« Les Palestiniens sont très difficiles à tuer » : le satiriste Bassem Youssef enflamme les réseaux sociaux
Dans un long entretien avec le journaliste britannique Piers Morgan, le « John Stewart égyptien », qui vit désormais en Californie, mêle humour noir et défense de la Palestine. Son interview a déjà été visionnée par des millions de personnes.
« Je connais vos positions et je les respecte, Piers. Je sais que vous êtes dans le bon camp. » L’interview de Bassem Youssef dans le talk-show de Piers Morgan, diffusée le 18 octobre sur TalkTv – dernière-née de l’empire de Rupert Murdoch –, commençait sous les auspices les plus courtois. Elle a pourtant rapidement viré au match de boxe – les deux interlocuteurs, d’accord sur bien des points, ayant du mal à faire converger leur analyse du conflit qui oppose, depuis le 7 octobre, le Hamas et l’armée israélienne.
Satiriste chevronné, Bassem Youssef est chirurgien cardiaque de formation. Il était devenu célèbre en Égypte grâce à son émission « Al‑Bernameg » (« The Show »), diffusée après la chute du président Hosni Moubarak en 2011 et suivie, jusqu’à son interdiction en 2013, par plusieurs dizaines de millions de téléspectateurs. Habitué des joutes verbales, l’homme, qui a dû s’exiler aux États-Unis, a l’art de la punchline accrocheuse et joue volontiers de la provocation. Interrogé par Piers Morgan sur le conflit en cours, il commence par évoquer une interview récente, dans la même émission, du journaliste américain ultraconservateur Ben Shapiro.
« Ben Shapiro est quelqu’un de très intelligent, je me fie à tout ce qu’il dit, et chez vous il a dit que la solution c’était de tuer autant de Palestiniens que possible », attaque Bassem Youssef face à un intervieweur interloqué. « Donc O.K., poursuit-il, je me fie à lui. Mais ma question c’est : Combien de ces “fils de pute”, comme il dit, faudra-t-il encore tuer pour que Ben Shapiro soit content ? »
« Quel taux de change aujourd’hui pour les vies humaines ? »
Mal à l’aise, le journaliste assure que M. Shapiro n’a jamais employé de tels termes, mais son invité poursuit sans se laisser perturber. « Les Palestiniens sont très difficiles à tuer, vous savez ? Ils ne meurent jamais ! Je le sais, j’en ai épousé une et j’ai essayé plusieurs fois, mais ça n’a jamais marché. En plus elle utilise les enfants comme boucliers humains. »
Piers Morgan essaie de préciser les déclarations de Ben Shapiro, affirmant que celui-ci a effectivement estimé qu’il faudrait « tuer autant de terroristes que possible » avant de souligner que ceux-ci « utilisent leurs enfants comme boucliers humains ». Bassem Youssef exhibe alors à l’écran un diagramme qui représente, dit-il, le nombre de victimes palestiniennes et israéliennes du conflit sur plusieurs années. Sans surprise, le déséquilibre est immense, même si la source des chiffres n’est pas précisée. « Je le répète, continue-t-il, je suis d’accord, il faut les tuer. J’ai juste une question : C’est quoi la proportion ? Quel est le taux de change, aujourd’hui, pour les vies humaines ? »
« Mais alors, si vous étiez à la place d’Israël, comment réagiriez-vous aux attaques du 7 octobre ? », l’interrompt Piers Morgan, qui lui demande s’il est par ailleurs d’accord pour estimer que l’offensive du Hamas était d’une sauvagerie inédite. « Est-ce que je condamne le Hamas ? rugit l’humoriste. Oui, je condamne le Hamas. Je les déteste ! Donc, quant à votre question au sujet de ce que je ferais, voilà ma réponse : Je ferais exactement ce qu’Israël fait : tuer autant de gens que le monde m’autorise à le faire. Parce qu’on les laisse faire ! Mais j’ai une question pour vous. Disons que le Hamas est le problème et imaginons un monde sans Hamas. Tenez, la Cisjordanie par exemple… Comment peut-on expliquer que là-bas aussi, même sans Hamas, il y a eu des milliers de Palestiniens tués ces dernières années… »
« Un mauvais investissement »
« Soyons clair, poursuit-il, inspiré. Admettons, le Hamas est le problème. Disons qu’ils n’existent plus. Bon, en Palestine, 20 % des habitants sont soumis au système répressif israélien et les autres survivent comme ils le peuvent, depuis des décennies. À votre avis, les gens seront-ils enclins à sympathiser avec ceux qui les oppressent, ou avec ceux qui résistent ? Bien sûr j’entends les gens de l’autre camp, qui nous expliquent qu’Israël est le seul pays qui avertit les civils avant de les bombarder. Comme c’est gentil de leur part ! J’en ai parlé avec la famille de ma femme, avec mon beau-frère qui vit à Gaza. J’ai demandé : “Quand Israël prévient que des frappes vont avoir lieu, est-ce vrai que le Hamas vous oblige à rester là ?” Il m’a dit : “Non !” Vous vous rendez compte, quel salaud de menteur ! »
Tout à son idée, Piers Morgan persiste : que ferait Bassem Youssef à la place d’Israël ou de ses alliés ? « Disons que je me mets à la place d’un colon israélien, propose l’humoriste. D’abord, je m’adresse à mon Premier ministre Benyamin Netanyahou. “Vous nous avez promis la paix, mais le 7 octobre, quand le Hamas a attaqué, l’armée a mis des heures à intervenir. Vous avez fracturé notre société. Dans les kibboutz on dit que vous avez laissé faire pour justifier une future offensive massive sur Gaza !” » « Je suis citoyen américain, rappelle-t-il ensuite. Mon pays donne des milliards de dollars à Israël tous les ans. Si j’étais Joe Biden – qui a dit que c’était le meilleur investissement que son pays ait jamais fait – j’irais voir Benyamin Netanyahou et je lui chuchoterais à l’oreille :“j’ai fait un mauvais investissement.” »
« Mais comment en sort-on ? » insiste l’hôte du talk-show, totalement dépassé par les propos de son invité. « Je ne sais pas, admet Bassem Youssef. Mais je me demande ce qu’espère Israël en écrasant Gaza sous les bombes. C’est quoi le but ? Pousser les civils à se tourner contre le Hamas ? C’est ce que font les terroristes : tuer pour semer la peur et pousser les gens à se retourner contre leurs autorités, par peur. Ça fait des années qu’Israël tue des milliers de Palestiniens, est-ce que ça a réglé le problème ? En quoi ce serait différent cette fois ? »
Partagée par des milliers d’internautes sur X (anciennement Twitter), la vidéo ne cesse, depuis, de se répandre et de provoquer des réactions. Dont une majorité de commentaires enthousiastes venus d’internautes du Maghreb et du Moyen-Orient, qui ont le sentiment d’avoir trouvé, enfin, un porte-parole à la hauteur.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Politique
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?
- Législatives au Sénégal : Pastef donné vainqueur
- Au Bénin, arrestation de l’ancien directeur de la police
- L’Algérie doit-elle avoir peur de Marco Rubio, le nouveau secrétaire d’État améric...
- Mali : les soutiens de la junte ripostent après les propos incendiaires de Choguel...