Maroc : une ONG vient en aide aux drogués marginalisés de Tanger
« Je ne veux plus voler les gens pour avoir ma dose », jure Mohammed. Dans le grand salon d’une association de Tanger, au Maroc, ils sont une trentaine de toxicomanes à raconter leur quotidien infernal et leur volonté de vaincre ce qu’ils appellent « l’mono », « le manque ».
Fondée en 2006, Hasnouna est, selon ses responsables, la première association à aider les toxicomanes à surmonter la dépendance grâce à une "stratégie de proximité", en établissant avec eux un dialogue basé sur la confiance mutuelle, dans un pays conservateur où ils sont mis à l’écart. Les dernières années ont été marquées par une prolifération du trafic et de la consommation de drogue à Tanger, ville de quelque 800.000 habitants, face au détroit de Gibraltar.
"Cette stratégie de proximité consiste à aider le toxicomane à comprendre sa maladie, à être conscient de son problème d’addiction", plutôt que le condamner, explique à l’AFP Faouzia Bouzitoune, une des responsables de l’ONG, dont le siège se trouve au cœur de la ville de Tanger. "L’enjeu est d’établir une relation de confiance avec l’usager là où il se trouve, sur les lieux de consommation, surtout dans les quartiers populaires comme Beni Makada où il y a une forte concentration ouvrière", ajoute-t-elle.
"Par la suite, il faut l’accompagner vers les structures de soin", selon Mme Bouzitoune. Avec l’Iran, le Maroc est en avance dans le monde arabe et musulman pour l’accompagnement des toxicomanes, selon un responsable du Centre médico-psychologique de Tanger (CMP), lié au ministère de la santé.
Le CMP est l’un des premiers centres officiels pour l’accueil et à l’accompagnement des consommateurs de drogues dures. Beaucoup aimeraient avoir accès à la méthadone, un médicament de substitution que la direction de Hasnouna est autorisée à délivrer sur ordonnance du médecin du Centre médico-psychologique (CMP), le Dr Mohammed Essalhi.
Vigilance
"Avant de prescrire la méthadone, il faut être certain que l’usager a vraiment envie d’arrêter", précise le Dr Essalhi. "Certains viennent en chercher ici parce qu’ils n’ont pas de quoi acheter l’héroïne", prévient le médecin, selon qui "il faut être vigilant".
"Je ne veux plus voler pour avoir ma dose. Depuis que je prends de la méthadone, je me sens mieux et cela m’aide à arrêter l’héroïne", lance Mohammed, un trentenaire. Sa mère l’aide parfois pour acheter sa dose d’héroïne : "Elle ne supporte pas de me voir dans un état de manque". "J’ai eu une enfance normale à Tanger. Lorsque j’ai quitté l’école à 17 ans, j’ai fait toutes sortes de boulots, gardien de voiture, transporteur près du port, garçon de café", explique-t-il, honteux d’en être réduit à voler.
"Je viens depuis des mois, j’assiste à toutes les réunions mais je n’ai pas encore droit à la méthadone. Je vous assure que je veux arrêter", renchérit un autre participant. "Pour moi le plus dur, c’est le regard des gens, l’exclusion dont on est victimes. A Tanger, tout le monde se connaît et tout le monde se méfie de nous", ajoute-t-il.
Selon les responsables d’Hasnouna, la drogue vient notamment d’Europe via Ceuta, l’enclave espagnole située à 80 km, où la dose d’héroïne coûte entre trois et cinq euros.
Femme toxicomane
"Le minimum c’est trois doses par jour, mais la plupart ont besoin de cinq à sept doses, parfois dix", confie à l’AFP un toxicomane. "Je me suis prostituée pour avoir ma dose quotidienne. J’étais au ban de la société. Dans une société comme la nôtre, une femme toxicomane souffre beaucoup plus qu’un homme", explique Fatima, 45 ans.
Fatima est issue d’une famille aisée de Rabat. A l’âge de 20 ans, elle fait la connaissance d’un groupe de diplomates qui l’ont initiée à la cocaïne, avant de basculer ensuite dans l’héroïne. Elle dit être parvenue à arrêter au bout de 20 ans "grâce à l’association", où elle travaille désormais "comme femme de ménage".
"Nous sommes dans une société marquée par le poids des tabous. On cherche aussi à changer un peu les mentalités. Il faut convaincre les gens que la toxicomanie est une maladie", souligne Mme Bouzitoune. "Heureusement, certaines familles ont un peu changé de discours, estime-t-elle. La plupart des usagers ont commencé la drogue alors qu’il étaient mineurs. Il est donc difficile de les considérer comme seuls responsables de leur situation."
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