Mbankolo, Anyama, PK8… Dans le piège des éboulements meurtriers

Derrière la multiplication des sinistres environnementaux qui endeuillent les capitales africaines se cache parfois le laisser-faire pragmatique des États face aux pratiques condamnables des marchés fonciers informels.

Dans le district de Mbankolo, au nord-ouest de Yaoundé, le 9 octobre 2023, à la suite d’un glissement de terrain provoqué par des pluies abondantes. © ETIENNE NSOM/AFP

Dans le district de Mbankolo, au nord-ouest de Yaoundé, le 9 octobre 2023, à la suite d’un glissement de terrain provoqué par des pluies abondantes. © ETIENNE NSOM/AFP

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  • Francis Akindès

    Sociologue, professeur à l’Université Alassane-Ouattara, à Bouaké (Côte d’Ivoire)

Publié le 22 octobre 2023 Lecture : 3 minutes.

En saison pluvieuse, sur le continent, les éboulements et les décès qui en découlent sont désormais d’une affligeante banalité. L’émotion qu’ils suscitent ne dure guère plus de 72 heures, et les médias ne leur consacrent que de maigres secondes d’antenne et des entrefilets. Et pour cause. Les victimes sont de pauvres anonymes. Leur mort est un non-évènement. De plus, avec la vitesse de circulation de l’information sur les réseaux sociaux, un fait divers chasse l’autre, laissant peu de place à une réflexion approfondie, même sur des malheurs récurrents et cycliques.

Ballets hypocrites

En voici quelques-uns. En Côte d’Ivoire, en juin 2020, dans le quartier Ran d’Anyama : treize morts sous une coulée de boue meurtrière. Deux ans plus tard, à Mossikro, un quartier précaire d’Attécoubé, à l’ouest d’Abidjan : six disparus, dont deux enfants, après une pluie diluvienne suivie d’un effondrement de terrain. En juin 2023, les mêmes causes produisant les mêmes effets, au pied d’une colline du sous-quartier Millionnaires, à Yopougon, une famille entière est ensevelie.

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Ces drames ne sont pas une exclusivité ivoirienne. La plupart des capitales africaines ont leurs propres récits d’éboulements : en octobre 2022, celui du quartier PK8, dans le sixième arrondissement de Libreville, et ses sept victimes ; le 27 novembre 2022, onze morts dans un quartier populaire de Yaoundé, au Cameroun. Et, un an plus tard, en octobre 2023, le drame de Mbankolo, dans la même ville ; bilan provisoire : 27 morts, et de nombreux disparus.

Où que l’on se trouve, le gouvernement « exprime sa compassion » et promet de « fournir une assistance aux familles endeuillées » et aux sinistrés. Les autorités enchaînent leurs rituels ballets hypocrites, comme pour se prémunir contre les accusations d’inaction et d’absence de protection civile. Des opérations de destruction de logements dans des zones inhabitées en apparence, mais densément peuplées, sont parfois menées.

Cornaqués et arnaqués

En colonisant ces zones, les occupants dits illégaux feignent de connaître les règles d’occupation des sols, lorsqu’il y en a. Ils sont le plus souvent cornaqués et arnaqués par des réseaux mafieux, organisateurs d’installations anarchiques et maîtres de marchés fonciers informels dont les tentacules vénaux s’étendent jusqu’au cœur de l’administration publique qui gère les territoires. Face aux risques et aux incertitudes, ces familles n’ont d’autre choix que de se confier à Dieu et de laisser faire la nature – laquelle, on le voit, reprend parfois ses droits et élimine tout sur son passage. Ou font l’objet de déplacements plus ou moins brutaux, sur décision gouvernementale, au nom de projets d’infrastructures urbaines d’intérêt public ou d’embellissement des villes.

Pourtant, ces drames devraient être l’occasion de s’interroger sur la réalité des droits humains – dont le droit à un logement sain et sécurisé est une dimension fondamentale –, ainsi que sur le devoir de protection civile anticipative qui incombe aux pouvoirs publics, sur leurs responsabilités et celles des victimes dans les drames qui se produisent. Comment comprendre la montée en puissance de ce phénomène d’occupation des zones inhabitables sans remettre en question le laisser-faire stratégique des États, lesquels peinent à cacher les intérêts et les multiples formes d’implication de leurs agents, régulateurs souterrains du désordre ? Revisiter la thèse iconoclaste de Patrick Chabal et Jean-Pascal Daloz selon laquelle le désordre serait un instrument politique, une autre façon de redistribuer la richesse en choisissant de garder le silence sur les méfaits des agents corrompus, est plus que jamais essentiel pour comprendre les enjeux et les profits dissimulés derrière cet apparent désordre, source de perte de vies humaines.

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