La Turquie, destination santé préférée des Algériens
Transplantations d’organes, oncologie, PMA, mais aussi chirurgie esthétique : devenue l’une des dix premières destinations mondiales de tourisme médical, la Turquie est de plus en plus prisée par les Algériens. Reportage aux côtés de patients ayant fait le voyage.
Koray Arcali, chef du service de greffe d’organes à l’hôpital Mémorial du quartier Şişli, à Istanbul, traverse, en tenant par la main un patient en survêtement bleu marine, le long couloir menant à son bureau, où un gâteau est posé sur la table. Le service fête ce jour-là la réussite de la greffe de foie de Nazim, un Algérien natif de Skikda.
Quand son ventre a commencé à enfler démesurément, ce fonctionnaire de la société canadienne SNC Lavalin, père de trois enfants, a d’abord crû souffrir d’une colopathie. Puis, très vite, le diagnostic des médecins est tombé : il devait absolument subir une greffe de foie. Un coup de massue pour Nassim : les greffes hépatiques, très peu pratiquées en Algérie, sont quasiment interrompues dans le pays depuis 2019. Pas de solution non plus du côté de la commission médicale nationale d’étude des dossiers de transfert pour soins à l’étranger, aux frais de la Caisse nationale d’assurance sociale, qui délivre les prises en charge au compte-gouttes.
Face à ces difficultés, beaucoup d’Algériens s’endettent et se ruinent en payant comptant leurs soins dans des hôpitaux étrangers. Nazim, lui, a eu la chance de bénéficier de l’aide financière de sa famille. Faisant des recherches sur internet, il découvre l’hôpital Mémorial turc de Şişli, qui jouit d’une réputation prestigieuse en matière de greffe de la moelle osseuse pédiatrique et de transplantation d’organes, avec un taux de réussite de 95 % pour le foie et de 99 % pour le rein. « Je suis passé d’un état d’effondrement à l’espoir. C’est une nouvelle vie qui s’offre à moi », confie le quadragénaire avec un large sourire en dégustant une grosse part de gâteau.
En 2023, plus de 1 000 Algériens ont franchi les portes du groupe hospitalier Mémorial Healthcare pour soigner des maladies qui ne sont pas prises en charge dans leur pays. Dans de nombreux cas, il s’agit de greffes d’organe mais aussi de soins en neurochirurgie, cardiologie, ophtalmologie, orthopédie, oncologie ou pédiatrie. Ainsi que de la procréation médicalement assistée (PMA) : des inséminations artificielles, et la fameuse FIV.
Prix compétitifs et technologies de pointe
Beaucoup s’y rendent aussi pour des interventions de chirurgies esthétiques : rhinoplastie, liposuccion et augmentation mammaire pour les plus aisés. Le nombre réel de patients faisant le voyage est donc bien plus élevé que le chiffre officiel, estime la Ligue algérienne des droits de l’homme qui, dans un rapport accablant contre le système de santé algérien publié en février 2019, estimait déjà à un demi-million le nombre d’Algériens se soignant à l’étranger. Dont une écrasante majorité – 450 000 environ – en Turquie.
L’atout des hôpitaux turcs ? Des prix considérablement inférieurs à ceux pratiqués en Europe. Il faut compter 50 000 euros pour une greffe de foie et 18 000 euros pour une transplantation rénale à Istanbul, contre jusqu’à 300 000 euros en France ou en Espagne – et des techniques thérapeutiques à la pointe de la technologie. Les hôpitaux turcs doivent aussi leur réputation à leurs médecins, formés pour la plupart aux États-Unis puis retournés dans leur pays d’origine pour contribuer à l’essor du tourisme médical.
De plus, au Mémorial de Şişli, les rendez-vous s’obtiennent rapidement. À l’inverse, en Algérie, la greffe rénale est pratiquée dans les hôpitaux publics, donc gratuitement, mais de manière sporadique, avec des délais d’attente dépassant les deux ans . « Les patients ont peur que pendant ce temps leurs donneurs se rebiffent », témoigne un chef de service de néphrologie à Alger.
Le groupe Mémorial, qui compte onze hôpitaux, deux centres médicaux et un autre consacré au bien-être dans les villes d’Istanbul, Ankara, Kayseri, Antalya et Diyarbakir, est très prisé parce qu’il accorde des facilités supplémentaires aux Algériens, dont une ristourne de 10 à 20 %. Il lui arrive même d’effacer les dettes de certains patients quand l’élan de solidarité n’a pas pu couvrir la totalité des frais. « Ce sont des dettes de plusieurs milliers d’euros », précise Wahiba Merzoug, coordinatrice du département Algérie au service international du groupe hospitalier depuis cinq ans. Avec ses collègues, elle se charge de transmettre les estimations des coûts de traitement proposés, fixe les rendez-vous, assure le transfert de l’aéroport à l’hôpital, aide à l’obtention des visas et propose un service de traduction dans plus de 30 langues au profit des 95 000 patients internationaux, en provenance de 167 pays.
Service tout compris
Dans les cas de contentieux financiers, Mémorial a signé des conventions avec la sécurité sociale de plusieurs pays du continent africain, parmi lesquels le Maroc, la Tunisie, la Libye, le Niger, la Mauritanie et le Burkina Faso. Avec l’Algérie, la procédure semble en voie de concrétisation puisqu’une délégation de médecins de la CNAS (Caisse nationale des assurances sociales des travailleurs salariés) a séjourné en Turquie l’année dernière. Une bonne nouvelle pour les patients, mais sans doute pas pour les agences de voyage algériennes, dont beaucoup ont investi le créneau du tourisme médical en sous-traitant avec les structures turques un pourcentage sur chaque facture d’un patient. Particulièrement pour les soins et opérations esthétiques, explique le propriétaire de l’une de ces agences, basée à Alger. Après avoir transmis les dossiers médicaux à des praticiens turcs, les agences présentent des devis à leurs clients, prennent les rendez-vous et se chargent des démarches pour l’obtention du visa. Une prestation qui peut être assortie de visites touristiques.
Le groupe Mémorial, qui a bâti sa réputation auprès des clients algériens grâce aux réseaux sociaux, aux recommandations des médecins locaux et aux médias – régulièrement invités en Turquie pour découvrir ses innovations thérapeutiques – préfère, lui, travailler dans un cadre réglementé, avance Hacim Çariki, directeur du service étrangers au sein du groupe médical. Il espère donc l’aboutissement rapide des négociations en cours avec les autorités algériennes. « En attendant la signature de la convention avec les caisses de sécurité sociale algériennes et l’ouverture d’un bureau de liaison en Algérie, nous misons sur la coopération scientifique. Nous sommes prêts à partager nos expériences avec les hôpitaux publics et privés algériens », promet-il. D’autant que le resserrement des liens, ces derniers temps, entre Alger et Ankara, favorise une telle perspective. L’Algérie est désormais le deuxième partenaire économique de la Turquie en Afrique, derrière l’Égypte.
« On frappe depuis longtemps à la porte de la CNAS, en Algérie, pour faciliter le financement de soins du patient algérien », confirme Wahiba Merzoug, diplômée de la faculté de pharmacie en Algérie et dont le parcours professionnel au sein de Mémorial a coïncidé avec l’hospitalisation de sa mère pour une mastectomie en Turquie. « J’ai appris le turc et j’ai postulé pour le poste. Aujourd’hui, je me retrouve dans chaque patient algérien », assure-t-il.
Parmi ces patients : Amel, la vingtaine, qui a elle aussi sollicité l’expertise turque pour soigner une scoliose sévère découverte quand elle avait 11 ans. En 2016, des médecins français lui avaient prescrit un corset qu’elle devait porter en permanence pour freiner l’évolution de la déformation de la colonne vertébrale. La fermeture des frontières pendant la pandémie du Covid-19, puis la difficulté à obtenir un visa Schengen alors que ses douleurs s’accentuaient l’ont décidée à opter pour la Turquie .
Cadre luxueux
« Les infirmières me remontaient le moral et le docteur Onur Yaman, spécialiste en neurochirurgie du rachis, m’a assuré qu’il allait me soigner grâce à la neuromodulation », raconte-t-elle en ajustant son foulard. L’établissement recourt aux vis extensibles pour corriger la scoliose des enfants sans compromettre leur croissance, ni multiplier les interventions chirurgicales. Il suffit d’en régler la longueur avec une télécommande. Il pratique, en outre, la greffe de la cornée sans points de suture et la greffe de cornée artificielle à la kératoprothèse.
Quand elle a franchi pour la première fois le seuil de l’établissement installé dans le quartier stambouliote de Bahcelievler, Amel a surtout été impressionnée par l’imposante et luxueuse structure. Ici, rien ne rappelle qu’on est dans un hôpital. Espaces verdoyants, ornements floraux, fresques animées, expositions de peintures, boutiques, restaurants, pharmacies : tout est conçu avec des matériaux écologiques. Les multiples escalators, le mobilier design et les chambres et appartements dédiés aux accompagnateurs, chics et confortables, évoquent davantage un hôtel cinq étoiles ou un centre commercial qu’un lieu de soins. L’architecture en X permet de faire entrer la lumière dans toutes les chambres, et ce à n’importe quelle heure de la journée. « La lumière a un fort impact sur le moral des patients, tout comme l’art. Le but est faire faire oublier au patient qu’il est dans un centre de soins », confirme Wahiba Merzoug.
De nombreux enfants algériens sont aussi pris en charge dans les services de pédiatrie, d’hématologie et de cardiologie, dont un bébé souffrant d’une malformation cardiaque diagnostiquée in utero. Sa mère a voyagé en dissimulant sa grossesse à l’aéroport d’Alger et a accouché en Turquie. Un autre enfant, souffrant d’une leucémie, a lui aussi bénéficié d’une greffe de moelle osseuse, un don de son frère. Il est resté un mois à l’hôpital et doit se faire contrôler tous les trois ans. À distance quand il ne peut pas effectuer le déplacement. L’hôpital assure un stock initial de traitement immunologique, ensuite il faut se débrouiller pour le reste en Algérie. « Les traitements sont enregistrés en Algérie mais connaissent parfois des ruptures », déplore le néphrologue d’Alger, soutenant qu’il assure chaque année le suivi d’une centaine de patients algériens ayant reçu un rein en Turquie ou en Jordanie.
Publicité sur les réseaux sociaux
Les médecins turcs, quant à eux, insistent beaucoup sur la coordination en amont avec leurs confères algériens, qui permet un diagnostic précoce et le suivi des malades à leur retour des pays. Selon eux, énormément d’Algériens arrivent dans leurs services avec des cancers à un stade avancé. Notamment de la vessie, qui peut être reconstruite à partir de tissu de l’intestin.
Pour les soins esthétiques, les Algériens repèrent les cliniques sur réseaux sociaux envahis de publicité, souvent des « avant/après » spectaculaires. La plupart des cliniques turques proposent des consultations par téléphone ou vidéo, ce qui signifie que les postulants peuvent échanger et prendre leur décision sans même avoir à se déplacer.
Mais l’intérêt principal du tourisme médical en Turquie reste à chercher du coté du portefeuille et des avantages annexes. Les Algériens sont attirés par le système turc en raison de son approche globale du service client, témoigne Aida, venue en Turquie pour un « rajeunissement du visage ». À Istanbul, la plupart des cliniques n’offriront pas seulement un traitement de chirurgie ou des soins esthétiques, mais des forfaits globaux qui peuvent inclure les vols, les transferts depuis et vers l’aéroport, des solutions d’hébergement et des circuits touristiques. « Les gens ici peuvent trouver un service de qualité à des prix abordables… À condition de ne pas tomber sur des arnaqueurs », résume Aida.
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