De la Haganah à Tsahal… La guerre Hamas-Israël et les stigmates de l’Histoire

Depuis les attaques du Hamas, le 7 octobre, le Proche-Orient est une nouvelle fois au bord de l’embrasement. Retour sur les affrontements qui ont précédé la naissance d’Israël et de son armée, dont la supériorité ne règle finalement rien.

Des soldats israéliens au repos pendant la guerre de 1948. © IPPA/CAMERAPRESS/GAMMA

Des soldats israéliens au repos pendant la guerre de 1948. © IPPA/CAMERAPRESS/GAMMA

Publié le 22 octobre 2023 Lecture : 6 minutes.

Depuis le 7 octobre 2023 et les attaques terroristes du Hamas sur le sol israélien, le conflit entre l’État hébreu et le mouvement islamiste est passé de basse à haute intensité. Tsahal se masse à la frontière de Gaza pour une intervention terrestre imminente. Objectif : en découdre une fois pour toute. Ce n’est pas une guerre entre Israël et la Palestine, mais bien entre Tsahal et le Hamas, voire le Hezbollah.

Du côté du Hamas, dont la charte a subi un lifting en 2017, on dit et on répète que l’affrontement avec Israël est strictement politique. Pourtant, le modus operandi porte bien les stigmates d’une organisation religieuse dans laquelle le jihadisme a pignon sur rue. Pick-ups déboulant à vive allure dans les avenues, mitraillage indistinct de civils assistant à un festival musical… tout cela ressemble à s’y méprendre aux méthodes de Daech. Mais le Hamas n’est évidemment pas l’État islamique. Leurs références politico-religieuses sont à des années-lumière.

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Il faut le dire, la dernière attaque du Hamas semble brouiller les cartes, car s’y mêlent des motivations antisémite, antijudaïque et antisioniste. Elle rappelle aussi d’autres affrontements entre combattants juifs et arabes, en particulier ceux datant d’avant 1948. Le samedi 7 octobre, les hommes du Hamas ont pris d’assaut plusieurs kibboutzim. Ce faisant, ils ont remonté le temps d’Israël : nombres de ces villages collectivistes, d’inspiration socialiste, souvent laïcs, avaient déjà été attaqués et pillés par les Arabes avant même la naissance du pays.

À l’époque, explique le sociologue et politologue Olivier Carré, « le mouvement sioniste de colonies agricoles en Palestine (…) est perçu comme une menace juive européenne contre l’islam […]. Des thèmes antisémites européens se transmettent aisément dans l’opinion arabe […] à cause d’une forte propagande nazie en langue arabe. Cet antisémitisme est encore présent. »

Terre sainte, guerre sainte ?

Le mouvement d’implantation de communautés juives en Palestine, qui était la base du projet sioniste, a commencé à la fin du XIXe siècle. À cette époque, précisément entre 1870 et 1896, l’Anglais Sir Moses Montefiore, le Français Edmond de Rothschild et les Hovevei Zion (les « Amants de Sion ») de Russie établissent 17 colonies agricoles en Palestine ottomane.

Au début du XXe siècle, les porte-paroles de la communauté juive continuent à demander le droit de s’installer dans la région. Mais l’Empire ottoman, qui la contrôle, fait la sourde oreille. Tout change avec la première guerre mondiale et la défaite de la Sublime Porte, alliée aux Empires centraux, qui bouleverse la situation politique et sociale du Proche-Orient. Ce sont désormais les Anglais qui se voient confier par la toute nouvelle Société des Nations (SDN) le mandat sur la Palestine.

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Londres, sensible aux arguments des mouvements sionistes, décide, avec l’approbation des autres puissances européennes, d’accéder aux demandes des représentants juifs. Tout ceci est acté à la conférence de San Remo, en avril 1920. Dès juillet 1920, l’Israélite Herbert Samuel devient le premier Haut-commissaire britannique en Palestine. À charge pour lui d’appliquer les préconisations du premier « Livre blanc » (dit « de Churchill ») sur la Palestine qui régit et limite l’implantation juive. Deux autres de ces « livres » suivront, en 1930 et 1939.

Si ces programmes reconnaissent la nécessité d’un foyer juif en Palestine, les divers secrétaires britanniques aux colonies veillent au strict contrôle de l’immigration israélite. Le troisième « livre blanc », qui fait suite à une conférence anglo-judéo-arabe, fixe un quota d’arrivants juifs (75 000 migrants) et leur interdit l’achat de terres en différents endroits du pays, et notamment à Gaza ou à Beer-Shiva. Des dispositions loin de faire l’unanimité au sein des organisations sionistes.

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Livres blancs, noire destinée

« L’Agence juive, les membres de l’opposition aux Communes dénoncèrent alors la nouvelle politique britannique comme une trahison de l’esprit et de la lettre du mandat », explique l’historien André Chouraqui. David Ben Gourion, futur fondateur d’Israël, se fait le porte-parole de cette frange radicale. Les sionistes modérés de Chaim Weizmann, favorables au dialogue avec les Anglais et les Arabes, ont perdu la partie.

Lors de la seconde guerre mondiale, le mouvement sioniste se radicalise. Alors que les Juifs d’Europe sont menés dans les camps d’extermination par les nazis, ceux du Proche-Orient entrent dans la guérilla. C’est le rôle dévolu à la Haganah (« défense » ou « protection » en hébreu), groupe paramilitaire qui n’hésite pas à s’en prendre aux troupes britanniques et à l’administration mandataire. En 1943, on évalue ses forces à 60 000 combattants. D’autres milices radicales, telles l’Irgoun et le groupe Stern, entrent également en action. L’attentat, en juillet 1946 contre l’hôtel King David à Jérusalem, qui ravage les bureaux du secrétariat de la puissance mandataire ainsi que ceux de son état-major, décide Londres à abandonner au plus vite son mandat sur la Palestine.

Bientôt c’est la guerre de tous contre tous : Anglais, Juifs, Arabes s’affrontent. Le plan de partage de l’ONU, en novembre 1947, l’abandon de l’idée d’un État fédéré binational et le retrait progressif de la British Army mettent le feu aux poudres. En 1948, l’ONU est chargée de mettre en œuvre le plan de partition. Dans un ultime revirement, les États-Unis souhaitent annuler provisoirement ce plan. Veto de l’URSS. Un cafouillage brouillon dans les plus hautes instances internationales qui ajoute l’insulte à l’injure.

Tout va dès lors très vite entre les extrémistes arabes et juifs qui se font face. « Les volontaires de l’armée de Saladin sont ainsi assimilés à ceux de l’ « armée du Salut arabe » qui prit part aux combats de 1948, tandis que l’Irgoun et le groupe Stern sont identifiés aux Templiers », souligne l’historien Emmanuel Sivan. La thématique religieuse vient – une fois encore – se greffer à l’action nationaliste. Les premiers affrontements se déroulent en janvier 1948. « L’essentiel des forces arabes est concentré dans la région de Jérusalem. Elles sont commandées par le neveu du mufti Abdel-Kader al-Husseini […]. Une force auxiliaire de volontaires, dépendant de la Ligue des États arabes et dirigée par Fawzi al-Qawuqji, prend position dans le nord de la Palestine », racontent les historiens Vincent Cloarec et Henry Laurens.

Le plan Daleth : harceler et déloger les Arabes

Mal entraînées, mal coordonnées, moins équipées et moins nombreuses, les forces arabes sont balayées dès février 1948. Mais la Haganah et les autres groupuscules sionistes ménagent la chèvre et le chou, craignant encore une intervention massive des Britanniques. Les forces sionistes consolident d’abord leurs positions selon un schéma préétabli, le plan Daleth, qui vise à expulser les Arabes de leur habitat. La Haganah, épaulée par les milices extrémistes, dynamite à tour de bras les villages arabes entre Tel-Aviv et Jérusalem, faisant fuir 10 000 à 15 000 Arabes.

Un épisode sanglant torture la mémoire arabe : celui du massacre par l’Irgoun des 254 villageois de Deir Yassin, à l’ouest de Jérusalem, dans la nuit du 9 au 10 avril 1948. Cette tuerie est probablement la réponse au massacre de 50 Juifs au Mont Scopus, à proximité de Deir Yassin, quelques mois auparavant. Un autre épisode torture, lui, la mémoire juive : celui du massacre de 245 colons dans le kibboutz de Kfar Etzion, entre Jérusalem et Hébron, en mai 1948. Au mois de mai également, le 13, a lieu la prise de Haïfa. La ville se vide : de ses 80 000 habitants, n’en resteront que 5 000. Le ménage est fait par l’Irgoun. Les Anglais ne bougeront pas.

Le 14 mai 1948, Ben Gourion, proclame l’État d’Israël. Sans attendre, il travaille à unifier les groupes paramilitaires en une seule armée, sachant très bien que les nations arabes voisines ne vont pas rester sans réagir. Le 26 mai 1948, un peu plus de dix jours après la naissance de l’État hébreu, Tsahal voit le jour. « La Haganah préfigure Tsahal », souligne le géopolitologue Frédéric Encel. Mettant à profit deux trêves imposées par l’ONU en juillet 1948, Tsahal s’arme tous azimut. Les premières armes obtenues par Golda Meir sont essentiellement tchécoslovaques. En quelques mois, la nouvelle armée israélienne peut aligner jusqu’à 100 000 hommes bien formés, armés et motivés, face à 40 000 soldats arabes pauvrement équipés.

Depuis 1948, Tsahal a rempli à la perfection sa mission de défense d’Israël. Mais que peut cette puissance vertigineuse, qui compte parmi les 15 armées les plus puissantes de la planète, face à un ennemi certes sans tanks ni sans dôme de fer, mais qui a pour lui l’énergie féroce du désespoir et n’a plus rien à perdre ?

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