Des pyramides du Soudan à Lalibela en Éthiopie, Memorist à la rescousse du patrimoine africain

Filiale du groupe Mobilitas, Memorist se consacre à la numérisation et à la restauration de tous types d’archives. Journaux, peintures anciennes, manuscrits précieux, registres administratifs : l’histoire et la mémoire du continent dépendent aujourd’hui du digital.

L’église Saint-Georges, à Lalibela, en Éthiopie. © Narvikk

L’église Saint-Georges, à Lalibela, en Éthiopie. © Narvikk

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 17 novembre 2023 Lecture : 6 minutes.

C’est une peinture extraordinaire représentant la pesée de l’âme. On peut y voir, de gauche à droite, le dieu Osiris assis sur son trône, son épouse Isis et la Dévoreuse des âmes attendant sa pitance. Anubis, dieu à tête de chacal, semble porter sur ses épaules une sorte de balancier. Thot, dieu à tête d’Ibis, rédige sur une plaquette le résultat de la pesée. Derrière ce dernier, à l’extrême droite, le défunt lève les bras en signe de supplication.

Cette scène a été peinte sur une toile de lin collée sur le bois d’un sarcophage, il y a près de 2 500 ans. Elle a été découverte, avec d’autres suaires du même genre, dans la nécropole de Sedeinga, dans l’actuel Soudan. Fondée par les Égyptiens sous la XVIIIe dynastie pharaonique (environ 1 400 avant J.-C.), la cité est devenue une capitale provinciale au début de l’époque napatéenne et jusqu’à la fin du royaume de Méroé.

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Les sarcophages ornés de toiles peintes de ce style ont été découverts dans la nécropole composée de quatre pyramides de briques crues. Ce genre de pièce archéologique est, bien entendu, très fragile. Les termites ont en grande partie mangé le bois des cercueils et une partie des toiles. Si des fragments ont pu survivre au passage des siècles, c’est sans doute grâce à la colle employée à l’époque.

Numérisation des œuvres

Ces fragments d’histoire ont été restaurés en 2016, à Toulouse (France), afin de pouvoir être exposés au musée de Khartoum. Mais ils sont aussi passés entre les mains de la société Arkhênum, qui les a numérisés sur scanner A00 dans ses ateliers de Champigny-sur-Marne. « Par un principe de balayage, le tissu est numérisé ligne par ligne avec une exposition minimum pour obtenir une image de très haute résolution, précise la société sur son site internet. Avec son éclairage par LED sans ultraviolets ni infrarouges, le nombre de lux apportés sur le document équivaut à ce qu’il aurait reçu s’il avait été exposé durant quinze minutes dans un musée avec un éclairage correspondant aux normes du ministère. »

L’histoire et la mémoire passent aujourd’hui par le digital. C’est fort de ce constat que le groupe Mobilitas (4 600 salariés, environ 450 millions d’euros de chiffre d’affaires), très présent en Afrique notamment avec son pilier AGS Déménagements, a créé Memorist, un « pôle de compétences pour la préservation, la restauration, la numérisation et le partage des patrimoines ».

Memorist (250 salariés, 20 millions de chiffre d’affaires) rassemble désormais cinq entreprises françaises spécialisées. Outre Arkhênum (numérisation et valorisation du patrimoine), le groupe réunit La reliure du Limousin (restauration d’ouvrages précieux), Arts graphique & Patrimoine (relevé laser, numérisation et modélisation 3D), Tribvn Imaging (numérisation de documents photographiques) et Vectracom (création de métadonnées, remasterisation de film).

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Exporter les compétences en Afrique

Très présentes et actives sur le territoire français, les entreprises de Memorist tentent, ces dernières années, d’exporter leurs compétences en Afrique. « C’est une terre de prédilection pour le groupe, explique son directeur général Laurent Onaïnty. Memorist a été créé à l’initiative du président-fondateur de Mobilitas, Alain Taïeb, conseiller du commerce extérieur de la France né en Tunisie. Il s’agit de rassembler cinq sociétés pour créer un champion français de la valorisation du patrimoine. »

Si Laurent Onaïnty reconnaît que certains opérations relèvent quasiment du mécénat, la diversification de Mobilitas n’est pas à visée philanthropique. Memorist se positionne dans une logique d’image de marque et de développement de marchés sur le long terme : « On réfléchit, non pas avec une vision à deux ou trois ans, mais avec une vision à dix ans », dit-il. Sachant que la restauration et la numérisation peuvent intervenir dans des domaines très variés.

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L’un des premiers chantiers africains, lancé en 2013, fut celui de la numérisation des fameux manuscrits de Tombouctou (Mali) en collaboration avec l’Institut national des sciences appliquées (INSA) de Lyon. À l’époque, une personne a été formée pendant plusieurs semaines pour permettre aux « petits propriétaires » de parchemins anciens de numériser leurs trésors – et les tranquilliser sur leur conservation à venir. D’un budget d’environ 35 000 euros, l’opération a fait les frais de la guerre…

Trois ans plus tard, Arkhênum a numérisé les toiles retrouvées dans la nécropole de Sedeinga, après leur restauration par les équipes du Louvre. Une « opération blanche », relevant du mécénat de compétence. « Les opportunités sont évidemment très nombreuses en Afrique, confie Laurent Onaïnty, mais aboutir est plus difficile. Il y a une forme de volatilité des projets. » Il ne le dira pas directement, mais le patrimoine, pourtant source de richesse, ne fait que rarement partie des priorités politiques…

De l’Éthiopie au Sénégal

En avril 2021, un immense incendie parti de la montagne de la Table a partiellement détruit la bibliothèque Jagger, de l’université du Cap, en Afrique du Sud, où Mobilitas dispose d’une importante base arrière (environ 1 500 salariés). Memorist a alors été mandaté pour restaurer les documents architecturaux endommagés, afin que la reconstruction puisse se faire en fonction des plans originaux. Le projet, qui devait être circonscrit à cet objectif, s’est finalement prolongé. Huit personnes sont désormais formées sur place à la restauration et à la numérisation, sous le regard d’une experte qui se rend sur place tous les deux mois. Budget de l’intervention : environ 100 000 euros par an.

Preuve s’il en est que le patrimoine est un concept à la fois large et essentiel : Memorist intervient actuellement dans les églises de Lalibela (Éthiopie) et sur les registres d’état civil au Sénégal ! En Éthiopie, le projet Sustainable Lalibela, lancé en 2021, comprend la création d’un centre de ressources numériques du patrimoine. En partenariat avec l’École nationale des chartes, Memorist est en train d’établir une base de données du fonds précieux des églises, composé de 300 manuscrits religieux datant du XIIe au XVIIIe siècle. Des bibles et documents liturgiques toujours utilisés de nos jours dans ce haut lieu du christianisme éthiopien.

Manuscrit orthodoxe conservé à Lalibela, en Éthiopie. © Gulliver Theis/LAIF-REA

Manuscrit orthodoxe conservé à Lalibela, en Éthiopie. © Gulliver Theis/LAIF-REA

Encadré par le gouvernement du pays, le projet consiste essentiellement à former des prêtres et des religieux à la numérisation de leurs archives. « Nous transportons le matériel acquis par l’école des chartes et nous apportons la méthode, explique Onaïnty. Après, le matériel et le savoir faire leur appartiennent. Nous n’avons évidemment aucun droit sur les documents numérisés ! » Budget : 40 000 euros.

Au Sénégal, c’est La reliure du Limousin qui, à travers Memorist, a été mandatée par l’Agence nationale d’état civil pour la restauration de 13 000 registres d’état civil de la république du Sénégal. L’idée derrière un tel chantier, lancé le 5 juin dernier, est d’abord de permettre au service concerné d’assurer sa mission, mais aussi de « restaurer un pan de l’histoire démographique sénégalaise ». Sur place sont formées cinq personnes recrutées au sein de l’Université Gaston-Berger de Saint-Louis…

Memorist se déploie ainsi tous azimuts sur le continent, en fonction des opportunités, la plupart du temps dans une logique de partenariat public-privé. « Il faut avoir la tête et les pieds en Afrique pour pouvoir faire avancer les projets », confie encore Laurent Onaïnty. Memorist a d’ailleurs pris le parti d’installer un développeur à Maurice – un premier projet concernant la numérisation des archives d’un quotidien de l’île étant en cours de finalisation. L’entreprise cherche en effet à se développer sur les supports dits industriels – les archives de la presse et surtout de l’audiovisuel – qui représentent un patrimoine mal considéré et mal conservé, parfois plus fragile qu’un sarcophage vieux de 2 500 ans.

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