Guerre Israël-Hamas : le Qatar au centre des négociations
Parce qu’il est le seul acteur à avoir des relations avec tous les protagonistes du conflit en cours, Hamas et Iran compris, le Qatar est aujourd’hui le mieux placé pour jouer les médiateurs. D’abord pour faire libérer les otages israéliens, ensuite pour éviter un embrasement général.
Face à face, Hamas et Israël. Tous deux animés par une telle volonté d’en découdre que les affrontements seront sans pitié. Une situation qu’aucun dialogue direct ne semble pouvoir apaiser, au contraire. Les États-Unis ont mandaté au Moyen-Orient leur secrétaire d’État, Antony Blinken, pour mobiliser leurs appuis dans la région, tandis que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a proposé « un sommet international sur l’avenir de la cause palestinienne », sans pour autant permettre l’ouverture du passage de Rafah qui permettrait à des civils de la bande de Gaza de trouver refuge dans son pays. De son côté, Téhéran s’est invité indirectement dans les échanges en menaçant l’État hébreu d’intervenir s’il persistait dans sa politique d’agression.
Quid, dès lors, d’un autre pays réputé proche de Téhéran, et qui, avec l’accord des Israéliens, finance la survie des Gazaouis sous blocus depuis 2007 et verse des subsides au Hamas : le Qatar ? Ouvertement hostile à Israël, qu’il tient pour « unique responsable de l’escalade actuelle », l’émirat abrite aussi sur son petit territoire la plus grande base américaine de la région. Autant de liens qui confèrent à Doha un rôle pivot dans les discussions qu’engagent les différentes puissances, sur fond d’offensive israélienne imminente sur Gaza.
Mais que peut raisonnablement espérer obtenir le médiateur qatari ? Difficile d’envisager un cessez-le-feu dans les conditions de tensions paroxystiques actuelles. Au contraire, un conflit semble l’exutoire souhaité tant par le Hamas que par Israël, encore sous le choc du raid meurtrier et de la prise d’otages que le mouvement islamiste palestinien a conduits sur son territoire le 7 octobre. L’attaque massive contre la bande de Gaza est, pour le gouvernement israélien, la riposte à une razzia qu’il n’a pas vu venir, et surtout l’occasion d’en finir une bonne fois pour toutes avec le Hamas.
Des relations avec tous les camps
Face à une guerre inéluctable, il faudrait un miracle diplomatique. Et sur l’échiquier des nations, le petit Qatar est tout désigné pour cette mission. Il est le seul intermédiaire, estime le politologue et spécialiste du monde arabe Gilles Kepel, qui ait accès à tout le monde. En effet, Doha est en relation avec Israël, car ses versements mensuels à Gaza transitent par l’aéroport Ben-Gourion de Tel-Aviv. Le prix à payer par Israël pour éviter une implosion de Gaza, l’une des régions les plus densément peuplées au monde.
Le Qatar ne néglige pas non plus ses relations avec le Hamas, dont il accueille régulièrement certains dirigeants. Tous ceux qui souhaitent rencontrer Ismaïl Haniyeh, le chef de l’organisation considérée comme terroriste par les pays occidentaux, savent qu’il faut pour cela organiser un rendez-vous dans l’un des palaces de Doha.
Ces relations avec le Hamas sont consolidées par celles qui unissent Doha et Téhéran : l’émirat n’a pas oublié que lorsqu’il était frappé par un blocus des pays arabes, en 2017, son ravitaillement passait par Téhéran.
Cette proximité avec l’Iran chiite est d’ailleurs l’une des nombreuses ambiguïtés du Qatar, qui soutient les Frères musulmans sunnites, qu’il a contribué à faire prospérer à l’occasion des Printemps arabes. C’est d’ailleurs à Doha que le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, a rencontré Ismaïl Haniyeh, le 13 octobre dernier, juste après un passage à Beyrouth, où il s’est entretenu avec les responsables du Hezbollah, que Téhéran parraine.
Rappelons aussi qu’entre le Qatar et l’Iran, la relation n’est pas uniquement idéologique : les deux pays se partagent en effet le plus grand champ gazier du monde, baptisé « North Field ». Ce gisement leur confère, conjointement, une influence extrême, surtout au moment où le conflit russo-ukrainien a rebattu les cartes du contrôle du prix des hydrocarbures et de la fourniture de gaz. Il explique aussi la grande prudence des États-Unis et les propos très mesurés du secrétaire d’État Antony Blinken, qui a souligné, lors de son passage au Qatar, que « Doha œuvrait à un cessez-le-feu ».
Le préalable des otages
Face à une crise qui n’est pas seulement israélo-palestinienne et qui concerne une région bien plus vaste, le Qatar pourrait donc être le sherpa d’une longue cordée de pays qui souhaitent éviter à tout prix un embrasement généralisé.
L’Égypte, première nation arabe à avoir normalisé ses relations avec Israël, est elle aussi mieux placée que beaucoup d’autres pour intervenir. Mais elle ne souhaite pas ouvrir un passage aux Gazaouis par crainte d’introduire des Frères musulmans sur son territoire. Quant à l’Arabie saoudite, qui avait elle aussi entamé un processus de normalisation dans le cadre des accords d’Abraham, elle a pour l’heure décidé de geler les discussions, ce qui peut être considéré comme un signe d’émancipation vis-à-vis de son allié américain.
Pour l’heure, l’objet principal des négociations devrait être la question des otages détenus par le Hamas. Si le Qatar obtient leur libération, il aura marqué un point essentiel et pourra, dès lors, entamer des négociations visant à empêcher l’offensive israélienne sur Gaza. Si par contre cette offensive était lancée, le conflit, mais aussi les tentatives de négociations, changeront de dimension et de périmètre. Face aux images de destruction et aux milliers de morts que risquerait de provoquer une attaque massive, qui sait comment les opinions publiques – en Occident notamment – pourraient réagir ?
Tout l’objet des négociations, qui ont sans doute déjà commencé, est donc d’empêcher un embrasement. Ce qui passe et passera toujours, qu’on le veuille ou non, par l’élaboration d’un projet viable pour la Palestine.
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