Azouz Begag : « Les migrants demandent la circulation, pas l’intégration »
Auteur et essayiste, l’ancien ministre s’est fait le porte-plume d’un migrant guinéen, Mamadou Sow, qui a parcouru 10 000 kilomètres pour rejoindre la France.
« Migrants » est un mot que l’on retrouve fréquemment dans l’actualité. Né pour partir lui donne un nom et un parcours, celui de Mamadou Sow, dont Azouz Begag a été le porte-plume. Ils se sont rencontrés lors de l’action « Auteurs solidaires » lancée par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). Le ministre français délégué à la Promotion de l’égalité des chances de 2005 à 2007 retrace le parcours de Kali, migrant mineur originaire de Pilimini, village de Guinée. Quelque 10 000 kilomètres plus loin, il se retrouve à Lyon, en France, après être passé par le Mali, l’Algérie, la Libye et l’Italie.
Kali a été missionné par son père mourant : il doit partir en France pour sa famille. Chaque chapitre porte le nom de la ville-étape de ce long périple, une carte et des photos permettant de situer les lieux. Les mots relatent le poids des innombrables épreuves : transports harassants dans le désert, attaques par des bandits de mèche avec les passeurs, hébergements insalubres, passage des frontières à haut risque, racisme, braquage par des enfants de 10 ans armés, traversée de la Méditerranée sur des embarcations de fortune… Et en Europe, la vie de réfugié puis l’échappée belle, le franchissement de la dernière frontière, de l’Italie vers la France, en échappant de justesse à la police. Kali finit par être scolarisé mais il est en même temps sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Pépites et pépins
Kali est doté d’une formidable force de vie et il avance, malgré tout, pour accomplir son devoir vis-à-vis de sa famille et son rêve de devenir DJ. « Dans la vie, tous les chemins sont clairsemés de pépites et de pépins, (…) les pépites sont les gens qui nous tendent la main, alors que les pépins plantent des clous sur notre chemin », nous enseigne ce livre jeunesse, lui-même une pépite dont les leçons d’humanité profiteront aussi aux adultes.
Jeune Afrique : En introduction de Né pour partir, vous évoquez votre rencontre avec Mamadou Sow via l’action « Auteurs solidaires ». Qu’est-ce qui vous a attiré dans l’accompagnement d’élèves d’un lycée professionnel du quartier lyonnais de La Duchère ?
Azouz Begag : Je fais cet exercice depuis trente ans déjà et je m’y intéresse toujours. Le rapport dans un lieu clos – la classe, la prison, etc. – avec des gens qui en ont lourd sur le cœur m’apporte beaucoup.
Comment avez-vous collaboré avec Mamadou Sow ?
J’ai travaillé de longues semaines au sein de la classe, d’abord avec tous les élèves, dans ce lycée technique de mon ancienne cité à Lyon, puis le travail d’écriture s’est naturellement centré sur lui. Il avait deux ans de plus que les autres et déjà une histoire tellement chargée à raconter… Il avait fait 10 000 kilomètres à pied de son village de Guinée jusqu’à Lyon ! Alors la géographie, il connaissait et il avait des anecdotes en pagaille. En outre, il avait la gnaque. Il voulait apprendre, s’en sortir, faire de sa vie une belle histoire, pour lui et pour les autres. J’ai été séduit, les profs aussi.
Qu’avez-vous appris sur le parcours de migration en écrivant ce livre avec lui ?
Que pour des élèves survivants comme lui, des migrants mineurs, la France est un paradis. Ils se rendent compte que c’est un grand pays et se demandent pourquoi les jeunes de leur classe qui sont nés ici en doutent. La misère, Mamadou connaît. Il nous en a parlé en classe et tous les élèves étaient abasourdis.
Missionné par son père, Kali quitte sa famille et son village. Est-ce que ce sentiment de devoir le dépossède de la possibilité de choisir ?
Oui car les malheureux comme lui sont des gens de la survie, ils n’ont pas le privilège de choisir. Être utile aux siens requérait de Mamadou qu’il prenne la route de l’exil, qu’il mette sa vie en péril pour sauver celle de son père atteint d’un cancer et qui est, hélas, décédé au cours de son long trajet.
Kali doit abandonner sa carte scolaire dans le désert du Mali et il dit : « Ça me fait mal de ne plus être moi ». Plusieurs fois ensuite, il dit n’être personne. Perdre son identité pour ne pas être refoulé vers son pays d’origine, n’est-ce pas le summum de la déshumanisation ?
Ces transhumances du désespoir sont celles de la déshumanisation aboutie, en effet. Un jour, je voudrais faire un reportage sur ces zodiacs d’infortune sur lesquels sont entassés des dizaines de migrants miséreux et qui échouent sur les plages de vacances des estivants en Italie, en Espagne ou en Grèce. Sur la plage, les vacanciers, outrés, manifestent leur mécontentement en les houspillant depuis leurs transats : « Hé ! Vous ne voyez pas qu’on est en vacances ? Allez échouer ailleurs, bon sang ! On n’a qu’un mois de congés par an, allez mourir ailleurs ! » La logique de survie des migrants se télescope avec la logique de « farniente » des habitants sur une plage de Méditerranée. La déshumanisation est en bonne voie, avec les peurs, partout, et l’extrême-droite en embuscade…
Tout au long de leur parcours de migration, Kali et ses compagnons d’infortune se retrouvent en proie à des personnes qui profitent de leur situation pour les détrousser. Comment Kali garde-t-il la foi en sa chance, même quand il se retrouve face au pire ?
Il a quinze ans. Il est innocent. Il a une mission : trouver des médicaments pour son père. C’est tout. Les conditions d’exécution de sa mission ne le détournent pas de celle-ci. La violence, il connaît, comme tous les enfants de pauvres.
Kali se retrouve aussi confronté au racisme. Le racisme anti-Noirs dans les pays du Maghreb est-il sous-estimé ?
Moins depuis les événements récents de Tunisie où le président a tenu un discours lepéniste ou zemmouriste contre eux, sur l’identité du Tunisien, le « grand remplacement »… En Algérie, on a connu de tels rejets, au Maroc aussi. Quant à la Libye, n’en parlons pas… La plage de Sabratha d’où partent les embarcations pour l’Italie est connue et redoutée par tous les Subsahariens. Même au Maghreb, ces derniers subissent l’indignité…
En Europe, Kali se trouve pris entre deux sentiments : d’un côté, on le dorlote et il se trouve dans des conditions d’hébergement et d’hygiène qu’il n’a connues nulle part lors de sa traversée mais il est empêché de travailler, et de l’autre, en France, on lui ordonne une OQTF. Quel regard Mamadou Sow porte-t-il aujourd’hui sur l’Europe, et la France en particulier ?
Il veut rester coûte que coûte et avoir des papiers ! Son idée est de pouvoir circuler librement entre la France et la Guinée, quand il aura créé son entreprise de transport car c’est son objectif. La demande des migrants, c’est celle de la circulation pas celle de l’intégration en France ou en Europe.
Vous avez été le porte-plume de Mamadou Sow mais vous êtes aussi un sociologue, un intellectuel et un politicien. Pensez-vous qu’il faille ouvrir les frontières aux migrants et régulariser tous les sans-papiers ?
Soyons clairs : les Français, comme les Allemands, ne font plus d’enfants et les jeunes Européens ne veulent pas faire les sales boulots, ceux que mes parents sont venus assurer il y un demi-siècle en France. Alors ce sont des immigrés qui les assument aujourd’hui encore, les plus durs, les plus mal payés. L’immigration est une nécessité vitale pour l’Europe. Vitale ! Il faut bien-sûr régulariser ceux qui sont ici avec un emploi, un savoir-faire et qui parlent français. Mais l’objectif global reste le même : il faut que dans une génération, les Africains trouvent les moyens de vivre dignement en Afrique, aussi bien que partout ailleurs dans le monde. Les Européens doivent investir massivement dans le développement local pour atteindre cet objectif.
Avez-vous gardé contact avec Mamadou Sow ? Veut-il toujours devenir DJ ?
Mamadou veut maintenant devenir chef d’entreprise. Il fait aujourd’hui la campagne de promotion de notre livre sur sa vie. Il sourit, pleure en public. Il a l’air libéré d’un poids. Il attend sa régularisation. Il est devenu écrivain francophone. Son co-auteur est un ancien ministre qui a, quant à lui, l’air ravi d’avoir été utile avec son écriture. Il prétend qu’il est un auteur engagé. Dans cette aventure, chacun y trouve son compte.
Né pour partir d’Azouz Begag et Mamadou Sow, Milan, 142 pages, 13,90 euros.
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