Bongo Ondimba, Keïta, Sassou Nguesso… Quand les pagnes commémoratifs deviennent un outil de communication
Une centaine d’étoffes imprimées à l’effigie de chefs d’États africains, avec des messages politique ou d’utilité publique, sont exposées au Musée du quai Branly, à Paris. Un don de l’unique collectionneur du genre, Bernard Collet.
Passés les dédales du Musée du quai Branly, il faut atteindre le deuxième étage, en forme de coursive, pour découvrir une mosaïque de tissus graphiques aux couleurs chatoyantes déployés sur un mur vert pop. Derrière l’aspect décoratif et attrayant de ce spectacle textile se dessinent les contours de visages bien connus de la scène politique subsaharienne. Le portrait d’Omar Bongo Ondimba, imprimé à faible coût sur une cotonnade, à l’occasion du onzième anniversaire de l’indépendance du Gabon, en 1971, jouxte une étoffe plus sobre, en noir et blanc, à l’effigie de Modibo Keïta, président du Mali de 1960 à 1968, éditée par la compagnie de textile malienne Comatex à la fin des années 1960.
Cette drôle de fresque, qui saisit d’emblée le visiteur, imbrique aussi, pêle-mêle, une icône religieuse de Jean-Paul II, des figures d’autocrates, à l’instar de Denis Sassou Nguesso, président du Congo-Brazzaville depuis 1997, et même d’artistes, comme le musicien nigérien Mali Yaro, posant, à l’occasion de son mariage, au côté de son épouse dans un cadre en forme de cœur apposé sur un pagne datant de la fin du XXe siècle.
Miroir de l’histoire africaine
Des représentations elles-mêmes associées à des campagnes de communication politique ou publique, de la réforme monétaire de la Banque centrale du Congo, à la fin des années 1990, à la fête du travail en RDC en 2005. Campagnes électorales, cérémonies d’investiture, visites diplomatiques, commémorations des indépendances, célébration de festivals culturels ou sportifs, autant de pagnes commémoratifs exposés dans ce parcours imaginé par Sarah Ligner, conservatrice du patrimoine et commissaire de cette exposition intitulée « Fancy » (fantaisie, en français), du nom donné à ce tissu imprimé, dont la technique de fabrication – moins connue et moins coûteuse que le wax – a été popularisée et industrialisée par des entrepreneurs hollandais à la fin du XIXe siècle.
Mais c’est au photographe français Bernard Collet, unique collectionneur du genre, que l’on doit ces croustillantes archives de la vie politique intérieure et celle des affaires étrangères de l’Afrique subsaharienne de ces soixante dernières années. Pourtant, il y a quinze ans de cela, ce chineur compulsif était catégorique. Pas question pour lui de se séparer de tels trésors. Quand Hélène Joubert, alors directrice de la collection Afrique du musée, découvre la récolte du passionné stockée dans son domicile parisien, elle est subjuguée par l’originalité des pièces.
« Sauf que le Musée du quai Branly n’a pas vocation à montrer des collections privées. À ce moment-là, je n’étais pas prêt. Puis, ma réflexion a mûri. Et j’ai fini par accepter de faire don de pièces que je pouvais avoir en double, mais pas seulement », détaille le collectionneur. Au total, ce sont 131 éléments textiles issus d’une vingtaine de pays d’Afrique subsaharienne que l’on peut découvrir jusqu’au 14 janvier, sur les quelque 800 pagnes qui sommeillent encore chez Bernard Collet.
Travail documentaire
C’est à Libreville, au Gabon, que l’expérience commence pour le photographe. En 1971, alors qu’il sort de l’aéroport, Bernard Collet tombe sur une femme portant un pagne sur lequel est imprimé le portrait de Charles de Gaulle sur une fesse, et celui de Léon Mba sur l’autre. « J’ai trouvé cela absolument incroyable, se souvient-il. À chaque fois que je retournais en Afrique et qu’un président français se rendait dans le pays concerné, je pouvais observer ces femmes arborer un pagne représentant les chefs d’État en question. »
Fasciné par ces chroniques politiques vestimentaires, le fouineur entame sa collection vingt ans plus tard en sillonnant le Bénin, le Togo et les deux Congos sans savoir qu’il faisait œuvre d’un travail documentaire quasi inédit. Le petit (mais non moins passionnant) parcours de cette exposition donne à voir des fancy érigés telles des tentures affichant tantôt « l’amitié franco-gabonnaise » avec les portraits d’Omar Bongo Ondimba et de François Mitterand, tantôt « l’amitié solide » du Togo et de la France symbolisée par Gnassingbé Eyadéma et Jacques Chirac, ou encore celle qui liait, dans les années 1980, la France et le Cameroun, avec Mitterand et Ahmadou Ahidjo.
Cet espace intitulé « Pagnes en campagne » a ceci d’interessant qu’il témoigne des relations entre la France et son ancien empire colonial, interrogeant ainsi les vestiges de la Françafique à l’heure où la rupture avec l’Hexagone est consommée pour la plupart de ces pays. « Je suis collectionneur et non historien ou géopoliticien, mais mon regard porte, in fine, sur une époque qui s’achève. Ces pagnes témoignent, tout comme les arts premiers – des objets qui viennent du temps des colonies – d’un temps révolu. »
Précieux contacts
Collectant des pagnes de 6 yards (environ 5, 40 mètres), des modèles qui servent à réaliser une tenue en trois ou quatre parties (chemisier, jupe, coiffe et porte-bébé), Bernard Collet suit une méthodologie qui lui est propre, s’approvisionnant grâce à un réseau de fournisseurs constitué au fil des années. « Je suis en contact depuis trente ans avec la gérante de deux magasins de pagnes, l’un installé à Kinshasa et l’autre à Château Rouge [fief de la communauté afro à Paris]. À chacun de mes déplacements sur le continent, je suis accompagné par des gens qui vivent sur place, sinon c’est impossible de s’y retrouver », glisse celui qui chine la majorité de ses pagnes à l’usine UtexAfrica, également implantée à Kinshasa, et qui peut aussi compter sur des amis en voyage sur le continent, des brocanteurs, et des sites de revente en ligne pour alimenter son stock.
Ainsi, il n’est pas rare de découvrir au côté de tissus fabriqués au Congo, des cotonnades imprimés dans l’usine sénégalaise Sotiba Simpafric, l’une des cinq plus grandes manufactures au monde dans les années 1960 (1 000 salariés à l’époque, apprend-on), qui a vu défiler personnalités politiques et intellectuels comme Haïlé Selassié, Mobutu Sese Seko ou encore Aimé Césaire pendant le Festival mondial des arts nègres en 1966, avant son déclin, faute de modèle économique pérenne, dans les années 1990.
Si le photographe n’a jamais mis les pieds au Sénégal, on peut tout de même observer un pagne imprimé dans la manufacture sénégalaise à l’occasion de la visite officielle de Juan Carlos Ier, en 1979, représentant Colette Senghor, épouse du président sénégalais de l’époque, et de Sophie de Grèce, épouse du roi d’Espagne. Mais aussi, un plus petit pan de tissu placé sous vitrine sur lequel est imprimé le célèbre poème de Léopold Sédar Senghor, Femme noire.
« J’ai été en contact avec une femme qui a été la secrétaire personnelle de Senghor pendant vingt ans. Ça facilite les choses », admet le collectionneur, qui peine toutefois, ces dernières années, à dénicher des pagnes à messages signifiants. « Les pagnes ont été remplacés par des tee-shirts à l’effigie des chefs d’État ou avec des messages pour la journée des droits de la femme, par exemple. Par ailleurs, les femmes s’habillent de plus en plus à la mode occidentale et, au vu de la situation politique de la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, elles ne veulent plus s’embêter à faire des pagnes commémoratifs pour des militaires qui resteront un ou deux ans au pouvoir, estime-t-il. Bongo, Houphouët, Senghor, Nguesso… Tous sont restés des décennies à la tête de leurs pays respectifs. Ils pouvaient aisément passer commande auprès des usines pour célébrer le vingtième anniversaire de leur accession au pouvoir. »
Un outil de communication politique qui tend à se perdre donc, et dont la préciosité n’a d’égal que sa rareté, même si les pièces du collectionneur ne sont pas uniques. « Pour produire des pagnes commémoratifs, les usines impriment 500 mètres de tissus minimum, sinon ce n’est pas rentable », affirme Collet qui se dit incapable d’en évaluer le prix aujourd’hui. « On ne peut pas estimer la valeur de ces pièces, puisqu’il n’y a pas de marché », insiste-t-il, bien qu’il ne compte pas abandonner ses recherches pour autant. Il espère exposer de nouvelles trouvailles dans d’autres musées, cette fois-ci à l’étranger.
Fancy ! Pagnes commémoratifs en Afrique, au Musée du quai Branly – Jacques Chirac (Paris) jusqu’au 14 janvier 2024.
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