Amadou Sanogo : « L’art doit interpeller le génie créatif de chacun »

« Raconter l’invisible », tel est le défi que s’est lancé le peintre malien dont l’œuvre, marquée par la quête identitaire et la résilience du peuple malien face à la guerre, s’adresse à tous.

L’artiste peintre dans son atelier, situé dans le quartier de Bamako-Sogonafing, le 29 octobre 2023. © Nicolas Réméné pour JA

L’artiste peintre dans son atelier, situé dans le quartier de Bamako-Sogonafing, le 29 octobre 2023. © Nicolas Réméné pour JA

Publié le 23 décembre 2023 Lecture : 5 minutes.

Des ombres monochromes projetées sur des aplats de couleurs vives ou pastel. Des silhouettes assises, insérées dans des quadrilatères piqués de motifs, ocelles inquisiteurs scrutant l’observateur intrigué. Si Amadou Sanogo était cinéaste, il filmerait ses saynètes africaines en ombres chinoises sur une toile de bogolan, cette étoffe teinte qui tient sa réputation de Ségou, ville qui a vu naître cet artiste peintre malien de 46 ans.

Au lieu de la caméra, Sanogo a choisi les pinceaux pour « raconter l’invisible », « Yebali Lakali » en bambara, nom de sa dernière exposition qui s’est tenue à la galerie Magnin-A, à Paris. « Mes yeux sont mes appareils photo. Il suffit que je maintienne mon regard », assure-t-il, les mains posées sur les genoux, l’œil fixe défiant son interlocuteur. Peut-être une façon de conjurer l’héritage du célèbre photographe malien Malick Sidibé dont les œuvres font, elles aussi, partie de la galerie d’André Magnin, marchand français d’art africain.

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Peurs bleues

Si Malick Sidibé saisissait également ses contemporains dans des mises en scène de la vie quotidienne, sur des toiles de fond striées ou en damier, la comparaison s’arrête là. Au noir et blanc, Amadou Sanogo préfère la couleur travaillée dans une symbolique traditionnelle. « En Occident, on assimile le bleu à la couleur du ciel, de l’océan. Alors que chez les Bambaras le bleu représente la peur. C’est une couleur que j’utilise beaucoup dans mes peintures. Le rouge c’est la vie, la force. Le noir, la nuit, l’incertitude. Le vert est une couleur universelle qui représente la nature, l’avenir et beaucoup d’autres choses. Le jaune, c’est la richesse qui nous invite à l’optimisme, ou à la jalousie… »

Ce qui importe, c’est de transmettre une vérité, le reste n’est que conventions. Je ne cherche pas à ce que mes œuvres soient belles. La beauté fane rapidement, ça ne m’intéresse pas.

Amadou SanogoPeintre

Aux visages souriants, voire poseurs des sujets du maître photographe, il préfère les formes humaines méconnaissables. Pas de visage, les silhouettes sont à l’image du message : universel. Quant aux émotions, les couleurs s’en chargent déjà. « Ma curiosité m’amène à entrer en conflit avec la toile. Certaines œuvres me résistent. C’est un combat entre l’artiste et l’espace. » Ses choix artistiques sont parfois guidés par des facteurs exogènes. Depuis le début du conflit au Mali, en 2012, son art s’est « transformé », appuie Amadou Sanogo. Depuis, il s’affaire à reproduire des sans-visage. « Au Mali, on a beaucoup de professeurs et d’intellectuels, mais le pays est en train de sombrer. Ma réflexion picturale m’a amené à enlever les têtes pour mettre les corps en évidence. »

Dans un Mali fragilisé par la violence, où le tissu communautaire se déchire, le peintre se fait tisserand d’un nouveau contrat social. « L’art doit interpeller le génie créatif de chacun pour proposer quelque chose de concret, affirme-t-il. Après la guerre, comment faire pour que ça ne se reproduise plus ? Comment va-t-on vivre ensemble ? Je ne propose pas de solutions, mais je pose des questions. Nous sommes tous métissés. Nous partageons la même écharpe. Entre ethnies, c’est le Mali qui nous rapproche. »

Quête identitaire

De cette réflexion est née Pouvons-nous rester amis ? (2021). Sur un fond jaune optimiste, deux hommes rouges liés par une écharpe noire se regardent. Deux choix s’offrent à eux, par l’entremise d’autres toiles : enfiler des bottes crantées (symbole de résilience dans son œuvre) à l’instar d’On peut s’en sortir (2021), ou terminer en semi-cadavres tétanisés sous la couverture constellée d’une peur bleue dans le tableau Ensemble en guerre (2023).

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« Le plus difficile, c’est de trouver une harmonie dans la toile pour que le public comprenne ce que j’essaie de dire. Ce qui importe, c’est de transmettre une vérité, le reste n’est que conventions, assène-t-il. Je ne cherche pas à ce que mes œuvres soient belles, ce n’est pas mon intention. La beauté fane rapidement, ça ne m’intéresse pas. » Loin de ne figurer qu’un symbolisme politique, l’œuvre de Sanogo s’attache avant tout à raconter sa vie personnelle et son environnement. « Je m’intéresse beaucoup à la notion de quête identitaire. »

« La Peur » (2023) et « On peut s’en sortir, deux acryliques sur toile. © Montage JA; Studio Louis Delbaere, Courtesy Galerie MAGNIN-A, Paris

« La Peur » (2023) et « On peut s’en sortir, deux acryliques sur toile. © Montage JA; Studio Louis Delbaere, Courtesy Galerie MAGNIN-A, Paris

Lui qui est né dans une famille d’origine sénoufo, appartenant à la caste des nobles, a longtemps cherché sa voie. « Ma famille m’a tout d’abord interdit de faire des études artistiques. Au Mali, on estime que l’art est réservé à la caste des griots. » Malgré les encouragements de ses professeurs et des concours de dessin remportés, il doit se résigner à des études de comptabilité. Pour gagner de l’argent, il travaille dans un atelier de bogolan où il est initié aux techniques picturales ancestrales et développe les motifs qu’on retrouvera dans son œuvre : des points et des lignes. « La vie est un trait qui relie nos interrogations, explique-t-il. Ainsi, dans la philosophie bambara, il est demandé à tout homme de tracer son trait. »

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« S’affranchir des conventions »

« Un jour, un ami m’a dit que j’étais en train de gâcher mon talent et que je devais entrer aux beaux-arts. » Admis dès la première tentative à l’école nationale des arts de Bamako en 1997, il peut enfin se dédier à sa passion. « J’ai découvert les grands maîtres, mais je suis devenu assoiffé de peintures rupestres. Ils peignaient à la main, traçaient leur vie, faite d’instants et de rêves. Je voulais peindre comme ça. »

S’ensuit une carrière en flèche. Découvert par des mécènes africains, soutenu par des parrains français. « De passage à Bamako, Alain Juppé a flashé sur mon œuvre. » L’ex-Premier ministre, alors maire de Bordeaux, invite l’artiste dans sa ville en 2010 pour une résidence. « J’aurais pu rester, y poursuivre mes études, mais le Mali faisait face à un énorme défi, et on avait besoin de moi. » Il décide alors de se mettre aux services de jeunes artistes maliens et crée, en 2014, le collectif Badialan. « Un espace de créativité et de repos », loin des conventions et des complications familiales. Lui, qui a réussi à vivre de son art, aide les nouvelles générations de peintres, de dramaturges et de sculpteurs à gagner leur indépendance, avant de passer dans le circuit national et international.

Il vogue ainsi d’expositions en foires : 1-54 (Londres, Marrakech et New York), Art Paris. Sans oublier d’exposer sur le continent, de la biennale de Dakar au Segou’Art Festival. Sa cote grimpe. Ses tableaux se vendent aujourd’hui autour de 20 000 euros. Si le succès lui a permis de s’« affranchir des conventions », il reste profondément attaché à ses origines et à la nécessité de redistribution. Son prochain projet ? Un centre culturel de 800 m² qui offrira aux jeunes Maliens un espace d’exposition, des salles de classe et des logements. Hommage à sa mère, il le nommera Makoro, comme la génitrice du roi bambara de Ségou : Monzon Diarra (ou Makoro-Monzon). Si la vie est un trait, elle semble pour lui se boucler en un cercle.

À Bamako-Sogonafing, le 29 octobre 2023. © Nicolas Réméné pour JA

À Bamako-Sogonafing, le 29 octobre 2023. © Nicolas Réméné pour JA

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