Olivier Serva : « Aplatir ses cheveux, c’est s’aplatir soi-même »

Le 12 septembre, le député français Olivier Serva (Liot) a déposé une proposition de loi contre la « discrimination capillaire » qui touche en priorité les personnes racisées.

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Publié le 21 octobre 2023 Lecture : 4 minutes.

L’ACTU VUE PAR… – L’affaire remonte à 2012. Un steward d’Air France, mis à pied pour avoir porté des tresses africaines nouées en chignon, saisit les prud’hommes. Sa coiffure n’est « pas autorisée par le manuel pour le personnel masculin », selon la compagnie qui autorise uniquement des coiffures « au plus long à l’encolure » pour les hommes.

Dix ans plus tard, la Cour de cassation a finalement statué que la compagnie avait commis « une différence de traitement discriminatoire » et devait réintégrer son steward. Une discrimination basée sur le genre, pas sur l’apparence physique, dans laquelle le député de Guadeloupe Olivier Serva voit la preuve de l’existence d’une faille dans l’arsenal juridique français.

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L’article 225-1 du Code pénal prévoit pourtant déjà la lutte contre « toute distinction opérée entre les personnes sur le fondement de leur apparence physique ». Insuffisant, selon le parlementaire Liot (groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires) à l’origine d’une proposition de loi qu’il espère voir passer dans quelques mois.

Jeune Afrique : Le 12 septembre, vous déposiez une proposition de loi transpartisane – hors Rassemblement national – visant à « reconnaître et sanctionner la discrimination capillaire ». Qu’entendez-vous par là ?

Olivier Serva : Il s’agit de combattre le fait qu’une personne pourrait ne pas avoir les mêmes droits qu’une autre en raison de la couleur, la texture, la longueur de ses cheveux. C’est une question de santé publique : les femmes noires qui utilisent des produits pour se lisser les cheveux ont trois fois plus de chance d’avoir un cancer de l’utérus ou des fibromes. C’est aussi un problème de représentation au travail : deux femmes noires sur trois disent qu’elles doivent se lisser les cheveux pour aller à un entretien d’embauche. Six personnes sur dix dans le monde n’ont pas les cheveux lisses, et ça ne va pas aller en diminuant. On ne peut pas s’en désintéresser.

J’ajoute qu’une femme blonde sur trois – même chose pour les rousses – disent qu’elles doivent changer de couleur de cheveux quand elles veulent progresser dans l’entreprise pour « apparaître plus intelligente ». Et que les hommes chauves ont 30 % de chances en moins de progresser dans l’entreprise que les chevelus.

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Votre proposition est née d’une décision de la Cour de cassation concernant un steward d’Air France mis à pied parce qu’il portait des tresses. Il a finalement eu gain de cause, mais en raison d’une discrimination liée au genre. Cette décision vous semble-t-elle adaptée ?

La Cour aurait pu utiliser la loi existante, mais elle a choisi la facilité en invoquant la discrimination en fonction du genre. Elle manquait d’outils juridiques pour aller vers la discrimination capillaire. Si ce dispositif avait existé, la Cour aurait pu traiter la situation plus facilement. Le steward avait par ailleurs perdu en première instance et a dû attendre 10 ans avant d’être réintégré dans son entreprise.

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Le « Crown Act » [acronyme de Create a respectful and open world for natural hair] existe aux États-Unis depuis 2019. Peut-on considérer que la France ne s’intéresse pas à ces questions et, par conséquent, n’est pas à jour en matière de la lutte contre les discriminations ?

Pas suffisamment. Toutefois, ce n’est pas parce qu’on n’a pas de thermomètre qu’on n’a pas de température. Même si les études ethniques sont interdites en France, les centaines de témoignages que j’ai reçus témoignent d’une vraie difficulté. Il faut donner au juge l’arsenal juridique complet pour protéger les hommes et les femmes, et leurs originalités.

Certains de vos contempteurs ont qualifié votre proposition de « farfelue ». Que leur répondez-vous ?

Parler de discrimination capillaire peut prêter à sourire mais quand on s’y intéresse vraiment, on voit que c’est un problème global et universel. En mars 2023, pour la première fois, le syndicat des coiffeurs a inscrit un module pour former ses apprentis à la coiffure des cheveux non lisses. Cela veut dire que les choses changent et que l’on se rend compte qu’il y a une nécessité de faire évoluer les pratiques.

Estimez-vous que les personnes racisées sont les premières victimes de ce type de discrimination ?

Oui mais pas seulement. La proposition de loi que je porte se veut universelle. Je suis là pour dire qu’une majorité de personnes n’ont pas les cheveux lisses et que toute discrimination, y compris capillaire, est malvenue.

La question qui se pose n’est-elle pas celle de ce qui constitue la « normalité », et qui correspond encore en France à un certain phénotype, à une certaine manière de se coiffer ?

Nous refusons ça énergiquement. Comme le dit le sociologue [Jean-François] Amadieu, aplatir ses cheveux, c’est comme aplatir sa personnalité et s’aplatir soi-même. Nous refusons que les personnes s’aplatissent, qu’un phénotype quelconque soit synonyme de compétence ou de propreté. Nous voulons que les hommes et les femmes soient considérés en fonction de leur compétences, non pas de leur apparence, y compris capillaire.

Vous dites avoir reçu beaucoup de témoignages. Que vous a-t-on raconté ?

Pas plus tard qu’hier, j’ai rencontré une jeune femme qui a créé une marque de cosmétiques. Elle me confiait qu’il était naturel pour elle, lorsqu’elle a postulé pour entrer dans une école de commerce, de porter une perruque à cheveux lisses pour avoir autant de chances que les autres. Elle se disait : « Quand j’aurai réussi à l’école et que je serai embauchée, je porterai mon afro » – ce qu’elle fait aujourd’hui avec fierté. Ce que je veux, c’est que la même étudiante en école de commerce puisse être recrutée avec son afro, sur la seule base de ses compétences.

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