement depuis l’Asie sur la côte ouest du continent pour servir les pays de la région, plutôt que de passer par les ports de la façade orientale, et ce malgré le fait que, depuis 2005, les volumes d’échanges entre l’Afrique et l’Asie ont dépassé ceux en provenance d’Europe.

Servir les marchés domestiques et les pays enclavés

La configuration spatiale et géographique, ainsi que les politiques de gestion des ports mises en place par les États, expliquent en partie ce choix de la rangée Est au profit de la côte Ouest, la seconde manutentionnant chaque année, selon les statistiques du Lloyd’s List, un trafic conteneurisé deux fois plus important en volume que la première. « Il faut d’abord rappeler qu’il n’y a que neuf pays côtiers sur cette façade et que celui qui dispose du plus long littoral est la Somalie. Le nombre de ports reste donc très limité, par rapport notamment au golfe de Guinée », rappelle Aboubaker Omar Hadi, président depuis 2011 de l’Autorité des ports et des zones franches de Djibouti (APZFD).

En plus de servir leurs marchés domestiques, les grands ports de l’Est, Djibouti, Mombasa, Dar-es-Salam et Durban desservent également neuf pays enclavés, dix en incluant l’Est de la RD Congo, soit une population totale de près de 500 millions de personnes contre plus de 600 millions pour l’ensemble des pays reliés depuis la côte Ouest. Malgré ce différentiel, la part des marchés enclavés pèse plus lourd, en matière d’activité portuaire, du côté oriental (60 %) qu’occidental (50 %), obligeant les portes maritimes de l’Est à s’appuyer sur des corridors terrestres efficaces pour desservir correctement leur hinterland.

L’autre facteur essentiel à prendre en compte pour tenter de comprendre la différence de dynamique constatée des deux côtés du continent, vient de l’organisation interne des ports. Si, à l’Ouest, la modernisation des terminaux coïncide avec leur mise en concession auprès de partenaires privés, à l’Est, les grands ports sont le plus souvent restés dans le giron du service public, à l’exception notable de Dar-es-Salam, qui, en 2018, a fait entrer dans la place l’un des leaders mondiaux de la manutention, le chinois Hutchison Port. Ce dernier a perdu son contrat en début d’année au profit du groupe indien Adani Ports, signe que le partenariat public-privé (PPP) a su convaincre les responsables du principal port tanzanien.

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Bien décidés à faire de Dar-es-Salam la porte d’entrée privilégiée du corridor central est-africain, ces derniers ont également décidé de confier ces derniers mois une partie de leurs activités portuaires au groupe émirati DP World. Longtemps pénalisé par les temps d’attente des navires dans ses bassins, le port tanzanien, qui traite à lui-seul 85 % des trafics maritimes du pays, s’est vu récompensé de ses efforts par la Banque mondiale, qui l’a classé au premier rang des ports africains ayant le plus progressé dans ce domaine en 2022. De quoi donner des idées aux autres, notamment à Mombasa et à Durban, toujours gérés par les pouvoirs publics, même si cela promet de changer, notamment en Afrique du Sud.

Durban veut éliminer les principaux freins à sa croissance

À la suite de la pandémie, qui avait porté un coup sévère a son économie, Pretoria a en effet décidé d’éliminer les principaux freins à sa croissance, à commencer par la gestion de ses ports, par lesquels transitent la quasi-totalité de son commerce extérieur. Les infrastructures portuaires du pays sont certes les plus développées du continent, mais elles connaissent des difficultés opérationnelles qui, faute d’investissements et de maintenance, nuisent à leur efficacité et à leur compétitivité.

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Durban, qui reste aujourd’hui encore le principal port à conteneurs de l’hémisphère Sud a été classé, en termes de performances, à la dernière place de l’index établi en 2020 par la Banque mondiale. Trois autres ports sud-africains – Le Cap, Port Elizabeth et Ngqura – figurent parmi les cinq derniers de ce classement. La décision a donc été prise par le gouvernement d’autoriser Transnet Port Terminals, l’opérateur unique du pays, à tisser les partenariats nécessaires avec le secteur privé dans le cadre d’une concession portuaire.

Après de long mois de tergiversation, essentiellement pour des raisons sociales, un premier partenariat a été signé en août 2023 avec l’opérateur philippin International Container Terminal Services Incorporated (ICTSI) pour l’agrandissement et la gestion d’un terminal à conteneurs sur Durban. Deux appels d’offres ont ensuite été lancés pour le développement de nouvelles infrastructures sur le port de Richards Bay.

Le Kenya peut compter sur le soutien du Japon

Premier port en matière de trafic sur l’ancienne « côte des Swahilis », Mombasa tarde à suivre le même chemin et, aujourd’hui encore, c’est la Kenya Port Authority (KPA) qui gère les terminaux. Et cela ne semble pas près de changer. « Tous les dix ans, ils proposent un plan de mise en concession, mais rien ne se fait, malgré l’intérêt marqué des opérateurs privés », regrette Olivier de Noray.

Pourtant consciente des faiblesses de son port, liées là aussi à un manque d’investissements, la KPA travaille depuis de longues années sur la modernisation de ses terminaux, et peut compter pour cela sur le soutien indéfectible du Japon, qui cherche à faire de Mombasa son accès préférentiel au continent. Le gouvernement a annoncé en 2020 dégager une enveloppe de 193 millions de dollars pour remettre ses terminaux conteneurisés à niveau et ainsi être en capacité de répondre à l’envolée des importations de marchandises dans la région.

Si le Kenya hésite à faire entrer les opérateurs privés dans son port principal, il s’est en revanche montré moins réticent concernant le développement du futur port à transbordement qui va voir le jour à Lamu, à proximité de la frontière somalienne. L’entité publique contribue à hauteur de plus de 350 millions de dollars sur ce projet développé avec China Communications Construction Company (CCCC), et censé coûter en définitive 24 milliards de dollars avec la construction du corridor Lamu Port-South Soudan-Ethiopia (Lapsset).

Si ce dernier a dû faire face à des problèmes d’insécurité qui ont empêché sa progression, côté portuaire, le premier des 32 quais prévus à terme a été livré à la fin de 2019, concrétisant un peu plus un projet longtemps controversé dans le pays, qui promet pourtant de changer la donne en matière de desserte régionale une fois achevé. Pour ce faire, la KPA a déjà annoncé à plusieurs reprises sa volonté de confier les opérations « à un acteur privé, selon un modèle de concession ».

La Tanzanie en quête d’investisseurs étrangers

Dans la foulée de Dar-es-Salam, la Tanzanie a elle déjà prévu de faire appel au secteur privé pour opérer l’autre grand projet de la façade maritime orientale, celui du port de Bagamoyo, situé à quelques dizaines de kilomètres de Dar-es-Salam. Dimensionné dès son origine en 2015 pour être en mesure de traiter 20 millions de conteneurs à l’horizon 2045, ce dossier de 10 milliards de dollars est au point mort depuis 2016, à la suite du retrait de China Merchants Holding, associé au gouvernement tanzanien pour son développement.

Ce dernier tente depuis 2019 de convaincre son partenaire de mettre la main à la poche, sans succès jusqu’à présent. Un site kényan a même annoncé en 2020 que le projet avait été abandonné. Une rumeur que la présidente tanzanienne Samia Suluhu a définitivement enterrée en septembre 2022, en affirmant que son gouvernement allait démarrer la construction du port dès que possible, « avant d’être rejoint par les investisseurs étrangers ».

À Bagamoyo comme à Lamu, ces derniers ont en effet vite montré leur intérêt, confirmant la viabilité du projet. « Si, pendant longtemps, il y avait peu d’opportunités à saisir pour les investisseurs, la donne a changé ces dernières années », constate Olivier de Noray chez AGL qui, de son côté, a signé en septembre un contrat de gestion sur cinq ans pour décongestionner le port de Zanzibar.

L’émirati DP World tisse sa toile de la Somalie au Mozambique

En plus des Chinois et des Japonais qui, depuis de nombreuses années, suivent avec une attention très soutenue les développements portuaires de la rangée orientale, les Émirats arabes unis semblent avoir mandaté leurs champions nationaux, DP World et Abu Dhabi Ports pour s’implanter tout le long de la côte. Depuis son renvoi des quais de Djibouti en 2018, DP World ne cesse en effet de tisser sa toile, de la Somalie au Mozambique.

S’appuyant sur la volonté affichée par les différentes autorités politiques de ces pays de passer par des PPP pour développer leurs ports, DP World a pu s’installer à Berbera, dans le Somaliland, et à Bosaso, dans le Puntland, ainsi qu’à Maputo, principal port mozambicain.

En plus de s’être positionné à Dar-es-Salam, l’opérateur vient également d’être autorisé à venir à Mombasa pour développer une zone industrielle. Plus au nord, le long de la mer Rouge, après s’être installé dans les ports érythréen d’Assab, saoudien de Djeddah, et égyptien de Sokhna, à l’embouchure Sud du Canal de Suez, les Émiratis lorgnent avec insistance la concession du terminal à conteneurs de Port-Soudan, qui vient d’ouvrir son appel d’offres. Ils devront certainement compter avec les Turcs, qui ciblent particulièrement la Corne de l’Afrique, à l’instar de l’opérateur Albayrak présent depuis 2014 à Mogadiscio.

S’intégrer au cœur d’un écosystème logistique

C’est justement sur cette partie de la côte orientale, située à proximité du détroit de Bab-el-Mandeb, que les perspectives de développement semblent être les plus prometteuses, dopées par le flux de marchandises en provenance d’Asie qui empruntent l’une des toutes premières routes maritimes de la planète. Voilà maintenant plus de dix ans que Djibouti construit son succès sur cet atout géographique, pour se classer parmi les tout premiers ports d’Afrique subsaharienne, tout en devenant l’une des très rares interfaces de transbordement de la rangée orientale.

Et, puisque « les armateurs ne vont pas dérouter leurs navires pour aller livrer quelques boîtes à Mombasa », comme le rappelle Aboubaker Omar Hadi, qui s’estime davantage en concurrence avec les ports arabes qu’avec les ports africains, ces derniers n’ont d’autre choix que de se concentrer sur leurs marchés domestiques et leurs hinterlands respectifs. « Pour cela, les ports doivent être intégrés au cœur d’un écosystème logistique », insiste Olivier de Noray, en mettant en place les transports de surface nécessaires pour irriguer les marchés enclavés.

Or, force est de constater que, sur ce point, « les choses ont peu changé depuis un siècle », exagère Aboubaker Omar Hadi. La ligne Djibouti–Addis-Abeba a bien été modernisée en 2016, mais elle ne dépasse toujours pas la capitale éthiopienne, le projet Lapsset n’en finit pas d’être repoussé, pendant que Dar-es-Salam attend toujours la ligne ferroviaire, construite pour 2,2 milliards de dollars par les Chinois pour desservir les pays des Grands Lacs, via le port de Mwanza sur le lac Victoria.

« C’est là que les ports de la façade orientale doivent aller chercher leur croissance. Le potentiel de richesse encore inexploité est énorme », estime Olivier de Noray. Beaucoup d’observateurs estiment que l’arrivée de la Zlecaf et les besoins décuplés d’un marché unique en matière d’échanges commerciaux permettront d’accélérer la cadence. Comme a su le faire l’East African Community (EAC) qui, grâce à une série d’accords politiques sur la libre-circulation des biens, a réussi à ramener le temps de transport des marchandises de 18 à 3 jours, entre Mombasa et Kampala. Exemple à suivre et à généraliser pour espérer améliorer la desserte du cœur du continent.

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