Du cheikh Yassine à « Déluge d’Al-Aqsa », genèse du Hamas

S’il n’a été créé qu’à la fin des années 1980, le mouvement islamiste palestinien a rapidement su s’imposer à Gaza en s’inspirant des méthodes des Frères musulmans égyptiens, dont il est issu. À rebours des tentatives de paix et de la normalisation en cours, son objectif demeure la destruction d’Israël.

Cheikh Yassine, fondateur du Hamas, lors d’un meeting dans le camp de réfugiés de Jabalia, à Gaza, le 14 février 2003. © MOHAMMED SABER / AFP

Cheikh Yassine, fondateur du Hamas, lors d’un meeting dans le camp de réfugiés de Jabalia, à Gaza, le 14 février 2003. © MOHAMMED SABER / AFP

Publié le 12 octobre 2023 Lecture : 7 minutes.

Janvier 2006. Le Hamas – acronyme de « Mouvement de la résistance islamique » – remporte haut la main les élections législatives palestiniennes. C’est un coup dur pour le Fatah de Yasser Arafat, composante principale de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et représentant traditionnel du peuple palestinien. Depuis cette date, le Hamas règne en maître absolu sur la bande de Gaza, l’un des deux territoires palestiniens.

En moins de vingt ans, le parti islamiste a su s’imposer sur la scène politique et sociale au Proche-Orient. Et c’est lui qui, le 7 octobre dernier, a lancé contre Israël une attaque sans précédent par son ampleur et sa brutalité, baptisée « Déluge d’Al-Aqsa ». Mais d’où vient le Hamas, et quelle place occupe-t-il dans la nébuleuse internationale de l’islamisme politique ?

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Prémices des milices palestiniennes

Les origines du mouvement islamiste s’inscrivent dans la résistance palestinienne au sionisme. Autrement dit dans l’affrontement entre nationalisme arabe et nationalisme juif après la création de l’État d’Israël, le 14 mai 1948. Pour les Palestiniens, c’est la Nakba, le jour de la « grande calamité ». Chaque année, on commémore le déplacement forcé de quelque 700 000 Palestiniens expulsés manu militari de leurs terres vers la Transjordanie, le Liban et d’autres pays arabes. Dans les camps palestiniens ainsi créés, une nouvelle génération d’activistes et de militants, formée aux idéaux du panarabisme, va voir le jour. Mais elle va se détacher graduellement du panarabisme pour constituer une résistance à proprement parler palestinienne.

C’est dans ce cadre que naît l’OLP de Yasser Arafat, le 29 mai 1964. Par la même occasion, est formée l’ALP (l’Armée de libération de la Palestine), la branche armée du mouvement. La guérilla entre dès lors en action, portant la voix militaire et politique de la cause palestinienne. Au fil des décennies toutefois, l’OLP va mettre de l’eau dans son vin. De persona non grata, Yasser Arafat devient un interlocuteur pour la paix et l’OLP le « seul représentant légitime du peuple palestinien ». Celle-ci a désormais un statut d’observateur au sein de l’ONU. En clair, l’organisation est devenue « fréquentable » selon les standards de la diplomatie internationale. Ce qui ne plaît pas nécessairement dans les territoires occupés et dans les camps de réfugiés palestiniens.

« Au début des années 1980, le modèle de la révolution iranienne, allié à l’expulsion de l’OLP de Beyrouth, crée les conditions de l’affirmation d’un véritable islamisme palestinien », analyse le journaliste Antoine Sfeir. Or l’embryon d’un tel mouvement existe déjà : en 1946, soit deux ans avant la création d’Israël, les Frères musulmans égyptiens ont fondé une branche de leur confrérie à Gaza.

Un rappel historique n’est pas inutile. « Le mouvement des Frères musulmans fondé en Égypte (1928) par Hassan al-Banna, résume l’islamologue Louis Gardet, pourrait se définir comme une aile intégriste et activiste de la Salafiya, comme un repli sur des valeurs dures de l’islam. » Le jihad en est dès lors la clef de voûte, s’opposant à toute forme d’occidentalisme. Et l’État d’Israël est justement perçu comme le fruit d’un impérialisme occidental. L’État juif, dans la saga des Croisades, « est identifié au royaume latin de Jérusalem », note l’historien Emmanuel Sivan.

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Des Frères musulmans au Hamas

C’est pourquoi cette conviction qui s’apparente à un mythe politique et religieux constitue le fondement de l’idéologie du Hamas. En 1973, le cheikh Ahmed Yassine fonde à Gaza Al-Moujamaa al-Islami, le Centre islamique. Cette association émanant de l’Université islamique de Gaza est très active. Elle obtient même le soutien d’Israël. Objectif déclaré : faire contrepoids à l’OLP d’Arafat. Certains historiens rejettent l’idée d’une participation de Tel-Aviv à la création du Hamas. Quoi qu’il en soit, Israël interdit le mouvement en 1989, soit seulement deux années après sa création en 1987.

Le Hamas voit en tout cas définitivement le jour après plus de quinze ans d’activisme à Gaza, supplantant au passage l’autre formation politico-religieuse, le Jihad islamique. Lequel était pourtant l’aîné du Hamas : créé en 1980, il s’inspirait de la révolution des mollahs et se positionnait entre islamisme et nationalisme palestinien. Ce qui a certainement brouillé quelque peu les cartes aux yeux des Palestiniens. Les fondateurs palestiniens du Hamas, eux, sont alors trois membres des Frères : Ahmed Yassine, Mohammed Taha et Abdelaziz al-Rantissi. Et le contexte social s’y prête à merveille. Les Frères musulmans tirent profit de la première Intifada, ce soulèvement populaire qui va embraser six ans durant Gaza et la Cisjordanie. Il n’en demeure pas moins que ce n’est pas vraiment leur marque de fabrique.

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De fait, les deux leitmotivs du Hamas sont l’islamisation à outrance de la société et la résistance armée contre Israël. Pour le mouvement islamiste, le constat est simple : l’échec des Palestiniens dans leur lutte contre l’occupant hébreu tient à l’éloignement des préceptes de l’islam. En cela, il s’agit d’abord et avant tout d’injecter une dose de religiosité dans les masses. On retrouve là le credo de la « préparation des générations » si chère à la rhétorique des Frères musulmans.

Pour ce faire, le Hamas se compose de deux branches, l’une politique et l’autre armée (les Brigades Izz al-Din al-Qassam, du nom du cadi syrien tombé les armes à la main face à l’armée anglaise en 1935). Cette dernière souhaite tout bonnement lutter à armes égales contre le Shin Bet, le service de sécurité intérieur israélien. À ce titre, le Hamas met sur pied une charte en février 1988. Elle codifie l’action du mouvement en se fixant deux objectifs : l’établissement d’un État théocratique palestinien et la destruction de l’État d’Israël.

Le credo du Hamas : roquettes et Coran

En outre, le mouvement rédige concomitamment un manuel du jihadiste, Le Combattant du jihad confronté à l’interrogatoire et à la torture. Le ton est donné. La charte sera amendée en 2017. Fondamentalement, elle demeure fidèle à la première mouture, à une exception près : les Frères musulmans disparaissent du texte. Le manifeste insiste également sur le caractère politique et non religieux de la lutte armée.

Sur le terrain, dès la création du Hamas, un véritable jeu du chat et de la souris à distance s’installe entre les deux ennemis jurés. Si, en 1992, Tel-Aviv arrive à neutraliser la branche politique du Hamas, il n’en est pas de même avec la branche armée, qui prospère et s’épanouit notamment dans la bande côtière de Gaza. Deux ans après, en avril 1994, et pour exprimer son opposition aux accords de paix d’Oslo, le Hamas passe à l’offensive. Les attentats-suicides aveugles vont dorénavant endeuiller régulièrement Israël. Pas moins de 16 opérations kamikazes entre 1994 et 1998, en collaboration avec le Jihad islamique. 2001 est l’annus horribilis avec 21 attentats.

À son tour, Israël cible un à un les dirigeants du Hamas, généralement par des frappes aériennes ou des objets piégés. L’artificier du mouvement, Yahya Ayache, dit « l’Ingénieur » est éliminé en 1996 par l’explosion de son téléphone portable. L’État hébreu n’hésite pas non plus à supprimer le cheikh Yassine : il est pulvérisé en mars 2004 par des tirs de roquette d’un hélicoptère de Tsahal alors qu’il sortait d’une mosquée.

Cela n’empêche pas le Hamas d’étendre son emprise sur la bande de Gaza. Deux moyens à cela : le caritatif et l’embrigadement idéologique. Par ce fait, il devient un parti de masse et un État dans l’État, faisant de plus en plus d’ombre à l’Autorité palestinienne et au Fatah, la principale composante politique de l’OLP.

Le mouvement islamiste, à l’instar des Frères musulmans en Égypte, est socialement omniprésent. Il gère des hôpitaux gratuits, des orphelinats, des écoles, des clubs de sport… Cela contraste nettement avec la corruption des membres du Fatah. Aussi gagne-t-il, avec ce capital sympathie, le cœur et l’esprit des Gazaouis, jusqu’à la victoire électorale de 2006 face à un Fatah plombé par les affaires.

Règlements de comptes entre Palestiniens

C’est un véritable séisme pour la communauté internationale. L’Autorité palestinienne, dominée par le Fatah et aidée par les États-Unis et Israël, tente de renverser la vapeur. Éclate dès lors un conflit intra-palestinien où les deux formations s’affrontent. « La division territoriale entre Cisjordanie et bande de Gaza, scellée […] par les mesures de l’occupation israélienne, se double dorénavant d’une division institutionnelle et politique entre deux territoires », explique l’historien Jean-François Legrain. Gaza au Hamas et la Cisjordanie au Fatah. Aussi le mouvement islamiste administre-t-il seul cette enclave côtière de 360 kilomètres carrés, peuplée d’un peu plus de 2 millions d’habitants.

Tsahal, qui s’est retiré en 2005, ne cesse d’instaurer des blocus sur Gaza. Le Hamas se trouve donc confronté à la paupérisation d’une population qui dépend pratiquement totalement des aides extérieures et des organisations humanitaires. Cette situation de pénurie chronique n’empêche pourtant pas le Hamas de poursuivre son activité militaire contre l’État hébreu en lançant des roquettes sur le Sud d’Israël. Il est dès lors classé organisation terroriste par l’Union européenne et les États-Unis, entre autres.

À ces attaques, Tel-Aviv répond systématiquement par des bombardements ciblés et massifs. Éternel tonneau des Danaïdes ! En 2008, l’offensive aérienne est suivie par une incursion terrestre pour neutraliser les jihadistes du Hamas. Bilan : 1 440 Palestiniens et 13 Israéliens y perdent la vie. En 2012, 2014, 2021 et mai 2023, bis repetita. Des opérations militaires répondant à des tirs de roquettes font des centaines de morts parmi les civils. Jusqu’à culminer, le 7 octobre 2023, avec la dernière attaque du Hamas, « Déluge d’Al-Aqsa ». Inédite par son ampleur et son modus operandi, celle-ci est à la fois terrestre, maritime et aérienne. Le timing a été soigneusement arrêté : celui du jubilé de la guerre du Kippour, en octobre 1973.

Énième épisode d’un conflit sans fin : tandis que l’État hébreu noue depuis 2020 des relations avec un nombre croissant de pays arabes, le Hamas demeure une épine dans le pied d’Israël. Son fondateur, le cheikh Yassine, s’inspirant du Coran, ne prédisait-il pas la fin de l’État juif pour 2027 ? Le temps est compté pour la paix.

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