Guerre Israël-Hamas : à Gaza, « vivre en sachant que la mort est inéluctable »

Dans la bande de Gaza, mais aussi en Cisjordanie, les Palestiniens subissent les conséquences du conflit et réclament de ne pas être assimilés au Hamas et à ses actions que nombre d’entre eux ne cautionnent pas. Ils déplorent surtout l’indifférence de la communauté internationale qui, disent-ils, les a une nouvelle fois abandonnés.

Les abords du site de l’hôpital d’Al-Ahli Arab, dans le centre de Gaza, le 18 octobre 2023, après le bombardement survenu la veille au soir. © AFP

Les abords du site de l’hôpital d’Al-Ahli Arab, dans le centre de Gaza, le 18 octobre 2023, après le bombardement survenu la veille au soir. © AFP

Publié le 18 octobre 2023 Lecture : 5 minutes.

« La bande de Gaza est sous observation de la scène internationale, comme un volcan prêt à exploser. » La formule est d’Adam Al-Madhoun, un jeune habitant du territoire palestinien qui travaille comme responsable marketing et que Jeune Afrique avait contacté moins d’une heure avant le bombardement de l’hôpital d’Al-Ahli Arab dans la soirée du 17 octobre. Adam, qui s’exprimait sur fond de grésillements et de coupures incessantes dues aux problèmes de connexion, ne pensait sans doute pas que la réalité rattraperait aussi vite son analyse. Quelques dizaines de minutes plus tard, un projectile que ni Israël ni les organisations islamistes palestiniennes ne disent avoir lancé frappait l’hôpital d’Al-Ahli, tuant au moins 500 personnes. Depuis Adam n’est plus joignable.

La situation difficile décrite par le jeune homme est celle de tous les Gazaouis depuis qu’Israël, qui prépare son offensive sur la bande de Gaza en riposte au raid meurtrier lancé par le Hamas contre des civils israéliens le 7 octobre, a donné l’ordre aux civils d’évacuer la ville de Gaza et en a coupé l’approvisionnement en eau et en électricité. La précarité règne dans tous les domaines, les blessés peinent à se faire soigner et certains enfants en sont réduits à boire de l’eau croupie, racontent les habitants. Même le blocus de la bande de Gaza, imposé par Israël depuis 2017, n’avait, disent-ils, pas atteint de telles extrémités.

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Joint lui aussi par téléphone, Haidar Eid, professeur de littérature post-coloniale et post-moderne à l’université d’Al-Aqsa, à Gaza, raconte avoir réchappé, avec sa famille à une frappe nocturne, qui a pulvérisé son domicile. Quant à Mohamed Rafik, un journaliste indépendant dont les proches ont réussi à passer dans la zone sud de Gaza, il s’estime bien mieux loti que beaucoup de ses voisins : « Plus de 3 000 Palestiniens sont morts à Gaza en dix jours, égrène-t-il. Nulle part nous ne serons protégés d’Israël. Malgré ce qui avait été annoncé, la zone sud de la bande de Gaza a aussi été pilonnée. »

Sentiment d’abandon total

Désabusé, le journaliste estime que la Palestine n’a plus d’amis en Occident. « Hier soir la rue arabe s’est prononcée, quitte à être parfois contre ses gouvernants, observe-t-il. Mais la France et la Grande-Bretagne, qui sont historiquement responsables du découpage de la Palestine, ont tombé les masques et montré leur conception des droits humains ainsi que l’expression démocratique dans leurs médias. » Mohamed, pourtant très critique sur le Qatar, ajoute d’ailleurs que depuis la début de la crise il préfère suivre l’actualité sur Al-Jazeera que sur la BBC.

Piégés sur un territoire entre 6 et 12 kilomètres de large sur 41 kilomètres de long qu’ils ne peuvent quitter, les civils subissent l’aveuglement et l’entêtement d’Israël, qui semble considérer tous les Palestiniens comme des terroristes qui doivent être éradiqués. « Imaginez ce que cela signifie de vivre en sachant que la mort est inéluctable » continue le jeune homme, qui se demande avec une sourde tristesse comment un peuple qui a été victime d’un holocauste peut se comporter ainsi. Et qui dit, un brin ironique, ne pas comprendre de quel mal est atteinte l’opinion internationale pour être si indifférente au sort des Palestiniens.

« Les enfants à Gaza écrivent leurs testaments et les images les plus insoutenables les unes que les autres défilent sur les écrans d’Al-Jazeera, tout comme celles des atrocités commises par le Hamas le 7 octobre ont été diffusées sur les chaînes occidentales », constate de son côté Ramal, une mère de famille qui se dit résignée. « C’est une seconde Nakba [catastrophe], poursuit-elle. Mais notre parcours est celui d’une résistance massive sans compromis, nous ne lâcherons pas notre terre et tant pis pour les sionistes et leurs amis. »

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Ramal en veut surtout à une opinion occidentale qu’elle juge trop complaisante avec le gouvernement de Benyamin Netanyahou. Elle se dit convaincue que tous les Israéliens ne font pas l’amalgame entre Hamas et Palestiniens, et que tous n’approuvent pas le génocide que s’apprête à commettre l’État hébreu.

« Politique d’apartheid »

Par contraste, la Cisjordanie semble ces jours-ci comme oubliée. Les Palestiniens qui y vivent affichent pourtant les mêmes préoccupations que leurs compatriotes de Gaza, tandis que les confiscations des terres s’y poursuivent. Fathi Nemer, politologue et chercheur auprès du groupe de réflexion Al-Shabaka, vit et travaille à Ramallah. Il dénonce d’acte criminel le déplacement, en quarante-huit heures, de plus d’un million de personnes vers le sud de Gaza ordonné par Israël, ainsi que le cynisme de l’État hébreu qui, en même temps, pilonne les deux routes qui mènent vers le Sud.

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Comptant les morts – dont une vingtaine de citoyens fauchés par une explosion en attendant une distribution de pain –, il dit ne plus chercher à dénombrer les amis de la Palestine au sein de la communauté internationale. « Les pays arabes auraient pu clairement faire plus, contrairement à une rue arabe qui a fait sienne la lutte palestinienne », se désole-t-il.

Responsable de programme pour l’ONG, Palestine Institute for Public Diplomacy, Rula Shaheed estime pour sa part que « ce qui est arrivé était prévisible et que l’on ne peut nier à un peuple sa volonté d’exister ». Comme Fathi Nemer ou Mohamed Rafik, elle considère aussi que « les soutiens, mais aussi les condamnations des bombardements sur Gaza ne sont pas suffisants. » Pourtant, veut-elle croire, « une mobilisation citoyenne, dans la rue et sur les réseaux sociaux, peut opérer des pressions sur les parlements, pour que les États cessent les relations avec Israël en raison de la politique d’apartheid dont il se rend coupable. »

Un point de vue que partage le militant des droits humains Ubai Aboudi, qui se dit déçu du faible soutien des pays arabes qui, pense-t-il, craignent un afflux de réfugiés palestiniens en Égypte et en Jordanie. « Israël nous traite comme des animaux et ment sans que cet apartheid n’émeuve la communauté internationale qui relaie majoritairement la propagande israélienne. Un génocide se prépare. Il n’y a pas d’autre mot quand les hôpitaux sont privés d’électricité et que l’eau est contaminée. C’est inhumain, indéfendable et inacceptable », conclut-il en soulignant que l’opération militaire lancée par Israël ne vise pas seulement le Hamas… mais tous les Palestiniens de Gaza.

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