Guerre Israël-Hamas : l’équilibre de la terreur, par François Soudan

Les suppliciés du kibboutz de Kfar Aza et les enterrés vivants de Gaza sont les victimes innocentes d’une tragique impasse politique dont nul ne connaît plus la voie de sortie.

 © Montage JA; Vincent Fournier/JA

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Publié le 11 octobre 2023 Lecture : 5 minutes.

Les massacres de civils au fusil d’assaut et la razzia d’otages auxquels a procédé le Hamas dans le sud d’Israël le 7 octobre ne sont pas que l’invasion terrestre la plus significative qu’ait connue l’État hébreu depuis 1948. Ils sont surtout et avant tout des crimes de guerre et l’expression d’un terrorisme de groupe qui, il convient de le préciser en ces temps de confusion des esprits, n’a pas plus à voir avec l’islam que l’Irgoun et le Lehi – organisations terroristes juives de la fin des années 1940 – n’avaient de rapport avec le judaïsme.

Cette agression indiscriminée contre des populations civiles ayant pour première conséquence de ressouder autour de la loi du Talion une société israélienne profondément divisée à la veille du 7 octobre, il va de soi que l’heure n’est pas venue, pour cette même opinion, de s’interroger sur la part de responsabilité de son propre gouvernement dans une tragédie qui désormais frappe avec autant d’aveuglement les deux millions d’otages palestiniens de la cage de Gaza.

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Pyromanes anxiogènes

Pourtant, à bien y regarder, la seule véritable surprise dans cet assaut sanglant du dernier jour de Souccot 2023 aura été, outre le modus operandi des commandos de tueurs du Hamas, la fragilité du système de défense israélien, dont la crédibilité et la capacité dissuasive sont aujourd’hui affaiblies, en interne mais surtout aux yeux de l’extérieur.

L’attaque, elle, était prévisible. D’abord parce que depuis la précédente guerre de Gaza, en août 2014 (2 500 tués Palestiniens, contre 72 Israéliens, civils et militaires confondus), les dirigeants du Hamas au pouvoir dans l’enclave depuis seize ans ne cessaient de réitérer leur menace de mener une offensive à l’intérieur même d’Israël – et cela d’autant que la légitimité de cette organisation qui fait régner un ordre totalitaire sur les Gazaouis exsangues est de plus en plus contestée. Ensuite parce que l’électorat israélien a propulsé au pouvoir en novembre 2022 la coalition la plus belliciste et antipalestinienne de son histoire, une équipe de pyromanes anxiogènes que l’ancien Premier ministre Ehoud Barak qualifie de « gouvernement fasciste ».

Sous la houlette d’un Benyamin Netanyahou obsédé par son avenir judiciaire et les moyens de le conjurer, cette coalition ultra sioniste regroupe un Likoud radicalisé, des formations orthodoxes partisanes de l’établissement d’une théocratie et trois partis suprémacistes juifs ouvertement racistes, hostiles à la composante arabe de la population israélienne et propagandistes enthousiastes de l’annexion de la Cisjordanie, voire de la Jordanie tout court.

Certes, une partie de la société israélienne ne cache pas sa défiance envers Netanyahou, et le fait savoir. Mais les manifestations de ces derniers mois étaient beaucoup plus motivées par le souci de défendre l’indépendance de la justice et de protéger l’intégrité de la Cour suprême que par celui d’ouvrir des négociations avec l’Autorité palestinienne. Autrefois triomphant, le camp de la paix est aujourd’hui marginalisé et les partis de gauche affaiblis comme ils ne l’ont jamais été.

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À ce gouvernement de nature coloniale dont le ministre de la Sécurité, Itamar Ben Gvir, a participé en personne aux provocations d’extrémistes juifs sur l’esplanade des Mosquées et qui ne cesse d’instiller dans l’esprit de ses administrés que le conflit israélo-palestinien est d’essence religieuse et existentielle, il n’y a pas d’alternative crédible, y compris avec l’inclusion en son sein, au titre de l’« urgence nationale », d’un leader « centriste » comme Benny Gantz, qui se vantait il y a peu d’avoir renvoyé une partie de Gaza « à l’âge de pierre », lorsqu’il était le chef d’état-major de Tsahal.

L’ivresse de la vengeance

Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, étant aussi discrédité que le sont, côté israélien, les héritiers politiques d’Yitzhak Rabin – assassiné il y a tout juste vingt-huit ans pour avoir été le plus lucide de tous les Premiers ministres qu’a connus l’État hébreu –, le choc frontal des deux extrêmes était, si l’on peut dire, inéluctable. Il a pris, le 7 octobre, la forme la plus abjecte qui soit, celle du terrorisme aveugle, aussitôt suivi par des représailles dictées en large partie par l’ivresse de la vengeance.

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En chute libre depuis dix ans, la solution des deux États vivant côte à côte – pourtant la seule viable, celle de l’État commun judéo-arabe où chaque citoyen jouirait des mêmes droits relevant du pur fantasme – poursuit sa descente aux oubliettes. Qui y croit encore, en dehors d’António Guterres ? Il est vrai que le secrétaire général de l’ONU est aux premières loges pour assister à ce rituel palinodique qui veut que, chaque année depuis des décennies, soient adoptées, en Assemblée générale et à une majorité écrasante, une série de résolutions avortées exigeant la fin de l’occupation des territoires palestiniens. En novembre 2022, seuls neuf États, dont Israël, le Canada, une poignée de confettis du Pacifique et bien sûr les États-Unis s’y sont opposés. Suffisamment, à l’évidence, pour que ces résolutions demeurent éternellement lettre morte. La Palestine n’est pas l’Ukraine.

Le scénario des semaines à venir est donc presque écrit d’avance. Israël va s’acharner à détruire ce qui est pour lui l’origine du mal, le Hamas, quitte à pulvériser au passage une partie de Gaza. L’organisation fondée par le cheikh Yassine n’y survivra peut-être pas, mais une autre, son clone, tout aussi fanatique, surgira inéluctablement des cendres de l’enclave, tant qu’une solution politique et non pas militaire ne se sera pas imposée.

Tragique impasse

En concluant les accords d’Abraham avec un certain nombre de pays arabes et à deux doigts d’y inclure l’Arabie saoudite – le jackpot à ses yeux –, Benyamin Netanyahou pensait sans doute ensevelir pour longtemps la cause palestinienne. Mais ces accords concernent des pays avec lesquels Israël n’est pas en guerre, et le carnage du 7 octobre est venu brutalement rappeler aux dirigeants israéliens que la paix, la vraie, ne se signe qu’avec ceux que l’on considère comme ses adversaires, voire comme ses ennemis. La paix : encore faut-il, pour y aboutir, que le processus soit conduit de part et d’autre par des hommes et des femmes d’exception.

Existent-ils ? Emprisonné depuis plus de vingt ans en Israël, Marwan Barghouti, le plus populaire sans doute de tous les leaders palestiniens, le seul à même d’exercer une autorité morale sur la majorité de ce peuple déchiré, et de négocier en son nom une solution à deux États, en a la légitimité. Comme Nelson Mandela, Marwan Barghouti a été reconnu coupable de terrorisme et condamné à la prison à perpétuité. Mais, à la différence du Sud-Africain, le Palestinien n’a pas, face à lui, un Frederik de Klerk, tant le personnel politique israélien semble se caractériser depuis le décès de Shimon Peres, en 2016, par son insondable médiocrité.

Les suppliciés du kibboutz de Kfar Aza et les enterrés vivants du quartier d’Al-Furqan sont les victimes innocentes de cette tragique impasse, matrice de part et d’autre de haines sans cesse renouvelées. Des deux côtés d’une même terre, à la fois sainte et ceinte de murs, de grillages et de barbelés, le sang et les larmes ont pourtant la même couleur.

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