Procès du massacre du 28-Septembre : « C’était comme une battue dans un village »

Le 17 octobre, c’est un ancien journaliste de la BBC qui est venu raconter devant le tribunal de Dixinn comment il a survécu au déferlement de violence au stade de Conakry, il y a quatorze ans. Un témoignage accablant.

Au jour de l’ouverture du procès du massacre du 28-Septembre dans le nouveau tribunal de Conakry, le 28 septembre 2022. © CELLOU BINANI/AFP

Au jour de l’ouverture du procès du massacre du 28-Septembre dans le nouveau tribunal de Conakry, le 28 septembre 2022. © CELLOU BINANI/AFP

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Publié le 19 octobre 2023 Lecture : 4 minutes.

En désormais plus d’un an de procès, des journalistes ne sont pas souvent venus témoigner devant le tribunal de Dixinn de la violence qui a déferlé sur Conakry, le 28 septembre 2009. Alors les témoignages d’Amadou Diallo, ancien correspondant de la BBC, et Mouctar Bah, travaillant pour RFI, étaient très attendus. Appelés à la barre, ils ont raconté les gaz lacrymogènes, les coups, les tirs et les viols.

Des voix connues en Guinée

Prévue lundi 16 octobre, l’audition d’Amadou Diallo – voix connue en Guinée – a finalement été repoussée au lendemain à la demande des avocats de la défense. Il est 12 h 20, ce 28 septembre 2009. Le journaliste se trouve au stade pour couvrir un grand meeting de l’opposition – les adversaires du capitaine Moussa Dadis Camara ont appelé à se rassembler pour protester contre son maintien au pouvoir. Amadou est encore en train d’attendre l’appel de sa rédaction, à Londres, lorsque les premières détonations retentissent.

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« Du gaz lacrymogène puis, lorsque les militaires de la garde présidentielle ont fait irruption, des tirs à balles réelles, raconte-t-il. Les gens couraient dans tous les sens. Tout le monde se cherche. C’était comme une battue dans un village. »

Un soldat les reconnaît, lui et Mouctar Bah. « C’est vous qui parlez mal de la Guinée à l’étranger », leur lance-t-il en braquant son arme sur eux. « Lorsqu’un civil qui n’a que son micro et son stylo est face à un militaire armé, déchaîné et acharné, il ne peut pas résister, poursuit Amadou Diallo. Nous n’avons pas résisté. Le soldat nous a agenouillés et nous a ordonné de mettre les mains dans le dos. À cet instant précis, j’ai pensé qu’il voulait nous exécuter. » Les deux journalistes ne doivent leur salut qu’à l’intervention d’un gradé qui les a reconnus. « On suait à grosses gouttes, Mouctar et moi. »

« Les blessés criaient à l’aide »

Un policier les conduit à l’extérieur du stade. Ils enjambent « des personnes inertes, les yeux hagards tournés vers le soleil, des blessés qui criaient à l’aide qu’on ne pouvait assister ». « J’ai dit : “Mouctar, regarde !” Il m’a répondu : “Je ne regarde pas !” »

Dehors, les deux journalistes croisent un groupe de gendarmes qu’ils identifient comme des hommes du colonel Moussa Tiégboro Camara, alors chargé des services spéciaux, de la lutte anti-drogue et du grand banditisme. L’un d’eux saisit la main droite d’Amadou Diallo, « gentiment » lui semble-t-il, puis sort un poignard et le frappe violemment. « Ma main a enflé, j’ai eu du mal à m’en servir pendant quatre mois. » Amadou et Moctar sont cette fois secourus par un membre du protocole du chef de la junte.

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S’il témoigne, explique le journaliste aujourd’hui à la retraite, ce n’est « ni pour inculper ni disculper quelqu’un ». À la barre pourtant, il bat en brèche les déclarations faites par Moussa Tiégboro Camara, qui a nié sa responsabilité et celle de ses hommes dans le massacre commis ce jour-là, jurant avoir tenté de prévenir les manifestants et secouru les leaders politiques.

« Chargez ! »

Près du stade, « [j’ai vu] vu le colonel faire un geste de la tête », assure Amadou Diallo. « Dès qu’il s’est retiré, les policiers et les gendarmes déployés ont dispersé les premiers rassemblements à coups de gaz lacrymogènes. C’était violent : il y a eu des interpellations, des journalistes comme Mouctar Bah ont eu leur matériel brisé sur le goudron. » Comparaissant une semaine plus tôt, le correspondant de RFI avait livré un témoignage similaire : « Il y a eu une dispute, le ton est monté. Tiégboro a dit : “Chargez !” Le désordre a aussitôt commencé : coups de matraque, gaz lacrymogènes, coups de pied… C’est ainsi qu’on m’a arrêté, arraché mon matériel et mes téléphones. »

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Non loin de là, devant l’université Gamal-Abdel-Nasser de Conakry, s’engage une discussion, reprend Amadou Diallo. D’un côté, l’opposant Sidya Touré, qui plaide pour que soit levé le blocus sécuritaire qui barre la route aux manifestants. De l’autre, Moussa Tiégboro Camara qui s’y oppose, affirmant que le rassemblement est de toute façon interdit et précisant qu’il était à côté de Moussa Dadis Camara la veille, lorsque celui-ci l’a notifié par téléphone à Sydia Touré.

« [Les opposants] Cellou Dalein Diallo et Mouctar Diallo s’en sont mêlés. La discussion est devenue très houleuse, le colonel a perdu son sang-froid et a menacé : “Celui qui parle encore, je lui rentre dedans !” », rapporte Amadou Diallo.

Preuves audio

À la barre, Moussa Tiégboro Camara avait nié avoir tenu de tels propos. Alors ce 17 octobre, face au tribunal de Dixinn, le journaliste sort l’enregistreur et le micro qu’il utilisait le jour du massacre, et assure  détenir encore les audios en question. Le parquet a obtenu du tribunal la transmission des pièces.

Après le 28 septembre 2009, Amadou Diallo et Mouctar Bah ont continué à faire l’objet de menaces et de pressions. Des civils et des militaires proches du pouvoir les alertent et leur conseillent de fuir. Plusieurs jours durant, ils se cachent, puis décident de quitter la Guinée. Mouctar Bah rentrera au bout de quelques mois, après la chute de Dadis Camara. Pour Amadou Diallo en revanche, l’exil durera plus de dix ans.

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