En Afrique, l’interminable lutte des femmes pour leurs droits fonciers
Le monde célèbre ce 15 octobre la Journée internationale des femmes rurales. L’occasion de rappeler que l’accès à la propriété foncière est un droit que le continent dénie toujours à l’immense majorité d’entre elles, alors même qu’elles sont les piliers de l’économie paysanne.
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Reckya Madougou
Ancienne Garde des Sceaux, de la Législation et des Droits de l’Homme du Bénin.
Publié le 15 octobre 2023 Lecture : 3 minutes.
Dans les étendues à perte de vue du continent africain, là où le soleil virevolte avec la terre et où chaque grain de sable murmure les échos d’anciennes légendes, Aïssa, à la croisée de ses trente printemps, questionne l’horizon. Ses talons aux crevasses disgracieuses et ses mains calleuses portent les stigmates d’un martyr muet. Chaque sillon cultivé renferme des vestiges de la mémoire de ses aïeux. Pourtant, cette terre qui l’a vue grandir ne lui appartient pas. Elle n’en jouit pas de plein droit.
Mauvais choix stratégiques
Le sort réservé aux problématiques du monde rural est troublant. Bien souvent, elles ne trouvent guère l’attention qu’elles méritent auprès des décideurs. Je prends volontairement le parti de dédouaner nos techniciens du développement rural, pour avoir eu un géniteur ingénieur agronome ayant occupé d’importantes fonctions.
Durant l’âge d’or des Centres d’action régionale pour le développement rural au Bénin, j’ai vu mon père et ses collègues s’acquitter avec abnégation de leur devoir, se pliant à moult sacrifices. De fait, les ressources humaines qualifiées ne font pas défaut.
Mais la volonté politique et les mauvais choix stratégiques des dirigeants, notamment en matière de hiérarchisation des priorités, sont les causes principales de l’aliénation de nos terres. De là est née ma propre passion pour l’agro-développement, qui m’a conduite à assister des pays dans l’élaboration de stratégies de financement de l’agriculture, l’autre nœud gordien du secteur.
La propriété foncière est indissociable de l’identité rurale. Or, pour de nombreuses femmes comme Aïssa, ce droit demeure un mirage. Selon l’ONU, moins de 20 % des femmes sont propriétaires des terres qu’elles cultivent en Afrique subsaharienne. Pourtant, une étude de la Banque Mondiale datant de 2020 indique que les femmes propriétaires de leurs terres bénéficient d’une meilleure sécurité alimentaire et investissent davantage dans l’éducation de leurs enfants.
Gazelle au regard de jais, Adjoua se tient sur une terre qu’elle a tant nourrie de sa sueur et de ses espoirs. Je m’étais également longuement entretenue avec une femme à la tête de son groupement dans le champ de riz qu’elle exploitait. Un travail souvent exécuté à perte au fil des récoltes, tant les loyers sont exorbitants et la pression insoutenable. Pour Adjoua et Aïssa, la superficie cultivée représente bien plus qu’un simple lopin de terre. Leurs doigts, ankylosés par la rugosité d’un outillage rustique et archaïque, n’effleureront peut-être jamais le sésame foncier.
Levier de développement
Une telle disparité du droit foncier a des effets néfastes notoires : elle constitue une entrave au développement – alors que l’accès aux terres en serait un levier. Cette inégalité dépasse donc le simple enjeu de la propriété. Selon une étude de l’OCDE publiée en 2017, un accès égal aux terres pourrait augmenter la production agricole de 2,5 à 4 %, ce qui favoriserait la croissance économique et réduirait la malnutrition, faisant passer de 12 à 17 % le taux de personnes qui se nourrissent correctement. Cela serait donc profitable non seulement aux femmes, mais aussi à l’ensemble de la communauté locale et sur le plan national. Des programmes tel « Landesa » en Inde démontrent à souhait le bon stimulus que constituent les droits fonciers.
Le combat pour les droits fonciers des femmes en Afrique participe d’une approche globale de développement qui implique la sécurisation des actifs féminins et l’expansion de leurs opportunités économiques, essentielles pour la prospérité et la paix. L’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie l’a fort justement souligné : « La condition des femmes est le véritable baromètre pour comprendre le bien-être d’une société. »
Revoir la question des droits fonciers revêt un caractère impérieux. Une collaboration entre gouvernements, organisations internationales, ONG et communautés locales s’impose pour obtenir des solutions durables. L’objectif est de valoriser le rôle des femmes dans la gestion foncière, promouvoir leur accès à la formation, l’information, et assurer leur participation active dans les décisions liées à la terre. Des initiatives innovantes peuvent transformer la vie des femmes rurales. Cela exige des politiques publiques volontaristes, des investissements ciblés et une approche inclusive.
Les terres arables d’Afrique, qui représentent 60 % des surfaces non cultivées à l’échelle mondiale, sont une richesse convoitée par des multinationales véreuses, souvent aux antipodes du commerce équitable. En opérant les réformes et accompagnements requis pour les attribuer aux femmes, d’une part justice serait rendue à leur travail et, d’autre part, l’accaparement étranger opportuniste et nocif serait marginal. Une orientation stratégique allant au-delà de la seule question de l’égalité est essentielle pour la souveraineté et le développement durable du continent.
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