Le jour où… « J’ai préparé l’annonce de la démission d’Ahmadou Ahidjo »
Le 4 novembre 1982, le président camerounais Ahmadou Ahidjo décidait de quitter le pouvoir. Rédacteur en chef à la Radiodiffusion nationale et présentateur vedette du 20 heures, le journaliste Jean-Claude Ottou, qui était à l’antenne, raconte.
C’était un jeudi. La journée s’annonçait ordinaire : arrivée à la Maison de la radio à 8 heures, première conférence de rédaction à 10 heures. À l’époque, les locaux de la station et ceux des services du Premier ministre, Paul Biya, étaient mitoyens. Les fenêtres de mon bureau donnaient sur la cour de la primature. Peu après la conférence de rédaction, l’un des journalistes, Abel Mbengue, vint nous signaler qu’un inhabituel défilé de voitures officielles s’y déroulait. Le ballet se poursuivit jusqu’au début de l’après-midi, laissant subodorer des consultations en vue d’un remaniement ministériel.
Nous étions à mille lieues d’imaginer ce qui se tramait. Vers 16 heures, alors que nous préparions le journal de 20 heures, Alexandre Kokoh à Messe, directeur de la radio, et moi-même reçûmes chacun un coup de fil de la présidence de la République nous enjoignant de dépêcher sur les lieux une équipe de techniciens – sans reporters – « pour un enregistrement ». Alexandre Kokoh à Messe s’y rendit en compagnie d’un ingénieur du son, Jean-Antoine Foé Amougou.
Bande magnétique
À son retour une heure plus tard, Kokoh à Messe, surexcité, fit irruption dans la salle de rédaction, me prit à part, me tendit une bande magnétique et, sentencieux, déclara : « M. Ottou, cette bande est un trésor pour vous, c’est le président de la République qui démissionne. » Ahuri, je n’en crus pas un mot. Je courus néanmoins à la salle de rédaction où, entouré de toute l’équipe de journalistes, les mains tremblantes, je plaçai la bande sur un magnétophone. La voix d’Ahmadou Ahidjo claqua à nos oreilles : « Camerounais, Camerounaises, chers compatriotes, j’ai décidé de démissionner. » Instant de sidération. Nul ne pipa mot.
Il nous fallut vite reprendre nos esprits : nous devions préparer le journal pour l’annonce de cette nouvelle. Première étape : sécuriser la bande, la manipuler avec délicatesse : pas question qu’elle se vrille, qu’une partie de l’allocution soit rendue inaudible, il n’y en avait qu’un exemplaire. Nous multipliâmes ensuite les copies. J’entrepris de nettoyer personnellement la bande des silences et des petites quintes de toux présidentielles. Chacun y allait de son analyse, plus ou moins inspirée. J’osai l’humour : « Nous détenons le pouvoir. Imaginez que nous retenions la bande : le président n’aura pas démissionné ! » Nous riions nerveusement. Nous avions aussi le sentiment d’être les acteurs d’un moment charnière de l’histoire du pays.
Deuxième étape : traduire et enregistrer l’allocution présidentielle en langue anglaise. Il me semblait juste que francophones et anglophones aient l’information au même moment. À 20 heures, l’indicatif du journal – « la chanson patriotique », comme nous l’appelions ; c’était en réalité un morceau instrumental – commença à passer en boucle, ce qui ajouta à la dramaturgie. Ce n’était pas voulu : la préparation de l’unique sujet inscrit au sommaire du journal avait pris du temps – arrivé à la rédaction vers 19h30, Guillaume Bwelè, le ministre de l’Information, me suggéra de prévoir un commentaire, je m’y opposai fermement. Mon lancement fut laconique : « Mesdames, messieurs, bonsoir. Nous sommes le jeudi 4 novembre 1982, il est 20h23. Un seul titre ce soir : le président de la République s’adresse à la nation. Camerounaises, Camerounais, écoutez… »
Ville fantôme
Après le journal, je décidai de sillonner les rues de la capitale en compagnie d’un collègue afin d’évaluer l’effet produit sur la population par cette démission. Yaoundé était une ville fantôme. Comme saisies d’effroi, les rares personnes que nous croisions se hâtaient de rentrer chez elles. Sur le bord d’une route gisait un homme qui semblait avoir fait un malaise. Je décidai de le conduire aux urgences de l’hôpital central. Les médecins étaient aux abonnés absents. Ceux qui se présentèrent au bout d’une interminable attente semblaient scandalisés de nous voir là. « N’avez-vous donc pas appris la nouvelle ? » éructa l’un d’eux.
Vers minuit, je rentrai enfin chez moi. J’eus comme un moment de décompression et, là, mesurai l’importance de l’événement. Un court instant, me revint en mémoire l’émission Le Club de la presse de RFI du 20 mai 1982, dont Ahmadou Ahidjo était l’invité, et à laquelle m’avait convié Hervé Bourges, président du groupe français éponyme. Le président camerounais, à qui je demandais s’il ne redoutait pas l’usure du pouvoir après vingt-deux ans à la tête de l’État, avait confessé une certaine lassitude. Je bus plusieurs verres d’eau, dormis peu. À 4 heures du matin, j’étais de retour à la Maison de la radio, où je m’installai jusqu’au 6 novembre, date de la prestation de serment du nouveau président, Paul Biya.
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