Face à George Weah, Joseph Boakai prendra-t-il sa revanche ?
Au Liberia, le président sortant affronte ce mardi dix-neuf concurrents à la présidentielle. Parmi eux, l’ancien vice-président d’Ellen Johnson-Sirleaf est le plus susceptible de le contraindre à un second tour.
LE MATCH DE LA SEMAINE – À présent, les jeux sont faits ou presque. La campagne électorale est officiellement close depuis le 8 octobre au soir. Ce mardi 10 octobre, 2,4 millions d’électeurs libériens sont appelés à déposer leur bulletin dans l’urne pour une élection présidentielle couplée avec des législatives et des sénatoriales. Enfant des bidonvilles devenu star du foot, George Weah avait réussi en 2017 là où personne ne l’attendait, après deux échecs. Candidat à sa réélection ce mardi, devra-t-il céder ce fauteuil qu’il avait si longtemps convoité ?
Joseph Boakai, 78 ans, compte bien forcer le président sortant George Weah à un second tour. En 2017, il avait récolté 38,4 % des voix face à l’ancien joueur de l’AS Monaco et du PSG. Pourra-t-il faire mieux cette fois-ci ? L’opposant dispose de plusieurs atouts dans ce scrutin qui s’annonce serré. Diplômé en administration d’entreprise, ce technocrate a exercé le rôle de vice-président du Liberia sous la présidence d’Ellen Johnson-Sirleaf de 2006 à 2017. Membre du Parti de l’unité depuis 2007, il a également été plusieurs fois ministre (de l’Agriculture et des Transports).
C’est donc la carte de l’expérience qu’il entend bien jouer face à un George Weah, qui, en dépit de sa victoire à la précédente présidentielle, continue d’être attaqué par ses adversaires sur son incapacité à gouverner le pays. « Les principaux problèmes du Liberia sont causés par un manque de leadership rigoureux et transparent. Résultat : des millions des Libériens font face à la pauvreté, la maladie, l’insécurité », a récemment déclaré Joseph Boakai, qui se donne pour mission de « sauver le pays » de la « mauvaise voie » dans laquelle il est engagé.
Corruption et népotisme
L’ancien vice-président ne se prive pas d’exploiter les nombreux faux pas de celui qui a été élu en 2017 sur une promesse – diminuer la pauvreté – qu’il n’a pas réussi à tenir. L’administration sortante a surtout été entachée d’un scandale de corruption qui a mené les États-Unis à appliquer des sanctions à l’égard de trois proches du chef de l’État. L’enthousiasme suscité par sa success story semble être retombé ; les partenaires financiers du Liberia font grise mine.
En avril 2023, l’ambassadeur américain à Monrovia, Michael A. McCarthy – qui n’est plus en poste depuis juillet –, a publié un communiqué de presse aux accents peu diplomatiques. Il y relatait une mission de plusieurs semaines effectuée sur l’ensemble du territoire. « Au cours de ce voyage, j’ai malheureusement été étonné et très troublé de visiter de nombreux hôpitaux publics qui n’avaient pas reçu un penny de ce qui leur avait été promis dans le budget de l’année 2022. Aucun des 100 000 dollars prévus dans la loi ne leur avait été distribué », dénonçait-il.
Le blocage des ressources est à un tel niveau qu’il doit être institutionnel
Le diplomate ajoutait que « le blocage des ressources est à un tel niveau qu’il doit être institutionnel », et pointait un doigt accusateur vers des membres du Parlement, le ministre de la Santé et le ministre de l’Intérieur. Il rappelait en passant le budget de fonctionnement des 30 sénateurs et 73 députés : 65 millions de dollars, alors que les services publics « dépérissent ».
À quel point George Weah est-il impliqué dans ce système de corruption ? « Son principal problème, c’est qu’il n’avait pas d’expérience, et qu’il s’est entouré de gens qui n’en avaient pas non plus, ce qui a forcément affecté sa capacité à gouverner en dépit de ses bonnes intentions », analyse un observateur libérien depuis Monrovia. Moins indulgent, un ancien collaborateur décrit sa « très grande désillusion » face aux cinq années Weah, marquées selon lui par des niveaux élevés de « clientélisme et de népotisme ». « Le chef de l’État s’est totalement détourné de ses promesses de campagne, regrette-t-il. Il semble à présent que son seul objectif était de devenir président. Boakai va s’appuyer sur la corruption du régime, bien sûr, mais aura-t-il les ressources nécessaires ? »
Prince Johnson en « faiseur de rois »
Le candidat peut en tout cas compter sur l’ancien chef de guerre Prince Johnson. Soutien de George Weah à l’élection de 2017 – il avait terminé quatrième avec 8,2 % des voix –, il a rejoint Joseph Boakai en avril 2023. En 2011, le sénateur du comté de Nimba était arrivé à la troisième place au premier tour, avec 11,6 % des voix. L’ancien seigneur de guerre, dont les hommes avaient torturé et tué devant les caméras l’ancien président Samuel Doe, possède aujourd’hui une influence politique non négligeable qui lui donne une position de « faiseur de rois ».
Même si Joseph Boakai était à la morgue avant l’élection présidentielle d’octobre, les Libériens voteraient quand même pour lui
Assez pour mettre en danger le président sortant ? À presque 79 ans, celui que l’on surnomme au Liberia « Sleepy Joe » (Joe le dormeur) est souvent raillé pour son âge avancé et sa santé que l’on dit fragile. Des inquiétudes récemment balayées par Prince Johnson, lequel aurait déclaré, selon la presse libérienne, que « même si Joseph Boakai était à la morgue avant l’élection présidentielle d’octobre, les Libériens voteraient quand même pour lui ». « Qu’il soit malade ou pas, les citoyens aiment Joseph Boakai et ils sont prêts à le montrer, aurait ajouté le sénateur. Il peut être un meilleur président que le “jeune et fringuant” George Weah, qui a fait beaucoup de tort à notre pays. »
Violences et discours de haine
Le président sortant n’en reste pas moins toujours apprécié et à la tête d’un parti puissant. Certaines de ses mesures, comme la gratuité des inscriptions à l’université, ont renforcé sa popularité. Il se présente aussi comme un gage de stabilité dans un pays qui a été ravagé par des années de guerre civile. « Sa crédibilité a été mise à mal, certes, mais ses chances restent très élevées et il dispose de bien plus de ressources pour mener sa campagne, qu’il a conduite comme si c’était son premier mandat ! » souligne l’observateur cité précédemment.
Quelques jours avant la clôture de la campagne, la communauté internationale a exprimé son inquiétude après que des affrontements dans le nord-ouest du pays (comté de Lofa) ont été rapportés. Des rixes opposant des partisans de la Coalition pour le changement démocratique (au pouvoir) à ceux du Parti de l’unité ont fait au moins deux morts et une vingtaine de blessés, le 29 septembre.
« Nous sommes préoccupés par les cas signalés de violence liée aux élections, l’utilisation d’un langage qui pourrait être assimilé à un discours de haine et les attaques contre les journalistes au Liberia à l’approche des élections générales du 10 octobre », a fait savoir Seif Magango, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.
Les deux principaux opposants ont par ailleurs été reçus par des hauts responsables de l’Organisation des Nations unies (ONU), de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et de l’Union africaine (UA) au cours de la dernière semaine de campagne électorale. Le candidat Boakai a d’ores et déjà prévenu : si l’élection était volée, cela sonnerait « la fin du pays ». En cas de second tour, les deux candidats devraient s’affronter au début de novembre.
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