New York, 1712 et 1741 : la psychose du « grand complot noir »
Non, les esclaves n’étaient pas des victimes passives !
À l’occasion de l’exposition de Raphaël Barontini au Panthéon, Jeune Afrique vous propose une série historique sur les plus importantes révoltes d’esclaves à travers le monde depuis le IXe siècle.
LES GRANDES RÉVOLTES D’ESCLAVES (3/8) – En pleine nuit d’avril 1712, un groupe d’hommes noirs met le feu à la demeure d’un certain Peter Van Tilburg, propriétaire d’esclaves, mais aussi de vergers et d’une boulangerie à Maiden Lane, situé au cœur de New York. Très vite, le feu se propage, et plusieurs colons blancs viennent prêter main forte à Van Tilburg. C’est alors que les « pyromanes », munis d’épées, de fusils, de couteaux et de machettes, s’attaquent à ces Blancs, en tuent 9 et en blessent 6. Le gouverneur, Robert Hunter, mobilise alors la milice et la garnison pour se lancer aux trousses d’au moins 27 esclaves noirs en fuite, parmi lesquels 6 décident de mettre fin à leur jour avant d’être pris. Au total, 70 esclaves noirs – parfois totalement innocents – sont arrêtés, 45 jugés par 5 magistrats, 25 condamnés à la peine capitale.
Supplices atroces
Parmi ces derniers, cinq vont connaître des supplices atroces, dont Robin, suspendu vivant à des chaînes et privé de nourriture, Quaco, brûlé vif, et Sam, pendu. Est également condamnée une femme enceinte, qui sera autorisée par les autorités coloniales à mettre au monde son bébé, avant d’être pendue haut et court. « Peu après, l’Assemblée de New York approuva plusieurs lois qui rendaient la manumission pratiquement impossible, interdisaient les rassemblements de plus de trois esclaves, permettaient aux maîtres de châtier leurs esclaves à leur guise tant qu’ils ne les tuaient pas ou ne les amputaient pas, imposaient la mort lente par supplice aux esclaves condamnés pour meurtre, viol, incendie ou agression et excluaient la petite minorité de Noirs libres de la propriété foncière« , détaille l’historienne Aline Helg dans l’ouvrage Plus jamais esclave ! De l’insoumission à la révolte, le grand récit d’une émancipation (1492-1838) (La Découverte, 2016).
Car cette tentative avortée de révolte menée par des esclaves noirs pour dénoncer principalement leurs terribles conditions de travail vient réveiller une vieille antienne chez les Blancs : la peur d’être massacré par les esclaves, et remplacé par les Noirs. À l’époque, New York compte 5 800 habitants, dont un cinquième sont des esclaves.
À l’origine de la peur du grand complot
Aux États-Unis, l’asservissement des Noirs n’était pas uniquement l’apanage des Sudistes. En réalité, et ce pendant des siècles, New York a dominé le commerce transatlantique d’esclaves arrachés d’Afrique et des Caraïbes. Par le biais de la Compagnie hollandaise des Indes occidentales, d’abord, qui dès 1624 emploie des esclaves noirs pour accomplir toutes sortes de travaux pénibles – dont la construction du mur de Wall Street – et de tâches domestiques. Les Noirs sont également utilisés à des fins politiques, puisque Pieter Stuyvesant, gouverneur de la « La Nouvelle-Amsterdam » à partir de 1647, leur distribue des terres agricoles, afin de déposséder les Amérindiens et de les repousser aux confins de New York.
Lorsque les Britanniques prennent New York en 1664, la ville passe d’une « société d’esclaves » à une « société esclavagiste », selon l’historien Ira Berlin. « Le duc d’York, nouvellement propriétaire de la colonie, était financièrement impliqué dans la Royal African Company et donc bien décidé à développer cette institution. De 375 individus, libres et esclaves compris, en 1664, la population noire doubla, pour atteindre le nombre de 800 personnes en 1703, soit 17 % de la population de la ville« , souligne Anne-Claire Faucquez, spécialiste de l’esclavage dans l’Amérique coloniale. À mesure que le nombre d’esclaves noirs croît à New-York, le spectre d’une révolte de leur part se fait de plus en plus menaçant dans l’esprit des colons. Ces derniers votent alors une succession de lois esclavagistes et imposent des mesures privatives de libertés – dont le premier Code noir, en 1702 – afin d’endiguer toute possibilité de conspiration ou de sédition.
Marché aux esclaves
Pour autant, malgré l’extrême dureté des lois, celles-ci ne sont pas toujours appliquées. Surtout, par la nature de leurs travaux très divers, les esclaves bénéficient d’une certaine mobilité, le tout dans un milieu dense et urbain propice aux rencontres, à proximité des hommes libres et des Blancs. New York apparaît même comme la ville esclavagiste la plus « gaie« , où les esclaves – de la ville et d’ailleurs – ont la possibilité de se divertir, de se retrouver dans les tavernes et même de créer une petite économie souterraine. Cela n’empêche pas cependant les colons de se doter de leur tout premier marché aux esclaves, à l’intersection de Wall Street, en 1711. L’espérance de vie d’une personne noire ne dépasse pas les trente ans. C’est dans ce contexte qu’éclate la fameuse révolte du 6 avril 1712, probablement fomentée dans une taverne, pour dénoncer, principalement, l’exploitation dont les esclaves faisaient l’objet.
Psychose et paranoïa
Pour les New-Yorkais blancs, cette nuit de 1712 marque l’apparition de théories complotistes impliquant les Noirs. En fait, « l’arrivée constante de nouveaux captifs noirs exacerbait leur peur que le système inhumain de l’esclavage ne se retournât contre eux« , écrit Aline Helg. « Ainsi, poursuit l’auteure, entre 1730 et 1741, une vague de conspirations sembla traverser les Amériques, de la Nouvelle-France aux Antilles et au Mexique, et conduisit des centaines d’esclaves au gibet, au bûcher ou au poteau de flagellation« , alors que ces esclaves ne faisaient bien souvent que protester verbalement. Le climat est anxiogène, proche de la psychose chez les colons anglo-saxons, et accompagné d’une répression hors norme.
La guerre qui éclate entre la Grande-Bretagne et l’Espagne (de 1739 à 1748) n’arrange rien : en sus du « complot noir », les colons britanniques craignent désormais l’invasion d’ennemis extérieurs (et catholiques), notamment dans les villes portuaires. Voilà pourquoi, au printemps 1741, lorsque treize incendies se succèdent à New York – touchant un fort militaire, des étables, des entrepôts et la maison du gouverneur –, les colons évoquent le « grand complot des Noirs » ou le « grand complot de la Saint-Patrick ».
Les Noirs, le pape et la Saint-Patrick
Cette sombre affaire débute le 28 février 1741 par un vol banal chez un marchand. Très vite, les présumés coupables sont arrêtés, il s’agit de deux esclaves noirs : César et Prince Gwin. Leur arrestation conduit la justice à s’intéresser de près à un certain John Hughson, propriétaire blanc d’une taverne à New York. Au cours d’une descente de police au sein de l’établissement, une jeune employée de 16 ans, Mary Burton, accuse son patron, Hughson, l’épouse et la fille de celui-ci, ainsi qu’une hôte irlandaise (et catholique), de se livrer à du recel et à d’autres activités illicites avec des esclaves noirs. Plus de deux semaines après ces « aveux », le 18 mars (lendemain de la Saint-Patrick), les premiers incendies éclatent.
Deux esclaves noirs sont finalement arrêtés. A priori, ces deux histoires n’ont aucun lien. Mais les magistrats et les élites blanches de la ville, qui agitent le douloureux souvenir de 1712, en font un. Sur le seul fondement des déclarations de Mary Burton – probablement soudoyée pour mentir –, « les juges accusèrent Hughson et ses proches d’être de mèche avec les esclaves supposés incendiaires, en vue d’une formidable conspiration visant non pas à détruire la ville et à massacrer tous ses Blancs pour établir un royaume noir, comme lors des complots précédents, mais à attaquer et à tuer seulement les Blancs des classes supérieures pour construire une nouvelle société, dont Hughson serait le roi, et les esclaves César et Prince chefs de sa garde noire« . Du pur délire ? Oui.
Brûlés vifs
Et pourtant, dès le 11 mai, César et Prince sont pendus, sans avoir avoué. On laisse même le corps du premier se décomposer aux yeux de tous. Les deux esclaves noirs accusés d’avoir causé les incendies sont brûlés vif. Hughson et sa femme sont pendus. Pendant ce temps, Mary Burton continue de dénoncer arbitrairement des supposés comploteurs, dont cinq marins noirs et un instituteur blanc soupçonné d’être un prêtre catholique dissimulé. Le délire des élites monte encore d’un cran : elles dénoncent un complot international fomenté par l’Espagne et la papauté. Au total, 200 personnes sont arrêtées, et 30 esclaves sont exécutés. Les procès prennent fin, brutalement, lorsque Mary Burton se met à accuser des membres de l’élite blanche !
Pour beaucoup, ce triste épisode de l’histoire – bien qu’ayant laissé peu de traces – est comparable aux procès en sorcellerie de Salem, tenus en 1692-1693. La publication du journal du procès par un magistrat en 1944, visant à faire taire les critiques, ne convaincra personne.
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Non, les esclaves n’étaient pas des victimes passives !
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