Le renseignement, l’autre front de la guerre entre le Hamas et Israël
Comment la préparation d’une attaque aussi massive que celle lancée le 7 octobre par le Hamas a-t-elle pu échapper aux nombreux services secrets actifs dans la région ? Plongée au cœur d’une guerre de l’ombre.
De l’aveu même de Tel Aviv, l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » qui embrase Israël et les territoires palestiniens depuis le 7 octobre révèle d’abord une énorme défaillance en matière de renseignement. Une situation inacceptable aux yeux de l’opinion de l’État hébreu, d’autant que les services secrets contribuent largement à faire ou à défaire les équilibres au Moyen-Orient.
Sur le terrain, les belligérants échangent des tirs, mettent en place des blocus, préparent des représailles. Mais l’essentiel du bras de fer se déroule en marge de ces affrontements, dans les méandres des services dits secrets avec, souvent, les bons offices de pays tiers alliés. Dans les concertations en cours au sujet des otages du Hamas, Israël compte sur l’Égypte, pays dont les services de renseignements avaient averti leurs homologues israéliens – qui n’y ont pas été attentifs – de la préparation d’une opération depuis la bande de Gaza.
Lutte contre les oppositions
Quels sont les services à l’œuvre dans cette crise ? Que peut-on dire de leur plus ou moins grande efficacité ? Un rappel historique, d’abord : nés dès l’accession des pays de la région à l’indépendance, les services de renseignement ont, dans un premier temps, largement répliqué le fonctionnement, l’organisation et la stratégie de ceux de l’ancienne puissance coloniale. Soit la France pour le Liban, et le Royaume-Uni pour la Jordanie. L’Irak, la Syrie et l’Égypte se sont plutôt inspirés du modèle de la superpuissance qui leur était la plus proche idéologiquement, à savoir l’Union soviétique et donc, le KGB.
Mukhabarat, un nom qui continue à impressionner l’opinion publique
Les forces au pouvoir dans les pays du Proche et du Moyen-Orient avaient en commun le souci de se prémunir contre les attaques extérieures, mais aussi intérieures. D’où la mise en place rapide, aux côtés de l’armée et des forces sécuritaires classiques, de services de renseignement en charge de la lutte contre les oppositions. C’est dans ce contexte que sont nés la plupart des services connus, dans les pays arabes, sous le nom générique de mukhabarat. Un nom qui continue à impressionner l’opinion publique, même si certains services ont depuis longtemps montré leurs limites, en particulier en ne voyant pas venir la vague protestataire des printemps arabes de 2011.
Mutualisation des informations
Dans le monde arabe d’aujourd’hui, les réseaux d’espionnage et de contre-espionnage constituent ce que la spécialiste du Moyen-Orient et vice-présidente de l’iReMMO (Institut de Recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient), Agnès Levallois, appelle « l’ossature des systèmes étatiques ». Bien souvent ces services, émanation de l’État profond, sont des centres de pouvoir tenus par un homme fort comme le fut le général Omar Souleiman du Service de renseignement général (GIS) égyptien, dont on a pensé un temps qu’il aurait pu succéder à Hosni Moubarak.
Devenus avec le temps plus modernes et aguerris, plus professionnels et techniques, les services ne négligent pas la mutualisation du renseignement entre pays voisins, surtout depuis qu’ils sont confrontés au terrorisme et au jihadisme. Dans le cas du conflit qui a démarré le 7 octobre, l’échange d’informations est une nécessité évidente. Il faut comprendre comment le Hamas a pu développer ses moyens d’action à Gaza et préparer une telle opération sans que nul n’en soit informé, ou en tout cas ne mesure l’envergure de ce qui se tramait.
L’art de l’intox
Le partage d’informations ne se limite pas aux pays de la zone : Américains, Français, Anglais et mêmes Russes, via certains canaux et en fonction de leurs propres intérêts, alimentent l’État hébreu mais aussi certains de leurs partenaires arabes comme la Jordanie et l’Arabie Saoudite, qui leur retournent la politesse. Certains sont très actifs dans la guerre de l’ombre qui se joue en arrière-plan de la contre-attaque israélienne.
Exempté constitutionnellement de l’application des lois, le Mossad est connu pour ses opérations osées
Le principal acteur de la crise reste toutefois, logiquement, le très fameux Mossad, ou « Institut pour les renseignements et les affaires spéciales », israélien. Créé en 1949, il a en charge la protection de l’État hébreu dans un contexte géographique hostile. Il monte également des opérations contre ses ennemis : dans ce cadre, il a longtemps mené la chasse aux anciens nazis. Exempté constitutionnellement de l’application des lois, le Mossad est connu pour ses opérations de représailles depuis les années 1960. S’il cultive le secret et manie l’art de l’intox, il se vante aussi parfois publiquement de ses victoires, comme à la suite de l’assassinat en Tunisie en 1988, d’Abou Jihad, dirigeant phare de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).
Assassinats et coups tordus
L’Institut israélien a néanmoins essuyé son lot d’échecs et de déconvenues comme en 1997, lorsqu’il a tenté sans succès d’empoisonner Khaled Mechaal, le dirigeant du Hamas. Cela ne l’a pas empêché de poursuivre ses actions de renseignement et d’entreprendre, dans la clandestinité, des coups tordus ou des opérations osées comme l’assassinat en pleine rue, à Téhéran, de Hassan Sayyad Khodaï, colonel des Gardiens de la Révolution Islamique et patron de la cellule clandestine 810, une unité du renseignement iranien qui préparait un attentat contre des touristes israéliens en Turquie. Des méthodes qui sont devenues la marque de fabrique du Mossad, connu pour être moins regardant que les services occidentaux avec lesquels il coopère.
Depuis les accords de camp David, l’un de ses meilleurs partenaires est le renseignement égyptien. Une structure à l’ancienne, proche de l’armée, qui couvre la sécurité extérieure et intérieure du pays. Sa réputation en matière de collecte d’informations et de mise en place d’alertes n’est plus à faire. Ce sont ces mêmes services égyptiens qui ont notamment permis de démanteler le réseau de tunnels entre l’Égypte et la bande de Gaza, et de déjouer ainsi de nombreux trafics. Véritable pouvoir occulte usant de procédés souvent coercitifs, le renseignement égyptien est craint de la population qui sait qu’il agit généralement en toute impunité.
Modèle des pasdarans
Depuis la bande de Gaza, le Hamas (acronyme de Harakat al-Muqawam, soit « mouvement de lutte ») et le Hezbollah libanais sont organisés différemment. Plus que de véritables services de renseignement au sens classique, ils possèdent des branches armées dépendant directement du chef du mouvement, voire de son leader religieux. Un fonctionnement très proche de celui des Pasdaran iraniens, la milice du corps des Gardiens de la révolution islamique, qui a d’ailleurs largement contribué à la formation des hommes du Hamas et du Hezbollah.
Comme le Mossad, les pasdarans laissent derrière eux de nombreuses victimes
Comme le Mossad, les pasdarans laissent derrière eux de nombreuses victimes, justifiant leurs actions par la « guerre sainte » menée contre Israël. Téhéran fait d’ailleurs bénéficier le Hezbollah des informations glanées par son service de renseignement, le Vevak, qu’ils partagent aussi souvent avec le Hamas.
Ce Vevak – ou Vaja – descend en droite ligne de la redoutable Savak de l’époque du Shah. Fort de 15 000 hommes, géré par un ministère qui lui est entièrement dédié, il est placé sous le contrôle du Conseil suprême de la sécurité nationale et dépend directement de l’ayatollah Ali Khameiny, Guide suprême de la révolution. Mais le Vevak n’agit pas seul : un système sophistiqué d’organismes remonte les informations issues d’une veille tous azimuts assurée par un réseau dense de services comme le « Bureau 101 », spécialisé dans le renseignement provenant des satellites, la direction de la sécurité des « milices bassidjis » ou l’Organisation du renseignement des Gardiens de la Révolution.
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