« L’attaque du Hamas n’a aucun sens, sauf si le Hezbollah intervient aussi »

Pour le chercheur et spécialiste français du Moyen-Orient David Rigoulet-Roze, difficile, même si les preuves manquent, de ne pas voir l’influence de l’Iran derrière l’opération du Hamas en Israël.

David Rigoulet-Roze. © Capture Ecran France 24

David Rigoulet-Roze. © Capture Ecran France 24

Publié le 14 octobre 2023 Lecture : 6 minutes.

L’ACTU VUE PAR – L’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre sera-t-elle bientôt suivie d’une autre offensive, menée cette fois par le Hezbollah libanais ? David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Iris, spécialiste du Moyen-Orient, s’inquiète d’une escalade possiblement orchestrée par l’Iran dans le but de mettre fin au processus de normalisation des relations en cours entre les États arabes et Israël.

Jeune Afrique : On a toujours considéré qu’il existait au sein du Hamas une aile politique, proche du Qatar, et d’autres plus « sécuritaires » et sous influence plutôt iranienne. L’attaque du 7 octobre et son mode opératoire sont-ils le signe que les « Iraniens » ont pris le dessus ? Qu’est-ce que cela dirait de l’influence respective de l’Iran et du Qatar dans la région ?

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David Rigoulet-Roze : Il y a eu une opération de lissage de l’image du Hamas, avec le très politique Ismaïl Haniyeh, mais il ne faut pas se méprendre, l’homme est un faux modéré. Au sein de l’organisation, il n’y a pas de réelle disjonction entre les politiques et les militaires. À l’issue d’une réunion en juin dernier à Téhéran, Ziad al-Nakhalah, le chef du Jihad islamique, a ostensiblement affirmé que le temps de la trêve était révolu et que la confrontation ouverte allait se concrétiser.

Le Qatar et l’Iran jouent des rôles différents auprès du Hamas. Le Qatar, où réside depuis plusieurs années Ismaïl Haniyeh, est un sponsor idéologique et financier (qui verserait 30 millions de dollars par mois). Les Iraniens, eux, offrent un soutien actif et opérationnel plus ou moins poussé, tourné contre Israël, avec une aide estimée à quelque 100 millions de dollars par an.

Des dirigeants du Hamas ont affirmé au Wall Street Journal que l’Iran avait directement soutenu leur attaque du 7 octobre. Mais les États-Unis se montrent beaucoup plus mesurés et répètent qu’il n’y a pas de preuve directe de l’implication de l’Iran. Que cherche le Hamas ?

De fait, il n’y a pas de « smoking gun », pas de preuve directe. Au contraire, on est dans un cas, pour l’instant, de « plausible deniability », selon l’expression anglo-saxonne. L’Iran peut encore nier son implication éventuelle et c’est ce qu’il fait. Si Biden ou Macron devaient admettre officiellement la potentielle responsabilité de l’Iran, alors ils ne pourraient pas rester sans réagir. En affirmant qu’il n’y a pas de preuve « à ce jour » de son rôle actif supposé, ils se laissent une marge de manœuvre pour essayer d’éviter une logique d’engrenage aux conséquences potentiellement dévastatrices.

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Dans l’hypothèse où l’Iran serait bien impliqué dans l’attaque du Hamas, pourquoi n’a-t-il pas poussé le Hezbollah à attaquer simultanément Israël, pour frapper plus durement ?

Si les deux organisations avaient attaqué Israël au même moment, il y aurait peu de doute sur l’existence d’une coordination globale, et l’Iran serait plus directement accusé d’en être responsable. Cela dit, ce n’est pas parce que le Hezbollah ne s’est pas encore activement engagé qu’il ne le fera pas. Il faut écouter ce que disent ses dirigeants. Ils considèrent qu’ils ne sont pas, pour l’instant, des parties prenantes du conflit, mais que le Hezbollah serait amené à reconsidérer sa position si jamais l’armée israélienne devait envahir Gaza. Or Israël annonce justement son intention d’éradiquer totalement le Hamas.

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Si le Hezbollah devait s’engager, il faut savoir qu’il dispose, aux dires des services de renseignement israéliens, de 100 000 roquettes, contre 2 500 environ tirées par le Hamas depuis le début de l’attaque. L’offensive du 7 octobre aura des conséquences aussi importantes que le 11-Septembre. La question demeure : pourquoi le Hamas, qui lutte depuis toujours contre Israël, s’est-il lancé dans une confrontation globale qui ne pourra être que suicidaire vu la réaction nécessairement massive d’Israël ? Sauf à considérer d’éventuels soutiens de tiers dans un second temps. Cette attaque n’a aucun sens, sauf si le Hezbollah intervient aussi.

Si l’Iran pousse le Hamas et le Hezbollah à une attaque conjointe, cela embraserait la région tout entière. N’est-ce pas contradictoire avec la reprise du dialogue entre l’Iran et l’Arabie saoudite en avril dernier ?

Il est vrai que ce rapprochement était spectaculaire, mais le ministre saoudien des Affaires étrangères, Fayçal Ben Farah Al Saoud, avait déclaré au quotidien Asharq Al Awsat en mars 2023 qu’il ne fallait pas surestimer la portée de l’accord et que l’objectif était simplement de traiter par le dialogue des désaccords et des rivalités qui n’allaient pas disparaître miraculeusement. Pour l’Iran, cet accord lui permettait de sortir de son isolement régional en donnant des gages de respectabilité, tout en s’offrant l’occasion de détourner l’Arabie saoudite d’Israël. Cela n’a pas fonctionné puisque le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman (MBS), a décidé de poursuivre la logique de normalisation avec Israël.

C’est sans doute ce qui a poussé Téhéran à choisir une voie détournée en passant éventuellement par des proxies pour entraver le rapprochement de l’Arabie saoudite et des autres pays arabes avec Israël, amorcé en 2020 avec les accords d’Abraham. Le conflit israélo-palestinien ravivé, les États arabes sont désormais sommés par l’Iran, qui s’appuie sur le soutien très fort de leurs populations à la cause palestinienne, de soutenir les Palestiniens contre Israël.

L’Iran va-t-il atteindre son objectif ? Les accords d’Abraham sont-ils morts ?

Certains le pensent, mais cela n’est pas certain, même si les États arabes signataires des accords d’Abraham se trouvent mis en difficulté aujourd’hui. Compte tenu des circonstances, ils pourraient être paradoxalement convaincus de la nécessité de ce processus de normalisation avec Israël. Qui peut les protéger face à la puissance déstabilisatrice de l’Iran sinon Israël ? Les Israéliens disposent d’une véritable armée et du feu nucléaire.

Au-delà de l’attaque du Hamas contre Israël, l’Iran a un potentiel de déstabilisation à Bahreïn, royaume sunnite avec une population à majorité chiite. Il est parvenu à faire de l’Irak un quasi-protectorat et il a développé des milices qui sont autant de proxies disséminés dans la région. De plus, les Intifadas palestiniennes de 1987 et de 2000 constituaient l’image même de la lutte du faible contre le fort, de la « juste cause » palestinienne, mais l’attaque du Hamas a atteint un niveau d’horreur qui pourrait permettre aux États arabes de ne plus être « otages » de « la question palestinienne », tout comme MBS s’est refusé de l’être dans son rapprochement avec Israël.

En Afrique, les États ont eu des réactions très différentes selon leur degré de proximité avec Israël et la prégnance de la cause palestinienne dans leur opinion publique. L’Afrique du Sud soutient la cause palestinienne et fait porter toute la responsabilité des derniers événements à Israël, tandis que le Maroc se montre presque neutre. Comment comprendre des positions aussi divergentes ?

Chaque État africain a sa propre politique sur ce sujet. Par son soutien sans nuance à la cause palestinienne, l’Afrique du Sud risque d’hypothéquer son aspiration à incarner l’alternative du « Sud global » face aux Occidentaux. Elle avait déjà adopté une position très forte lorsqu’elle avait invité Vladimir Poutine au sommet des Brics, dans le contexte de la guerre en Ukraine. La grande prudence de la réaction marocaine est, elle, révélatrice de la force des accords d’Abraham, dont le royaume est signataire. Rabat ne veut pas s’aliéner son nouvel allié israélien, alors que Mohammed VI est par ailleurs le président du Comité Al-Qods, dont la vocation déclarée est de préserver l’identité arabo-musulmane de Jérusalem.

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