Guerre Israël-Hamas : les silences de Mahmoud Abbas

Le président de l’Autorité palestinienne a mis plusieurs jours à réagir au déclenchement d’une nouvelle guerre entre Israël et le Hamas. Mais est-il encore audible ?

Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas (à dr.) avec le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, à Amman, en Jordanie, le 13 octobre 2023. © Jacquelyn Martin/POOL/AFP

Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas (à dr.) avec le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, à Amman, en Jordanie, le 13 octobre 2023. © Jacquelyn Martin/POOL/AFP

Publié le 16 octobre 2023 Lecture : 5 minutes.

Dix jours après l’attaque du Hamas contre Israël et à la veille de l’opération terrestre de Tsahal dans la bande de Gaza, les pilonnages de l’armée israélienne ont déjà fait plus de 2 600 morts côté palestinien. Dans un tel contexte, le silence de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et du Fatah, sa principale composante, est déroutant.

À entendre les médias, il semblerait que la Palestine se réduise désormais à la bande de Gaza et aux actions du Hamas. Et nul ne s’interroge sur le silence de Ramallah, en Cisjordanie, où le quartier général du gouvernement – la Mouqata’a, le saint des saints de la lutte palestinienne, où repose la dépouille du leader Yasser Arafat – est désert. Comme si les murs disaient l’indifférence des hommes, comme pourrait le penser une opinion non avertie.

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Où est donc « Abou Mazen », surnom de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne et secrétaire général de l’OLP, 87 ans, qui, depuis l’offensive du Hamas, n’a pas lancé de message fort à destination d’un peuple palestinien sidéré par l’opération déclenchée par le mouvement islamiste ? Jusqu’à ce dimanche 15 octobre, où il a fini par déclarer que « les actions du Hamas ne représentent pas le peuple palestinien ». Une manière de se présenter – enfin – comme un interlocuteur possible ? L’avenir le dira.

Avant cet épisode, la dernière initiative politique de Mahmoud Abbas remontait au mois d’août, avec le limogeage de plusieurs gouverneurs. On aurait pu croire que le chef de l’Autorité palestinienne réagirait plus rapidement au déclenchement d’un nouveau conflit qui touche plus de 1,5 million de civils palestiniens dans la bande de Gaza. À sa décharge, depuis le report des élections législatives prévues en 2019, sa légitimité a été sérieusement écornée aux yeux de nombreux Palestiniens et du Hamas.

Les oubliés du conflit

La Cisjordanie reste donc discrète, comme si elle souhaitait se faire oublier. Il faudra bien pourtant que les dirigeants, qui ne veulent pas d’un amalgame avec le Hamas, s’expriment de façon claire et audible, « faute de quoi le parti frère du Hezbollah libanais prendra la main également en Cisjordanie », prédit un habitant du village de Tubas où, le 11 octobre, des soldats de Tsahal ont encerclé la maison de Nader Sawafta, un dirigeant de Hamas.

« On s’est défendu et on l’a défendu par solidarité, par crainte pour nous-mêmes, mais nous avons l’impression d’être quantité négligeable », poursuit l’homme, qui rappelle – en soupirant « c’est notre quotidien » – qu’au même moment, quatre Palestiniens ont été tués par une attaque de colons dans la région de Naplouse.

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Mais entre la riposte israélienne sur Gaza et le fort soutien exprimé par les pays occidentaux à l’État hébreu, les Palestiniens de Cisjordanie se sentent seuls. Des oubliés du conflit qui craignent que le Hezbollah libanais n’entre en jeu et ne mette la Cisjordanie en porte à faux avec Israël. « Les colons n’attendent que ça pour rogner encore plus de notre territoire. Tout se joue, depuis la création de l’État d’Israël, sur une occupation progressive, au fil des conflits successifs, des terres palestiniennes. Ce phénomène de colonisation insupportable est une menace pour l’existence des Palestiniens, qui peinent à se faire entendre face à la puissance d’Israël », résume un Gazaoui installé en Égypte.

« Palestiniens et Israéliens, nous sommes tous victimes et bourreaux par la faute de nos politiques, qui ont manqué de discernement », commente depuis Tunis une Palestinienne qui rappelle que « les moins de 30 ans en Cisjordanie ou à Gaza n’ont connu que la guerre ».

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Le journaliste français Georges Malbrunot va plus loin en décrivant la bande de Gaza comme « une prison à ciel ouvert ». Prisonniers chez eux, les Palestiniens sont ainsi un peuple assigné à résidence en attente d’une expulsion dictée par la loi du plus fort. Une situation qui a nourri l’expansion du Hamas, lequel a inscrit dans son programme l’éradication d’Israël. Objectif que partage le Jihad islamique, qui s’est d’ailleurs joint au conflit sur le terrain à Gaza.

On est bien loin de la solution à deux États, régulièrement proposée sans jamais devenir effective. « À chaque fois, les enjeux étaient politiques mais on ne prenait pas en compte l’étau qui se resserrait sur les Palestiniens. Je pressens que, cette fois, une issue définitive sera trouvée. Nous allons soit vers une mort certaine et un pogrom contre les Palestiniens sur une terre qui est aussi la leur, soit vers deux États indépendants à égalité de droits », commente depuis Beyrouth un ancien de l’OLP, qui estime que la lutte palestinienne a été dévoyée par Hamas.

Comblant le déficit d’action et de résultats de l’Autorité palestinienne, le mouvement islamiste a fait siens certains combats – comme celui, en 2021, des familles palestiniennes du quartier de Cheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, expulsées de leurs domiciles au profit de colons israéliens – et a voulu faire du conflit une « guerre sainte ».

De nouvelles voix ?

Outre Mahmoud Abbas et le Hamas, d’autres voix palestiniennes peuvent-elles se faire entendre ? Mustapha Bargouthi, président de l’Initiative nationale palestinienne, s’est exprimé pour dénoncer les attaques de civils par le Hamas, tout en notant qu’Israël bombarde également des civils. « Ce n’est pas la solution, analyse-t-il. Les ripostes ne stopperont ni le Hamas ni la résistance. L’unique manière d’arrêter toute violence est d’en finir avec l’occupation israélienne. Les États-Unis ne peuvent pas dire qu’Israël a le droit de se défendre et nous dénier ce droit. Israël doit accepter d’en finir avec la violence et reconnaître aux Palestiniens les mêmes droits humains. »

Un discours que peut entendre la communauté internationale, dont les Palestiniens n’attendent cependant plus rien. « Les puissants de ce monde ne nous considèrent pas comme des victimes des exactions d’Israël. Dans cette affaire, il y a deux poids deux mesures, on parle du Hamas mais il n’est pas le peuple palestinien. Et pourtant, on accepte implicitement que ce peuple soit écrasé pour en finir avec le Hamas. C’est de la folie. Mais c’est aussi l’histoire de l’humanité, personne n’a bronché pour sauver les Arméniens du Haut Karabakh », s’emporte sur les réseaux sociaux un militant d’un groupuscule pro-palestinien.

Cette solution diplomatique, Mahmoud Abbas semble pourtant vouloir y croire. Lorsqu’il est enfin sorti de son silence, il a réclamé « la fin immédiate de l’agression » contre le peuple palestinien et alerté sur la situation humanitaire dans la bande de Gaza. L’occasion lui est maintenant donnée de faire revenir le Fatah en première ligne.

À Amman, il s’est entretenu avec le roi Abdallah de Jordanie, qui a entamé depuis dimanche une mission de bons offices pour désamorcer l’escalade de violence. Il a également rencontré le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, à qui il voulait transmettre un message clair : le Hamas n’est pas dans l’OLP, à laquelle appartient son parti, le Fatah, « seul représentant légitime du peuple palestinien, et qui a renoncé à la violence et adhéré à la légitimité internationale ».

Un discours apparement entendu puisque l’envoyé du président Joe Biden a martelé que « les Palestiniens doivent rester à Gaza ». Mais les Palestiniens, eux, n’y croient guère. « On va faire de nous des vaincus qui devront accepter des conditions de paix iniques », prévoit Abou Seif, un réfugié du camp de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie.

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